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Je suis devenu prof au cégep (un peu) sur un coup de tête

72 heures pour apprendre à enseigner.

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Lundi matin, 8h45. Impossible d’allumer l’ordinateur de la classe. Appuyer sur le bouton d’alimentation du projecteur n’a aucun effet sur l’appareil. Et il n’y a que 28 bureaux pour accueillir les 35 élèves qui seront assis.e.s devant moi dans moins d’une demi-heure pour le premier cours de cette nouvelle session cégépienne. Tout. Va. Bien.

Heureusement, Max, le coordonnateur de mon département, est là pour me donner un coup de main. On démystifie le fonctionnement du projecteur, il m’aide avec l’ordi, et il y a finalement assez d’absentes et d’absents pour que tout le monde puisse s’asseoir à son propre bureau.

Les élèves n’ont peut-être même pas remarqué que c’est la première fois de ma vie que je donne un cours. Il y en a trois qui dorment sur leur table. Je me dis que c’est un bilan pas si pire pour le premier matin de l’année scolaire.

Cette job, ça ne fait que quelques jours que je l’ai. Ce mélange d’émotions (stress, soulagement, angoisse, fierté) sera celui qui m’habitera pour les prochaines semaines alors que j’apprendrai, tant bien que mal, à devenir un prof – un métier pour lequel je n’ai pas étudié, comme beaucoup d’autres enseignants au Québec.

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Notions de pédagogie, un atout

Une chose qui distingue le cégep du primaire et du secondaire, c’est qu’une formation pédagogique n’est pas requise pour enseigner. En fait, rares sont les profs qui ont fait des études formelles en enseignement avant d’être embauchés.

Presque tous les collègues avec qui j’ai parlé depuis le début de la session ont été embauchés sur la base d’études universitaires de deuxième cycle (les professeurs de français et de philo, par exemple) ou d’une expérience professionnelle pertinente. C’est mon cas : voilà 10 ans que je suis journaliste, et je donnerai donc des cours au département de médias.

Inutile de vous dire que les conseillers pédagogiques mis à ma disposition ont un grand rôle à jouer dans l’équilibre mental que j’ai réussi à trouver depuis le mois d’août. Activités d’ouverture et de clôture de cours, approches d’enseignement, ressources de planification de cours, idées pour innover (en utilisant l’intelligence artificielle comme alliée plutôt que comme ennemie, notamment)… Sans leurs conseils, je me sentirais comme un imposteur (alors que là, mon sentiment d’imposteur varie entre 40 et 60 %, une belle amélioration).

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Même si j’ai une charge à temps partiel seulement, j’ai bûché comme je l’ai rarement fait par le passé pendant le mois de septembre. Mais la fatigue est toute oubliée le lundi quand, devant ces élèves pas tout à fait réveillés, je vois quelques éclairs de compréhension apparaître à gauche à droite.

Il est 9h10, on est dans un local sans fenêtre du sous-sol, certains se demandent ce qu’ils foutent là…

Ils auraient toutes les raisons d’être apathiques, et souvent, ils le sont.

Mais quand je les vois sortir tranquillement de leur torpeur, le sentiment d’accomplissement est incroyable. Gros buzz.

En mode survie

À la mi-session, les élèves disposent d’une semaine sans cours pour se remettre de leurs émotions des deux premiers mois. Pour les nouveaux profs, ça a plutôt été l’occasion de suivre des formations. Oui, j’y allais à reculons ; je pensais que ça serait une semaine de relâche pour moi aussi, mais finalement, ce que j’y ai appris a été très utile et révélateur.

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Un exemple? Mon embauche, environ 72 heures avant que j’aie à donner mon premier cours, n’était pas du tout exceptionnelle. Une prof d’éduc est arrivée à la semaine 3. Tous les nouveaux enseignants de français ont appris qu’ils auraient une charge à temps plein à la mi-août, soit une dizaine de jours avant le début des classes. Et la réaction de tout le monde quand une collègue de sciences pures révèle avoir été engagée au printemps (cinq mois d’avance!) en dit long sur les délais habituels.

Ça fait partie de la game et ça a aussi fait en sorte que j’ai été dans l’action immédiatement ; pas le temps de stresser pendant tout l’été à l’idée d’enseigner pour la première fois.

L’instinct de survie prend le dessus. On va à l’essentiel et on fait de notre mieux.

Tout le monde a sa théorie sur le nombre de sessions que ça prend avant de vraiment se sentir à l’aise, mais on s’entend qu’à la première, la perfection n’est pas attendue. Les gens qui nous entourent nous le rappellent souvent, ce qui fait vraiment du bien.

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Un lieu de contestations

Renouer avec le cégep près de 15 ans après l’avoir quitté, c’est retrouver un lieu de contestations et de luttes sociales. J’ai fait mon cégep à Saint-Laurent, puis mon bac à l’UQAM autour de 2012, alors j’ai passé pas mal de temps en grève. Depuis, en travaillant comme journaliste pour de nombreux médias – où la prise de position, au nom de l’impartialité, n’est pas tolérée – j’avais un peu oublié ce à quoi tout ça pouvait rimer.

Il y a deux semaines, les étudiants du cégep ont fait la grève en soutien avec la Palestine. Notre syndicat prend aussi position sur une multitude d’enjeux de société. Puisque je continue à pratiquer le journalisme, je ne suis pas nécessairement à l’aise d’être de ces débats et de prendre position, mais j’adore voir cet écosystème en action.

L’envie de devenir prof a commencé à naître il y a environ deux ans, pendant une période creuse entre deux contrats. Je suspecte que l’idée était là avant, mais que je ne m’en rendais pas compte. Ma transition vers l’enseignement à temps plein ne s’est pas encore faite, et ça pourrait encore tarder, voire ne jamais arriver ; progresser dans la liste d’ancienneté peut prendre pas mal de temps.

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(Ceci dit, si le temps plein et la permanence me sont un jour accessibles, la rémunération – qui varie entre 56 000 $ et 108 000 $ par année, selon le diplôme et l’expérience – et les avantages sociaux seraient plus qu’intéressants.)

Me mettre dans cette situation de précarité à la mi-trentaine, c’est pas le choix que me suggérerait un conseiller financier. Mais, jusqu’à maintenant, je suis content d’avoir suivi mon instinct. Il me dit que je suis à ma place devant ces élèves qui, quelques heures par semaine, acceptent de délaisser leurs écrans pour venir apprendre.

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