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Je me suis offert du luxe pour la toute première fois

Après 32 ans de pauvreté, voici toutes mes questions (un peu intenses) à l’aube de ma première grosse dépense.

Par
Vincent Descôteaux
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J’ai réservé un grand chalet à moi seul pour la première fois de ma vie et je montre à tout le monde des photos de cet endroit comme vous me montreriez des photos de vos enfants. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau! Mais ça ne vous intéresse pas beaucoup – je respecte ça.

J’écris autant d’articles à propos de mes dépenses parce que je ne suis pas habitué à en faire.

Je reconnais autant que ce soit humainement possible mes privilèges d’homme blanc considéré comme hétérosexuel (je ne le suis pas, mais je gagne très peu à obstiner les gens là-dessus) nord-américain qui, depuis plus ou moins 8 mois, survit d’une paie à l’autre.

Je me considère privilégié, chanceux et en groooosse lune de miel avec l’idée de pouvoir dépenser.

Après 32 ans à vivre grandement en dessous du seuil de la pauvreté, ce changement est extraordinaire… et parfois confrontant.

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J’en ai jasé avec quelques autres petits nouveaux de la classe moyenne et j’ai constaté que je ne suis pas seul à me poser mille et une questions quand vient le temps de me payer un peu de luxe, et ce, même si j’ai les moyens de le faire.

Quelle est la meilleure façon de procéder ?

Avoir de faibles revenus ne veut pas automatiquement dire qu’on se prive constamment. On a plutôt tendance à être stratégique dans la façon dont on se paie notre luxe. On est un peu anxieux de ne pas se gâter de la manière la plus économique qui soit.

Si par exemple, on se paie un voyage qu’on met sur la carte de crédit, on va commencer par chercher longtemps la date la moins chère autant pour se loger que pour se déplacer. Ceci fait, on planifie le voyage juste avant ou juste après une période plus lucrative dans notre année. On s’assure ainsi que notre nouveau bronzage ne vienne pas avec une dette à long terme.

À titre très personnel de travailleur autonome, je suis excessivement efficace pour me trouver des contrats quand je viens de charger ma marge de crédit. Ce n’est pas un hasard.

J’ai littéralement peur du vide financier que je viens de créer et je fais tout pour le combler.

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Aujourd’hui, même si j’ai concrètement les moyens de me louer un chalet, je vais quand même le louer en basse saison et aussitôt essayer de me trouver des contrats de photos dans des mariages pour annuler la dépense. On ne parle plus de combler un vide, on parle d’enlever un peu de glaçage sur le top d’un gâteau et d’aussitôt courir à l’épicerie pour en acheter un deuxième.

Est-ce que c’est logique? Non, pas beaucoup. Est-ce que je vais arrêter? Ce n’est pas dans mes plans.

Et si cet achat me faisait redevenir pauvre ?

Je crois que c’est le grand Réjean Ducharme qui a dit : « si j’ai 10 cennes, je dépense 10 cennes. Si j’ai 10 000 $, je dépense 10 000 $ ». C’est excessif, mais plein de sagesse.

Il est très facile de développer une relation d’angoisse avec son passé financier. On a toujours un peu peur de ce qui peut arriver, surtout quand on a connu la pauvreté.

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L’humain a tendance à plus ou moins adapter ses dépenses en fonction de l’argent qu’il ou elle possède… SI LES CONDITIONS DE VIE FONT UN PEU DE SENS (looking at you, crise du logement).

Bref, avant chaque grosse dépense de type voiture, logement, congé sans solde, thérapie ou autre investissement qui répond à des besoins concrets, on se pose souvent la question : « Est-ce que ça va me ramener dans cette pauvreté que j’ai connue? »

Il n’y a pas vraiment de solution. J’irais même jusqu’à dire que plus on a été pauvre longtemps, plus la distance temporelle avec cette réalité fout la frousse. Ceci dit, essayez de garder en tête que vous y avez déjà survécu et qu’un budget, ça se réadapte à la baisse, si besoin.

C’est aussi une réalité dans laquelle vous ne serez pas dépaysé, car vous y avez déjà séjourné.

Est-ce que j’en ai vraiment besoin?

Je ne suis pas un admirateur de Pierre-Yves McSween, mais il faut reconnaître que son livre a un pas pire titre.

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Il est important de ne pas se priver, dans la vie. À mon humble avis, c’est un brin étrange comme idée de se refuser tout plaisir pendant les 40 meilleures années de sa vie dans le but de pouvoir enjoliver les 20 où on est le moins autonome. Ceci dit, il faut aussi se rappeler que dépenser de l’argent crée une forte sécrétion de dopamine. Comme quoi, parfois, ce n’est pas un luxe, mais bien un buzz qu’on se paie.

La dépendance à la dépense est bien réelle et vient parfois avec son lot de honte quand on y cède. Mais elle n’est pas toujours justifiée.

En fait, pour pousser l’idée d’en avoir réellement besoin un peu plus loin (je n’ai jamais lu son livre, en passant) la conception d’un besoin varie d’une personne à l’autre et change en fonction du revenu de ladite personne et de sa personnalité.

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Par exemple : J’habite dans un trois et demi, mais j’ai un revenu qui pourrait me permettre de vivre dans un 5 et demi. J’aime l’idée de vivre dans un plus grand lieu, mais je n’ai aucun plan pour ces deux pièces supplémentaires. C’est quand même un effort de résister, mais je sais que je m’évite de la honte en n’habitant pas dans un endroit contenant deux bureaux qui ne servent à personne.

Et inversement : j’ai mis 4 mois à me convaincre d’acheter une PS5 et pourtant, j’en ai besoin. Ce n’était pas le cas avant, car j’avais moins d’argent pour me la payer puisque je travaillais moins. J’avais donc un moins grand besoin de décrocher. Aujourd’hui, je travaille énormément et le plaisir que ma console de jeux vidéo m’apporte est essentiel. Il s’agit donc d’un achat que je n’ai jamais regretté.

J’aime le fait que mon budget puisse survivre à de grandes dépenses, mais que j’entretienne l’exercice de tout questionner avec la même intensité que j’avais quand j’étais en mode survie. J’espère honnêtement que ça va durer encore longtemps.

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À quel point suis-je content?

Énormément.

Après tous ces questionnements, si on arrive à se payer un luxe d’une manière réfléchie, responsable, viable à long terme, sans nous remettre dans la misère et avec tout le self love au monde, se payer son premier luxe est un sentiment absolument grisant.

Il ne s’agit pas d’un hasard si la location d’un chalet dans la région de Lanaudière pour six jours de septembre a temporairement remplacé ma personnalité. Pour le commun des mortels, mon chalet représente une simple transaction sur Airbnb, mais pour moi, c’est la grande finale des 15 dernières années de vie adulte où chaque imprévu financier déterminait si j’avais droit à trois ou un repas par jour.

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J’ai eu faim, les amis. On est beaucoup à avoir eu (et a encore gravement avoir) la dalle parce que l’épicerie est un luxe compliqué à gérer.

J’ai la chance de m’en être sorti… pour l’instant. Mais d’ici à ce que je sois cassé à nouveau, j’ai six jours de vacances bien méritées qui symbolisent un changement grandement apprécié dans mes finances.