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Jouer dehors l’hiver à Montréal : comment faire mieux pour y arriver?

Même si la métropole s'en tire pas mal, il y a encore du chemin à faire.

Par
Karine Côté-Andreetti
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La météo alimente tous nos small talk. La météo est la p’tite craque de lumière par laquelle nous entrons en contact. Il s’agit souvent de la première conversation que nous avons avec une nouvelle personne. Surtout l’hiver. « Eh qui fait frette! » et ses multiples déclinaisons reviennent chaque année dans le voisinage, en même temps que quittent les snowbirds.

Justement. Qu’est-ce qui explique que certain.e.s Québécois.es fuient la saison froide?

«On a tout fait pour éviter l’hiver […] Maintenant, on veut vivre l’hiver, mais on sait plus trop comment.»

L’hiver au Québec est pourtant particulièrement lumineux comparativement à celui des villes nordiques scandinaves, ces mêmes villes où la nordicité est embrassée, attendue. Ici, elle est plutôt subie, affrontée. Considérant que l’hiver est un pan très important de l’identité québécoise (après tout, « mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver ») cette dichotomie est curieuse.

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« C’est quand même un défi de vivre dans le froid », répond Olivier Legault, cofondateur du Laboratoire de l’hiver et urbaniste chez Rues principales. « Les générations antérieures étaient donc fières d’avoir apprivoisé l’hiver, d’avoir réussi à isoler leurs maisons. Pendant une période de notre histoire, avoir la possibilité de rester bien au chaud à l’intérieur pendant l’hiver était l’aboutissement d’innovations importantes. On a tout fait pour éviter l’hiver, jusqu’à inventer des démarreurs à distance qui chauffent nos voitures d’avance. Maintenant, on est dans le retour du balancier, on veut vivre l’hiver, mais on sait plus trop comment. »

En effet, le tourisme hivernal gagne en popularité. Il faut dire qu’avec les changements climatiques, nous sommes sous l’impression que vivre le froid et toucher de la glace deviendront des raretés. Il y a une espèce d’urgence, un empressement d’expérimenter l’hiver tel qu’on le connaît aujourd’hui.

« Il faut des offres récréatives hivernales dans l’espace public, dans les endroits où les gens aiment le moins l’hiver, et ça, c’est dans les centres urbains, que ce soit Rosemont ou le centre-ville de Saint-Hyacinthe, mentionne Olivier. Il faut développer des produits pour mieux vivre l’hiver, créer des expériences et repenser nos espaces extérieurs pour qu’on puisse les habiter toute l’année. »

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L’aménagement sensible au climat, c’est quoi?

Pour augmenter la qualité de vie extérieure, il faut des aménagements qui s’inspirent des éléments et processus naturels.

«Il faut développer des produits pour mieux vivre l’hiver, créer des expériences et repenser nos espaces extérieurs pour qu’on puisse les habiter toute l’année.»

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En 2019, 61 stratégies ont été proposées dans le guide Ville d’hiver, rédigé d’ailleurs par Olivier Legault. L’objectif est d’aménager des milieux de vie de proximité – en prenant en considération les contraintes imposées par la saison froide – qui favorisent la pratique d’activités physiques, brisent l’isolement et révèlent le caractère identitaire et inclusif de l’hiver.

Les propositions sont variées et concrètes : surélever les passages piétons, augmenter le nombre de patinoires réfrigérées, créer des microclimats (par exemple en réfléchissant les espaces en fonction de l’exposition aux rayons du soleil, en les protégeant du vent ou en facilitant la gestion de la neige/pluie/sloche), autoriser l’aménagement de terrasses chauffantes et de « placottoirs » chez les commerçants, ajouter plus de conifères, favoriser la pratique du vélo d’hiver, mettre en place des installations lumineuses, etc.

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Depuis la publication du rapport il y a trois ans, est-ce que la métropole s’est aménagée de façon sensible à l’hiver? « On choisit de plus en plus des végétaux tolérants au sel de déglaçage, il y a plus de sensibilité aux microclimats quand on réfléchit des espaces… mais honnêtement, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Par exemple, on a 35 buttes pour glisser pour 8 millions d’habitants, ça ne fonctionne pas. »

Surtout dans un contexte pandémique où l’extérieur est le lieu de rassemblement le plus sécuritaire, il est étonnant que davantage d’efforts n’aient pas été déployés pour apprivoiser notre saison mal-aimée. Mais être le seul lieu de rassemblement possible est-il suffisant pour donner envie de rassembler?

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Oui, l’hiver est rassembleur

Être exposé.e.s aux mêmes défis climatiques rassemble les humains qui les vivent. Cela est vrai au-delà des catastrophes, même dans la simplicité. Il y a une petite magie solidaire qui se crée dans le voisinage lors d’une grosse bordée de neige, un Patronus qui se promène d’entrée en entrée alors que tout le monde s’active, déneige, pellette, sacre et s’entraide en poussant les voitures hors des bancs de neige.

Comment recréer cette magie, les sacres en moins?

