Logo

La conciliation travail-famille, c’est sexy

Quand on n’a pas besoin de vendre un rein pour payer la facture du service de garde.

Par
Marie-France Boisvert
Publicité

URBANIA et la Centrale des syndicats du Québec s’unissent pour retracer l’histoire du système des CPE et des femmes qui l’ont construit.

Lorsque Pauline Marois a mis sur pied les centres de la petite enfance en 1997, j’avais 17 ans. Je n’en ai aucun souvenir. Les nouvelles politiques publiées dans La Tribune de Sherbrooke n’étaient pas rédigées à l’intention d’un lectorat d’élèves du secondaire. La petite histoire des centres de la petite enfance (CPE) qui suit s’adresse donc autant à mon ado intérieure qu’à vous, lecteurs d’URBANIA.

C’est quoi, ça, les CPE? C’est un réseau d’organismes à but non lucratif qui offrent des services éducatifs à des enfants de 0 à 5 ans pour 8,50 $ par jour. Chaque centre est dirigé par un conseil d’administration composé d’au moins sept membres, dont au moins les deux tiers sont des parents usagers ou futurs usagers du CPE. Aujourd’hui, il y a 1 614 CPE au Québec. Lors de sa création, le réseau de CPE était unique en Amérique du Nord.

Publicité

Un investissement social à long terme

En plus des CPE, il y a un réseau complémentaire : les milieux familiaux régis et subventionnés, où les services coûtent aussi 8,50 $ par jour. Collectivement, les CPE et les milieux familiaux régis et subventionnés ont la responsabilité d’environ 60 % des plus de 300 000 enfants en services éducatifs.

Collectivement, les CPE et les milieux familiaux régis et subventionnés ont la responsabilité d’environ 60 % des plus de 300 000 enfants en services éducatifs.

La qualité des services est assurée par le ministère de la Famille, selon la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance. Cette loi a été adoptée en 2005 et elle a pour objet la santé, la sécurité, le développement, la réussite éducative et le bien-être des enfants.

Publicité

De plus – et ça, ado, ça m’aurait beaucoup intéressée –, la loi mentionne clairement la question d’égalité des chances. Les enfants qui vivent dans des contextes de précarité socioéconomique sont expressément mentionnés dans la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance. Vous me direz que je suis cynique, mais avant d’en faire la lecture, j’aurais imaginé que c’était le genre de truc qu’un élu dit aux journalistes, mais qui n’est pas dans un texte de loi.

Ce n’est pas tout : la loi traite aussi noir sur blanc des besoins des parents et de la conciliation de leurs responsabilités parentales et professionnelles. Là, j’avoue qu’à 17 ans, je n’aurais pas accroché – la conciliation travail-sexy me semblait moins sexy que la justice sociale –, mais aujourd’hui, ça m’a fait plaisir à lire.

Libérer les femmes, leur redonner le pouvoir

Pauline Marois, en 1997, nous disait que c’était l’égalité entre hommes et femmes qui la motivait à créer les CPE. La littérature scientifique nous explique que l’accès aux garderies est un enjeu de santé publique. La recherche en médecine et en éducation démontre que les enfants qui reçoivent un service de garde éducatif de qualité sont en meilleure santé et réussissent mieux à l’école. L’impact est, semble-t-il, encore plus marqué chez les enfants de familles défavorisées. Dans les périodiques de médecine, c’est décrit comme un rendement du capital investi : si on augmente la qualité de vie pendant l’enfance, les frais de santé sont réduits par la suite.

si on augmente la qualité de vie pendant l’enfance, les frais de santé sont réduits par la suite.

Publicité

La petite enfance est une période d’apprentissage : les couleurs, les saisons, la différence entre « beaucoup » et « un peu », la socialisation, comment se brosser les dents, aller à la toilette, et j’en passe. La vaste majorité des personnes qui enseignent tout ça sont des femmes, et en leur donnant l’occasion de partager la tâche avec des éducatrices en CPE et des intervenantes en milieu familial, on leur a enlevé un poids énorme des épaules. Elles se sont senties soutenues dans un travail qui était invisible. Les éducatrices à qui j’ai parlé m’ont dit que les CPE et les milieux familiaux à tarif réduit ont permis aux femmes d’aller sur le marché du travail ou de retourner aux études, mais elles m’ont aussi dit que les familles – particulièrement les familles monoparentales – se « sentaient moins seules ».

