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La fois où mon empire de camps pour enfants a failli tomber

Reprendre le contrôle d'une entreprise quand le chaos règne.

Par
François Rioux
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Entrepreneur et maître d’enseignement à HEC Montréal, François Rioux nous dévoile les coulisses de sa vie d’entrepreneur en temps de crise sanitaire. Dans cette série satirique, nous le suivons à travers les rebondissements de son empire de… camps pour enfants.

Au début, c’était presque excitant. L’hyperactif en moi avait de quoi canaliser ses énergies et l’ancien athlète professionnel avait l’occasion de performer sous pression. Je jubilais à l’idée de relever des défis plus grands que moi, que mon entreprise, que le Québec, même que le MONDE ENTIER! — Vous comprendrez que, comme bien des entrepreneurs, mes solutions n’ont d’égal que mes ambitions (qui parfois frôlent la mégalomanie).

«Je vais-tu devoir vendre la maison?»

Ça, c’était avant de devoir procéder à des mises à pied temporaires, avant d’avoir de la misère à payer les fournisseurs et avant de me demander «je vais-tu devoir vendre la maison?».

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La maison brûle

Parce qu’en effet, en temps de pandémie mondiale, où l’hypocondrie est à son comble, ma maison se serait vendue plus facilement que mon entreprise d’enfants en sueur qui aiment beaucoup trop chanter «Boom Chicka Boom». Bref, mon entreprise de camps pour enfants devenait peu à peu un gouffre financier.

Parlant de mon entreprise: je suis propriétaire d’Edphy International, une PME qui organise des camps pour enfants opérationnels à l’année, mais où les entrées d’argent sont assujetties à une forte saisonnalité.

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Pas besoin d’un boulier pour faire le calcul: en 2020, sans activités de camps de vacances, pas de revenus. Des dépenses énormes, mais toujours pas de revenus.

Pour vous donner une idée de nos frais d’exploitation annuels, on a 350 employés saisonniers, 70 000$ en taxes municipales, 60 000$ en assurances, sans compter toutes les autres dépenses qui rendent possible la tenue de nos camps.

Le 12 mars 2020, j’ai compris que ce n’était pas une vague, mais un tsunami.

Contrairement à l’archétype attendu de l’entrepreneur québécois dont on ne comprend pas trop la fonction, mon rôle à Edphy est de m’assurer que mon staff soit payé. Et pour ce faire, on a un objectif annuel d’accueillir 10 000 enfants sur huit semaines.

Donnez-moi de l’oxygène

On parle souvent de «surfer la vague» en affaires, dans le sens où il faut apprivoiser les défis et que, même devant l’adversité, on peut toujours avoir le contrôle sur la situation.

Mais, le 12 mars 2020, j’ai compris que ce n’était pas une vague, mais un tsunami.

Je suis passé très rapidement de «Eh! La grippe est forte c’t’année!» à une perte de contrôle totale sur mon entreprise et, sournoisement, sur moi-même.

Et le contrôle en affaires, on ADORE ça. Ce n’est pas vrai que les entrepreneurs, on «aime le risque». On aime la satisfaction d’avoir pris un risque calculé qui s’est avéré être un succès.

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Mais, personnellement, si je pouvais avoir le même sentiment de fierté, d’accomplissement, de liberté, et ce, sans prendre de risque, je ne vous dirais pas «Non, non, je préfère mettre ma maison en garantie, s’il vous plaît».

Je sentais mon entreprise me glisser entre les doigts, un peu comme la chanson d’ABBA, mais en moins cute.

On voit bien que c’est pratique d’avoir un contrôle serré sur des variables changeantes – surtout quand tu as déjà été animateur de camp pour enfants. Il n’y a rien de pire que de laisser tout un groupe d’électrons libres livrés à eux-mêmes: bon plan pour courir toute la journée en culottes courtes avec un sifflet accroché au cou.

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Faire face à la musique

Bref, tout ça pour vous dire que du jour au lendemain, je sentais mon entreprise me glisser entre les doigts, un peu comme la chanson d’ABBA, mais en moins cute.

Quand j’ai réalisé qu’il allait falloir que j’appelle, un à un, tous mes clients pour leur dire «on va vous rembourser, mais on ne sait pas encore quand», le monde s’est mis à tourner au ralenti.

Je voyais le travail d’une vie partir en poussière.

C’est comme si j’étais pris dans un vide intersidéral. Le sol m’aspire, j’ai la mâchoire engourdie, l’estomac dans les talons et l’esprit sonné.

La vague m’avait emporté.

Je voyais le travail d’une vie partir en poussière. Un plan quinquennal méticuleusement orchestré, une stratégie de croissance bien calculée, des relations d’affaires à l’international, tout ça anéanti à la suite d’une conférence de presse.

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En perte de contrôle totale sur la situation, je me transformais en cet autre cliché de l’entrepreneur. Ce père de famille, en tête de table, l’air livide, physiquement présent, mais l’esprit absent.

Au-delà d’être vraiment épuisant, le travail acharné a cet effet d’engourdir l’incertitude. Comme si en travaillant, on pouvait avoir le contrôle sur la situation. Alors, je m’oubliais dans le travail, dans le vin et dans la musique de Damien Rice.

Je devais prendre soin de moi avant de m’occuper de mes proches et de mon entreprise.

Je touchais le fond du baril de la déprime. Certes, un baril de chêne vieilli 5 ans, mais le fond du baril quand même!

Atterrissage houleux

Et là, une pensée m’est venue. J’ai beaucoup trop à perdre. La confiance de ma famille, mon crédit chèrement bâti, mes relations d’affaires, ma crédibilité auprès de mes élèves, ma santé mentale.

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Je dois me ressaisir. Mais, comme avec les masques à oxygène dans l’avion, je devais prendre soin de moi avant de m’occuper de mes proches et de mon entreprise.

1er juillet 2020: j’arrête l’alcool, j’me mets au gym et «Prière païenne» joue dans le tapis. Dans ce gym qui semble avoir été conçu pour Elon Musk, on peut mesurer notre rythme cardiaque et voir la progression des autres. Le compétitif en moi ressort.

Bien que je rotais péniblement mon Kim Crawford de la veille, le sentiment de me dépasser (moi et le gars à côté de moi) me faisait un bien fou.

À ce jour, le contrôle a la queue glissante, mais je sais aussi que c’est plus facile (et plus important) d’exercer le contrôle sur soi-même. Même quand on pense qu’on n’a pas le temps et que ça va vraiment mal autour de nous, il faut quand même s’allouer du temps pour consulter, faire du sport, méditer ou s’adonner à peu importe ce qui nous fait du bien.

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Et c’est avec beaucoup de self-control que je me suis préparé à affronter l’incontrôlable.

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