L’urbaniste me répond en citant en exemple la ville suédoise de Luleå, où le climat hivernal est semblable à celui de Montréal. Là-bas, il est possible de circuler en traîneau dans les rues commerciales, et pour les piétons, les trottoirs sont chauffés. Autour de l’espace public du centre-ville, il y a un parcours illuminé, une forêt, un sentier en patinoire de 14 km ainsi qu’un parc.

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«Il faut ajouter des buttes pour glisser, des espaces avec des feux, il faut créer des microclimats et il faut surtout faire cela près des rues commerciales où les terrasses chauffées seraient autorisées.»

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« Cet exemple est inspirant, parce que l’idée principale est de créer des lieux de vie de proximité au sein d’un même parcours, souligne Olivier Legault. Si on prend une marche l’hiver, on doit pouvoir s’arrêter dans un espace qui nous invite à rester longtemps. Les lieux récréatifs doivent être mis en valeur. Il faut ajouter des buttes pour glisser, des espaces avec des feux, il faut créer des microclimats et il faut surtout faire cela près des rues commerciales où les terrasses chauffées seraient autorisées. »

Bref – et cela est vrai pour nos quatre saisons – il faut revenir à ces fameux quartiers de proximité (où nous pouvons habiter, acheter et s’adonner à des loisirs) que nous avons abandonnés il y a des années au profit de l’étalement urbain et du lobbyiste immobilier.

Le guide Ville d’hiver propose également de conserver les rues piétonnes toute l’année afin d’offrir un lieu de rassemblement hivernal supplémentaire aux gens pour s’amuser dehors (jouer au hockey, faire des bonshommes de neige, etc.). Cela permettrait même de diminuer les kilomètres de rues à déneiger.

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Le principe est semblable à celui des ruelles blanches, en fait. « La ruelle est un lieu de rencontre et d’implication citoyenne par excellence, note l’expert. Il y a quelques années, pour un projet de ruelle blanche, on a récupéré tous les anciens sapins de Noël et on a créé une forêt enchantée illuminée avec une glissade et des endroits pour s’asseoir. Ça ne prend pas grand-chose pour mobiliser les gens. »

Une culture de la nordicité inclusive

Sur la question de la culture de la nordicité, l’expert de l’hiver est sans équivoque : pour développer une culture hivernale semblable à celle des pays scandinaves, il faut pouvoir pratiquer des sports traditionnels partout. « Il faut réinventer les façons dont on joue dehors, dit-il. Avec le Laboratoire de l’hiver, on a exploré la possibilité du curling : ça prend une glace synthétique – on pourrait prendre des matériaux recyclés –, c’est super familial, des personnes âgées comme des enfants peuvent y jouer. »

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Il s’agit effectivement d’une proposition étonnante et pertinente, considérant l’éléphant dans la pièce : les changements climatiques qui vont changer le visage de l’hiver. « Quand il faudra réfrigérer nos patinoires toute la saison, par exemple, les coûts vont augmenter et nous ne pourrons pas en créer autant, mentionne Olivier. Nous devrons faire des choix. Il faut penser tout de suite à des alternatives. »

Cependant, même s’il fera plus doux, nous aurons encore de la neige et les normales de saison seront encore sous zéro. Vaut mieux, alors, cesser le déni du frette dès maintenant : « Les usagers de l’espace public sont rarement habillés adéquatement pour être longtemps à -10 °C lorsqu’ils vont au travail, à l’épicerie ou chercher les enfants à la garderie, fait valoir le spécialiste. Donc le switch vers le mode récréatif est difficile à faire, il faut prévoir plus de temps, il y a plus d’étapes pour jouer dehors, c’est souvent assez pour décourager. »

«Le cocooning n’est pas aussi satisfaisant si nous ne profitons pas du froid!»

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Pas moins de 51 % de la population québécoise aime l’hiver, et 80 % de ces personnes pratiquent des sports. « L’idée n’est pas de dénaturer l’hiver, qui sera toujours une saison où nous sommes plus introvertis, plus recentrer sur soi-même et nos proches. Mais le cocooning n’est pas aussi satisfaisant si nous ne profitons pas du froid! », philosophe Olivier.

Toutefois, nous ne sommes pas tous et toutes égaux devant notre nordicité. Le plein air en général est une culture assez homogène, mais l’hiver, plusieurs facteurs sociaux, culturels et économiques deviennent des freins supplémentaires. Ainsi, certaines populations n’ont pas les privilèges pour pratiquer un sport d’hiver, comme les personnes immigrantes, celles en situation de pauvreté, celles vivant avec un handicap, celles vivant dans un corps pour lequel il n’y a pas beaucoup de choix de vêtements chauds, pour ne nommer que celles-ci. Les personnes âgées sont également beaucoup plus isolées l’hiver.

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« C’est pour ça que j’insiste beaucoup sur l’hiver du quotidien et les offres gratuites dans tous les quartiers, pas juste dans la métropole. Il y a tellement de choses à développer pour faire de l’hiver un élément fort de notre identité, alors l’inclusivité doit être une priorité », conclut Olivier.