Quand j’avais 8 ans, il y avait dans ma classe, à l’école St-Germain d’Outremont, un petit blond aux yeux bleus qui ressemblait un peu à Macaulay Culkin dans Home Alone. Ou à Denis dans Denis la Malice. Ou à Zack dans Saved by the Bell.
Bref un petit blond aux yeux bleus qui avait tout ce qu’il faut pour faire craquer une fille des années 90.
J’ai été amoureuse de lui dès la première fois où je l’ai vu et j’ai tenté, stratégie de toutes les stratégies, d’aller lui parler en lançant dans un escalier de l’école : « Heille, haha, on a le même nom de famille, ma mère aussi c’est une Richard. »
Je n’avais pas vraiment eu de réaction de sa part et de toute façon, à 8 ans, la dernière chose que tu veux c’est une réaction de ton crush.
Tout ce que tu veux c’est enfouir ces sempiternels sentiments le plus loin possible au fond de toi et jeter la clé du petit coffre qui les renferme pour que personne y ait accès, comme les chocolats que tu caches pour pas que ton grand frère les mange.
Mes sentiments étaient donc enfouis et c’était très bien comme ça. En 3e année, les filles et les garçons ne se mélangent pas encore et restent, pour le moment, dans leurs tranchées.
Ma vie se déroulait donc avec la même aisance que Marc-André Coallier quand il faisait la poignée de main secrète du Club des 100 watts, quand TOUT À COUP, par un matin de printemps, la prof de musique décida que nous allions apprendre à danser.
À deux. Les filles. Avec. Les gars.
Panique à bord.
Genre? Se toucher pis tout?
Ark. Imaginez la commotion dans une classe où l’on a toujours pris soin de trier les sexes comme on sépare les couleurs en lessive quand on décide de métisser tout ça et avoir des contacts.
Je penserais pas, non.
Tout le monde grouille. Tout le monde se trémousse.
« Les garçons, alignez-vous contre le tableau comme si on allait vous fusiller, c’est les filles qui vont choisir. »
Non, mais ça va pas?
« Léa, tu choisis la première. »
NON, MAIS ÇA VA PAS?!
J’ai le choix entre tous les garçons de la classe. Tous. Ils sont tous là à me regarder. À ne pas comprendre ce supplice qu’on leur inflige. C’est comme attendre que les équipes de ballon chasseur se forment, mais nu.
Ils sont tous là à me regarder. À ne pas comprendre ce supplice qu’on leur inflige. C’est comme attendre que les équipes de ballon chasseur se forment, mais nu.
J’ai le choix entre tous les garçons de la classe, ce qui m’impose un horrible dilemme. Puisque j’ai le choix entre tous, celui que je choisirai sera forcément celui que je préfère. Et à aucun moment un choix par défaut. Mon cœur devra donc parler devant tout le monde. Pire, s’assumer.
Quelle horreur. Mais j’ai pas la force de faire ça, moi! On pourrait pas retourner à répéter la trame sonore des Filles de Caleb à la flûte, que mon éveil sexuel se fasse en silence entre Ovila et Passe-Montagne comme tout le monde?
Loin des projecteurs!
Hum… Qu’est-ce que je fais? Tout le monde me regarde. Peut-être que…
Ah oui, check ça, je vais choisir un gars sur lequel c’est sûr que j’ai pas de kick.
Genre celui qui mange sa gomme à effacer en espérant qu’un jour elle se transforme en vraie gomme.
Ouin, mais en même temps si je fais ça, je vais passer à côté de ma chance de niaiser et danser avec Pierre Alexandre Richard… Aaaah….
Heureusement, avant que ma tête ait le temps de suranalyser la situation, mon cœur m’a volé le micro et a balbutié « Pierre Alexandre! »
Et fuck off. Tout le monde a su.
Le mieux, c’est qu’en entendant son nom, devant le grand tableau, je l’ai vu faire « yes! » en fermant le poing et alors j’ai su, que lui aussi, en secret, il n’attendait que ça.
Ce que je ne savais pas par contre, par ce matin de 1991, c’est que ce Pierre Alexandre était le futur père de mes enfants. Et qu’exactement 18 ans plus tard, il me retrouverait sur Facebook, pour me dire : « Allô, je sais pas si tu te souviens de moi, on a dansé ensemble en 3e année et depuis t’es mon modèle féminin. À bientôt. »
Qui vivra verra comme on dit. La vie écrit toujours des plus belles histoires que nous.
Laissez votre cœur prendre le micro.
Fin.