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La chasse ratée aux aurores boréales

Se perdre pour dater le ciel.

Par
Jean Bourbeau
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« R’trouve tes lunettes d’éclipse, pis check le soleil, y a un gros spot noir », me texte un ami passionné de science un peu trop enthousiaste à mon goût.

Le voilà qui m’appelle : « C’est une éruption solaire, ils l’ont affectueusement nommée AR3664. Elle est 15 fois plus volumineuse que la Terre et envoie des nuages de plasma vers notre planète, ce qui devrait déclencher de puissantes aurores boréales. »

Visiblement, l’éclipse l’a changé : il n’était pas comme ça avant.

J’enfile mes lunettes d’éclipse et fixe le soleil. En effet, on y distingue des picots.

Mais pourquoi ne pas écouter ses conseils, surtout après tout l’enthousiasme suscité par l’éclipse, devenue un véritable phénomène social? Après tout, des aurores boréales, je n’ai jamais eu l’occasion d’en observer.

« On frôle la G5 », « KP8-KP9, ça varie beaucoup. Mais ça va être big! »

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Sur le web, le hype est vrai, mais la plupart des informations que je trouve sont dans une langue qui m’échappe. Ah, tiens! La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) aux États-Unis affirme que l’orage géomagnétique prévu pour cette nuit pourrait être le plus intense en près de 20 ans.

Bon, un peu de gravité historique, ça, j’aime ça.

Avec un ciel dégagé en vue, il est recommandé de chercher un horizon vers le nord, avec le moins de pollution lumineuse possible.

Ensuite, avec une température clémente, c’est une soirée parfaite pour une tempête géomagnétique, loin du froid polaire du Nunavik. Pourquoi ne pas saisir cette chance pour embrasser pleinement ma nordicité?

OK, let’s go.

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À 21h45, je quitte le Mile End et embarque sur la 15 en direction nord, avec l’espoir de me perdre dans le vaste spectacle céleste.

Ce n’est qu’une fois passé Saint-Jérôme que je rencontre ma première aurore boréale. Elle est nette, verdâtre, éphémère, et je ne peux m’empêcher de laisser échapper un gros sacre de stupéfaction.

C’est toute l’excitation d’une première fois qui m’envahit.

Alors que je m’éloigne progressivement de la civilisation, je prends des sorties au hasard, cherchant à m’aventurer plus profondément dans les ténèbres boisées. Cependant, je me retrouve sur des chemins sans intérêt, des culs-de-sac habités par du monde sketch qui viennent à la fenêtre se demander pourquoi y a une Civic qui fait un U-turn devant chez eux à cette heure-là.

Lac de la tortue, chemin du loup, j’évite de justesse un porc-épic. Je suis vraiment plus un coureur des bois qu’un chasseur d’aurores. Je lève les yeux d’inquiétude et je vois encore les rayons multicolores passer, bien que quelque peu diffus.

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C’est à Saint-Agathe-des-Monts que je découvre enfin un spot idéal. Discrètement, je saute par-dessus la clôture de la plage municipale pour installer mon trépied dans le sable et capturer mes premières images, profitant du reflet du lac. Je suis, sans blague, émerveillé.

Grâce à des expositions lentes, le ciel se révèle dans toute sa splendeur, une vision qui contraste fortement avec son apparence sombre à l’œil nu. La différence est telle que je me demande si les aurores ne sont pas avant tout un phénomène photographique.

Voici une scène avec une exposition courte.

Cette fois, avec une exposition de 8 secondes.

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De l’autre côté de la rive, je rencontre un couple de marcheurs qui les capture avec leur téléphone portable. La dame me confie qu’elle est un peu déçue, ayant déjà eu l’occasion d’observer des aurores vraiment plus dynamiques et lumineuses au nord du Québec. Elle me dit même qu’elle s’en va à l’automne aux Territoires du Nord-Ouest pour « en voir des vraies, ben plus impressionnantes. J’comprends pas, il annonçait ça comme des grosses aurores! »

Je poursuis mon chemin vers le nord et je tombe sur une cantine abandonnée. J’en profite pour l’immortaliser avec le show derrière.

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Avant de reprendre la route, je fais l’erreur de consulter mon fil Instagram. Mon enthousiasme s’effondre.

Les aurores boréales inondent littéralement les réseaux sociaux, et je réalise que ma tentative de trouver un endroit isolé pour les observer ne servait absolument à rien.

Alors que je croyais avoir réalisé un coup fumant en me dirigeant vers le nord, je découvre que des centaines de photos ont été prises depuis le centre-ville de Montréal. Tant mes amis photographes que mes amis de chantier partagent des clichés époustouflants, rendant mon scoop astral complètement insignifiant. Pire, on est déjà tanné.

Mais quel idiot.

Je m’arrête dans une station-service, où le commis adolescent est à l’extérieur, lui aussi avec un trépied et une caméra. Nous engageons la conversation, on compare nos photos et je lui confie ma légère désillusion, pensant que j’allais assister à quelque chose de vraiment extraordinaire, loin des lumières de la ville. Il m’explique alors que la tempête est tellement intense qu’elle illumine entièrement le ciel, créant elle-même une « pollution lumineuse » qui diminue sa beauté pour notre regard. Je ne suis pas sûr de la crédibilité d’un pompiste en matière de science atmosphérique, mais son explication me semble logique, surtout après avoir vu des photos, de la Côte-Nord à l’Outaouais, qui montrent un ciel rempli du même éclat.

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Je poursuis ma route vers Tremblant, sans conviction particulière, et finis par faire demi-tour à 1:30, le cœur bou-bou. Pourtant, sur le chemin du retour, solitaire sur la route, je suis honoré d’un ciel ondulant, où se succèdent des vagues de couleur au charme presque surnaturel.

Parfois, on se laisse entraîner par des lubies sans trop comprendre pourquoi, comme le choix de se coucher à 3 heures du matin alors qu’une promenade au parc Jarry aurait suffi. Par moments, c’est simplement le tourbillon de l’inattendu qui nous emporte.

Ivre d’aurores.

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