Pour une 20e année, Pantone nous arrive avec sa couleur pour 2020. Après une année 2019 passée sous la couleur des coraux (Living Coral), l’entreprise américaine nous propose le Classic Blue.
Un bleu classique qui pourrait nous rappeler la couleur des jeans de travail ou les bleuets, mais surtout un bleu qui « inspire le calme et la confiance » pour reprendre les termes du Pantone Color Institute. Un calme réconfortant qui nous serait grandement utile en cette période de grande incertitude.
Nous voilà aux portes de 2020 et d’une nouvelle décennie dans un contexte où « la technologie continue de devancer la capacité humaine de tout traiter », le portrait de la politique internationale inquiète et la « vérité » est constamment remise en question.
Mais outre ce point de référence réconfortant (qui est bienvenu, certes), qu’ossa donne concrètement une couleur de l’année? Une brillante stratégie marketing qui génère ben du cash.
Voici un bref survol du phénomène Pantone.
L’incertitude d’une nouvelle ère
La première édition de la couleur de l’année Pantone a eu lieu en 1999. Cette année-là, la couleur du nouveau millénaire allait être Cerulean, une nuance de bleu sereine qui représentait l’excitation de l’arrivée des années 2000 et offrait un visuel apaisant face aux angoisses reliées au passage à l’An 2000. Nous voilà 20 ans plus tard, toujours aussi angoissés…
Reste que l’impact de cette couleur aura déteint sur le « zeitgeist » culturel de l’époque : des tendances de la décoration intérieure jusqu’à la haute couture. À titre de référence, la journaliste Cady Lang du magazine Time faisait remarquer le clin d’œil que le personnage de Miranda Priestly faisait dans le film The Devil Wears Prada lorsqu’elle décrit comment le Cerulean blue a dominé l’industrie de la mode aux débuts des années 2000.
« Le même sentiment d’inquiétude qu’on pouvait voir en 1999 règne encore aujourd’hui en 2019. C’est pourquoi selon ce que nous avons vu se produire dans notre culture mondiale nous avons choisi le Classic Blue. C’est un bleu rassurant, plein de calme et de confiance qui crée une connexion », expliquait Laurie Pressman, vice-présidente du Pantone Color Institute dans les pages de Time.
Prédire le zeitgeist culturel ou produire le zeitgeist culturel?
.jpg)
Plusieurs le diront; Pantone réussit, presque tous les ans, à être on the edge de l’analyse et de la réflexion macrosociologique de ce que notre société peut vivre en le traduisant par une couleur.
Et malgré les meetings secrets qui prennent place en huis clos avec de nombreux spécialistes et analystes, comment font-ils vraiment?
« La prédiction de la couleur de l’année par Pantone est, en partie, une prophétie autoréalisatrice », écrivait la journaliste Anne Quito dans Quartz. « Quelques mois avant le dévoilement annuel en décembre, l’entreprise conclut des accords de licence avec diverses sociétés – des fabricants de vernis à ongles aux chaînes d’hôtels – afin de garantir que la teinte exacte se matérialise sous différentes formes. »
Comme par magie, la couleur de l’année se retrouve partout : les défilés de New York, Londres ou Milan, mais aussi dans votre cuisine!
Durant ces vingt années à « prédire » la couleur de l’année, Pantone a tellement été efficace que d’autres entreprises comme Xerox ont commencé à embarquer dans la danse des couleurs de l’année.
La couleur de l’argent
Avec cette campagne qui a été peaufinée au fil des années et des partenariats formés dans cette quête de la couleur, Pantone a aussi capitalisé sur le phénomène pour amasser un joli magot.
Parce que oui, les couleurs ont un impact sur la consommation. Une étude de 2015 par le Color Marketing Group affirmait que 85% des consommateurs basent leurs décisions d’achats sur la couleur d’un produit.
« La prédiction de la couleur de l’année par Pantone est, en partie, une prophétie autoréalisatrice. »
Et s’il se trouve que vous êtes l’entreprise qui détermine le trend des couleurs chaque année, il y a moyen d’en profiter! Les fashion designers peuvent payer jusqu’à 7135$ US pour une bibliothèque d’échantillons de coton de Pantone, tandis que certains designers graphiques débourseront autour de 1759$ US pour un outil de référence similaire.
Bien que les guides qui déterminent les standards de correspondance des couleurs de l’univers graphiques sont le pain et le beurre de Pantone, avec 70% de son chiffre d’affaires, la société fait aussi de l’argent avec les produits licenciés du Pantone Universe.
Des objets pour la maison, de la peinture, des valises, des produits cosmétiques (et j’en passe) ont été mis en vente suivant le dévoilement de la couleur 2020.
Vous pouvez d’ailleurs acheter votre tasse arborant la couleur de l’année dès maintenant!
Les origines de Pantone
Fondé dans les années 1950, Pantone a commencé comme une entreprise d’impression commerciale. Dans les années 1960, un employé a réorganisé le secteur de l’encre et de l’impression de la société et a introduit un système visant à « simplifier le stock de pigments et la production d’encres de couleur ». C’est ainsi que nous avons tranquillement assisté à la « normalisation » du langage des couleurs. Conséquemment, cet employé a mis l’entreprise sur la voie qui allait la conduire jusqu’à devenir « l’autorité mondiale en matière de couleur ».
Le premier guide de couleur Pantone est ainsi apparu en 1963 et rapidement, le Pantone Matching System a été popularisé partout dans le monde. Utilisé à la base par les concepteurs professionnels du milieu graphique, Pantone a su s’imposer dans de multiples facettes de nos vies et s’est depuis transformé pour incarner le phénomène culturel que l’on connaît aujourd’hui.