Tout récemment, j’ai tenté d’acheter des billets pour le concert d’Olivia Dean au Centre Bell, prévu pour l’été prochain… mais sans succès. Les seules places encore disponibles étaient tout au fond de la salle, à un prix qui représentait littéralement plus de la moitié de mon loyer. Autant dire que ma déception était bien réelle, surtout considérant que je tente de la voir en spectacle depuis 2021, l’année où j’ai découvert son EP OK Love You Bye. En toute honnêteté, si cette situation avait été exceptionnelle, je crois qu’elle ne m’aurait pas autant frustrée. Mais cette année seulement, j’ai arrêté de compter le nombre de fois où j’ai renoncé à assister à un concert, faute de billets abordables ou parce que l’événement affichait complet en quelques minutes à peine.
De nos jours, acheter des billets pour un concert, c’est presque partir au combat. La comparaison est peut-être excessive, mais elle traduit bien le sentiment partagé par de nombreux.ses amateur.rices de musique. Entre les préventes auxquelles il faut s’inscrire sans garantie de recevoir un code, les alarmes à programmer pour la mise en vente officielle, la file virtuelle interminable pour finalement découvrir qu’il ne reste que des places tout en haut des gradins à un prix complètement déraisonnable, assister à un concert est devenu un privilège.
Au cours des dernières années, le prix des billets de concert a connu une hausse marquée, particulièrement pour les artistes mainstream. Selon des données obtenues par Pollstar, en 2024, le prix moyen des billets des 100 tournées les plus populaires atteignait 135 $, comparativement à 96,17 $ cinq ans plus tôt, soit une augmentation de 41,3 %.
Une hausse aussi importante ne passe pas inaperçue et mérite d’être examinée. Je me suis donc penchée sur les raisons pour lesquelles assister à un concert coûte aujourd’hui aussi cher.
L’inflation, un coupable partiel
Évidemment, dans un contexte où le coût de la vie ne cesse d’augmenter, il était inévitable que le prix des spectacles finisse par suivre la tendance. Une tournée d’artiste entraîne en effet de nombreux frais : transport (essence et les billets d’avion), hébergement, nourriture, main-d’œuvre, etc.
Cela dit, même si l’inflation joue indéniablement un rôle dans la hausse du prix des billets, elle est loin d’en être la seule responsable. D’autant plus que cette augmentation ne suit pas nécessairement celle de l’inflation. À titre de comparaison, Pollstar indique que le taux d’inflation annuel au Canada était de 1,9 % en 2019, alors que le prix moyen des billets de concert a augmenté de 17,8 % depuis.
Si l’inflation explique une partie de cette hausse, elle ne suffit toutefois pas à justifier un tel écart. Pour comprendre ce qui fait réellement grimper la facture, il faut regarder du côté de l’industrie elle-même
Ticketmaster, l’algorithme contre le public
Dans la saga des billets de spectacle hors de prix, Ticketmaster est souvent pointé du doigt… et avec raison. Depuis 2022, la plateforme de vente a généralisé l’utilisation de la tarification dynamique : comme des billets d’avion, le prix des billets est ajusté en temps réel selon la demande.
Le problème, c’est que cette demande, elle, ne cesse d’augmenter. La pandémie de COVID-19 a notamment provoqué une véritable soif de rassemblements et de musique en direct. En 2024, Live Nation rapportait que 151 millions de personnes avaient assisté à l’un de ses événements, comparativement à 145 millions en 2023 et seulement 98 millions en 2019.
Cette explosion de la demande, combinée à la tarification dynamique, crée un terrain particulièrement défavorable pour les spectateur·rices, qui se retrouvent à payer des centaines (voire des milliers) de dollars de plus que le prix initialement affiché. En 2022, la tournée de Bruce Springsteen avait d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre lorsque certaines places au parterre avaient atteint le seuil des 5 000 $ US, uniquement en raison de cette stratégie tarifaire.
Les robots et les revendeurs
Les revendeurs jouent également un rôle majeur et particulièrement dommageable dans l’explosion du prix des billets de concert. Notamment, un robot d’achat automatisé peut acquérir jusqu’à 1 000 billets en moins de 60 secondes. Lors de la mise en vente de spectacles d’envergure, 40 % à 96 % des billets seraient ainsi accaparés par ces robots.
Ces billets sont ensuite remis en circulation sur des plateformes de revente, souvent à des prix doublés, voire triplés. Les fans sont ainsi forcés de payer des montants exorbitants pour espérer assister à un concert.
Difficile de parler de jeu équitable lorsqu’un robot peut représenter l’équivalent de centaines d’acheteurs humains et effectuer une transaction avant même que ces derniers aient eu le temps de choisir leurs sièges. Une situation d’autant plus injuste pour les artistes, sur le dos desquels des marges de profit considérables sont réalisées.
Une accessibilité à la musique de plus en plus compromise
L’augmentation du prix des billets de spectacle pose un véritable problème d’accessibilité à la musique en direct.
Dans un contexte où le coût de la vie ne cesse de grimper et où joindre les deux bouts devient déjà un défi pour bien des gens, dépenser 300 $ (et parfois plus) pour un billet de concert est loin d’être anodin. Assister à un spectacle se transforme peu à peu en luxe, voire en privilège. Si bien que, par exemple, au Royaume-Uni, près des deux tiers des amateur·rices de spectacles disent avoir réduit le nombre d’événements auxquels ils assistent, tandis que 51 % affirment avoir déjà renoncé à un concert uniquement en raison du prix des billets.
La solution ?
Au fil de mes recherches, une chose est devenue assez claire : il n’existe pas de solution simple ou immédiate au problème des billets de concert hors de prix. La hausse est le résultat de pratiques industrielles bien installées.
Par contre, certaines pistes méritent quand même d’être prises au sérieux. Un meilleur encadrement des robots d’achat et des plateformes de revente apparaît nécessaire. Au Québec, le dépôt récent du projet de loi 10 va dans cette direction, obligeant notamment les plateformes à indiquer clairement lorsqu’il s’agit de revente et à informer les consommateurs qu’un billet pourrait être offert à un prix inférieur auprès du vendeur officiel. Le projet prévoit aussi que le prix d’un billet en revente ne puisse dépasser son prix initial sans l’accord du producteur du spectacle.
Pour ce qui est de l’accessibilité, regarder ce qui se fait ailleurs est aussi intéressant. Au Brésil, par exemple, une loi permet à certains groupes selon l’âge, le statut étudiant, le revenu ou même l’emploi d’avoir accès à des billets à moitié prix. Une façon de rappeler que la culture n’est pas qu’un produit de luxe, mais aussi un espace de rencontre et de partage.
Reste une question incontournable : jusqu’où est-on prêt·es à laisser les prix grimper avant d’accepter que les concerts ne soient plus pensés pour tout le monde ? Parce qu’à force de transformer la musique live en expérience exclusive et de normaliser l’inabordable, on risque d’exclure celles et ceux qui en font toute la magie.
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