Dans le budget provincial de 2021-2022, la portion accordée aux services de garde s’élevait à 2,74 milliards de dollars. C’est un montant qui comprend le soutien financier, mais aussi le financement des infrastructures, les régimes de retraite, etc. En 2020, 2,74 milliards, ça représentait moins de 2,5 % de ce qui a été collecté en impôts par Revenu Québec. Et pour ce montant, le taux de santé, de sécurité, de stabilité et de réussite scolaire est augmenté, les disparités économiques sont réduites et les parents sont disponibles pour contribuer au marché du travail. Cet investissement rapporte même à l’État! Selon l’économiste Pierre Fortin, 100 $ dépensés dans les services éducatifs à l’enfance entraînent des recettes fiscales de 175 $, soit 120 $ pour le Québec et 55 $ pour le Canada.

Publicité

Un modèle unique

Mais pour réellement saisir l’ampleur de ce que représentent les centres de la petite enfance et les milieux familiaux à tarif réduit, il faut connaître la réalité quotidienne des gens qui n’ont pas accès à ce type de services. Plusieurs vivent déjà cette réalité ici au Québec : en mai dernier, on estimait que de 51 000 à 75 000 enfants étaient en attente d’une place en service éducatif à la petite enfance. Ces enfants ont des parents qui ont terminé leurs congés parentaux; des parents qui ont très hâte de retourner au travail; des parents qui ne demandent qu’une chose, que leurs enfants puissent fréquenter un service éducatif à la petite enfance de qualité et à tarif réduit, mais qui se retrouvent plutôt avec une énorme facture à payer pour des services de garde, et ce, malgré le fait qu’ils contribuent déjà au réseau des services éducatifs à la petite enfance par leurs impôts! J’imagine à peine leur soulagement lorsqu’ils ont appris que 37 000 places en service de garde seront bientôt créées.

Lorsqu’on est enceinte et qu’on sait qu’après le congé de maternité, on n’aura pas besoin de vendre un rein pour payer la facture de service de garde, ça réduit le niveau de stress de tout le monde

Publicité

Les parents au Québec n’ont pas besoin d’études scientifiques pour savoir que l’accès à un service de garde éducatif fiable, abordable, sécuritaire, stable, c’est bon pour la société au complet. Lorsqu’on est enceinte et qu’on sait qu’après le congé de maternité, on n’aura pas besoin de vendre un rein pour payer la facture de service de garde, ça réduit le niveau de stress de tout le monde. Pas besoin d’études non plus pour savoir que les enfants naissent vulnérables et fragiles, et que la dernière chose qu’on veut, c’est que ces enfants se sentent comme des fardeaux, des tâches obligatoires, des contraintes.

Le réseau de CPE emploie plus de 16 000 professionnelles qualifiées – et je l’écris au féminin parce que 98 % des éducatrices sont bel et bien des femmes! Autrement dit : ce sont presque uniquement à des femmes que nous sommes redevables pour les CPE et les impacts économiques et sociaux qui en découlent. Le travail de cette véritable armée d’éducatrices (celles et ceux d’entre vous qui ont vécu l’expérience d’habiller un groupe d’enfants pour l’hiver savent que l’analogie militaire est de mise) est rendu possible par le personnel de soutien – adjointes administratives, préposées, responsables en alimentation, agentes et aides-éducatrices.

Publicité

Alors : c’est quoi, ça, les CPE? C’est un fleuron de notre société qui représente un jugement de valeur, et ce jugement de valeur, c’est : le bien-être des enfants est important pour nous. Mon adolescente intérieure est là pour vous le dire : il n’est jamais trop tard pour reconnaître la valeur de nos institutions.

*****

Ça vous a convaincus de l’importance des CPE et des milieux familiaux régis et subventionnés? La Centrale des syndicats du Québec vous a concocté un petit quiz sur la réalité des services éducatifs de la petite enfance au Québec. Testez vos connaissances dès maintenant!