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J’ai réalisé mon rêve (et c’était paniquant)

Est-ce que j’en faisais assez pour en profiter?

Par
Pier-Luc Ouellet
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Depuis que je suis tout jeune, mon rêve était d’aller au Japon. Quand les professeurs nous demandaient nos rêves dans la vie, la plupart répondaient « devenir joueur de hockey professionnel » ou « aller sur la lune ». Moi, je disais que je rêvais d’aller au Japon. Au lieu de m’accomplir ou de réaliser de grandes choses, je rêvais d’aller sur Expedia flamber 2000 $.

Et l’automne dernier, j’ai réalisé mon rêve. Je suis allé passer deux semaines au Japon. Et ça m’a fait paniquer.

Avant le départ

Déjà, je suis de nature anxieuse. Et y’a rien qui me fait capoter comme DEVOIR faire quelque chose. Genre, DEVOIR avoir du fun. Chaque année, je suis impatient en pensant à Noël. Si c’était de moi, le calendrier de l’avent commencerait dès que minuit sonne à l’Halloween. Mais pendant le temps des fêtes, je deviens une boule d’anxiété, parce que j’ai passé des mois à me dire que ça serait donc ben extraordinaire, et je me mets à culpabiliser de ne pas réussir à être heureux que dans mon imagination. C’EST PAS DE MA FAUTE SI LES PUBS DE NOËL DE CANADIAN TIRE AVEC MICHEL FORGET N’ÉTAIENT QUE TISSUS DE MENSONGES!

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Fait qu’imaginez tout le stress qui m’habitait quand j’appréhendais un voyage que j’avais attendu TOUTE MA VIE. Dès le moment où j’ai appuyé sur le bouton « acheter » sur le site d’Air Canada, je suis devenu complètement inutile. J’avais beau avoir lu sur le Japon et avoir parlé avec des Japonais pour avoir leurs conseils sur les endroits à visiter, c’est ma blonde qui a planifié tout le voyage toute seule.

Fait qu’imaginez tout le stress qui m’habitait quand j’appréhendais un voyage que j’avais attendu TOUTE MA VIE. Dès le moment où j’ai appuyé sur le bouton « acheter » sur le site d’Air Canada, je suis devenu complètement inutile.

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Juste me mettre à penser aux activités que je voulais faire, le motton me montait à la gorge. Quelle activité devrais-je choisir? Allais-je regretter d’avoir fait le choix de cette activité plutôt qu’une autre? Pourquoi m’étais-je soudain mis à écrire dans un temps de verbe si curieux?

Un moment, je suis même allé vérifier si ma carte de crédit offrait l’assurance pour annulation de voyage. Parce que je me disais : peut-être que je ne suis pas prêt, je suis trop nerveux, je devrais tout annuler et attendre plus tard.

Mais finalement, ma carte de crédit ne couvrait pas l’annulation en cas de « je gère mal le bonheur » et j’ai dû partir quand même.

Le départ

Dans les jours précédant mon départ, tout le monde y allait de ses vœux : « profite de ton voyage » « tu vas capoter, le rêve de ta vie! » En effet, je capotais, mais pas comme j’aurais voulu. Pendant qu’on était à l’aéroport, j’essayais de me ramener à ce conseil que ma psychologue m’avait donné : « connecte-toi au moment présent ».

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Tentant de vivre l’instant présent, je me fermais les yeux et j’écoutais les sensations de mon corps. La bosse inconfortable du siège en plastique, l’odeur de produits nettoyants chimiques et de monde qui enlèvent leurs bottes et qui sentent les petits pieds, le doux son du haut-parleur qui répète : « Monsieur AF%*% »! % JGN&? *! est demandé à l’embarquement, je répète, monsieur KK$ »! $ %% NAS! P) demandé à l’embarquement, merci! » Ah, vraiment, les aéroports sont des endroits de rêve.

Rendu là, l’attrait de la nouveauté était suffisant pour me faire oublier mes craintes. J’étais trop occupé à essayer de comprendre le système de métro et à chercher mon AirBnb pour pouvoir être nerveux.

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Finalement, je suis arrivé au Japon. Rendu là, l’attrait de la nouveauté était suffisant pour me faire oublier mes craintes. J’étais trop occupé à essayer de comprendre le système de métro et à chercher mon AirBnb pour pouvoir être nerveux.

Le lendemain, on est allés se promener au centre-ville, ma copine et moi, et j’ai envoyé à ma sœur une photo de l’endroit où j’étais. Elle m’a répondu : « je suis super contente pour toi, tu réalises ton rêve. »

Et là la panique est revenue à pleine charge : est-ce que je réalisais vraiment mon rêve? Premièrement, est-ce que j’en faisais assez pour en profiter? Peut-être que j’étais trop nerveux pour vraiment en profiter pleinement, peut-être n’étais-je pas à la hauteur de mon propre voyage.

Ou peut-être était-ce l’inverse. Peut-être le Japon n’était-il pas à la hauteur de mes attentes. Après tout, mes sources étaient les bandes dessinées de Dragon Ball et Rapides et Dangereux : Tokyo Drift, et jusqu’à maintenant, je n’avais vu ni char avec des néons, ni homme-singe voler dans les airs. Si le rêve de ma vie n’était pas à la hauteur, comment pourrais-je un jour être satisfait de quelque chose dans la vie?

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L’épiphanie

Je réalisais que le voyage, en aucun cas, n’allait être comme ce dont j’avais rêvé. Quand tu as mis quelque chose sur un tel piédestal, rien ne peut être à la hauteur. Rien ne pourra être exactement comme tu l’as imaginé. Mais c’est une bonne chose.

Parce que c’est ce que j’ai fini par comprendre : non, rien n’allait être comme je l’avais imaginé. C’est justement ça l’intérêt de voyager : découvrir quelque chose de nouveau. Quand j’ai arrêté de me mettre de la pression d’aimer ça, de m’obliger à en profiter de façon optimale, quand j’ai arrêté de comparer la réalité avec mes espoirs, c’est là que j’ai enfin pu commencer à voyager.

J’ai finalement passé deux semaines à manger des ramens et des Kit-Kat aux saveurs funky en m’en câlissant, et je pense que le petit gars qui rêvait d’aller au Japon serait ben content pour moi.