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J’ai parlé d’argent avec un papa au foyer

Mon père gagne moins d'argent que le tien.

Par
Ariane Dupuis
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En grandissant, j’ai souvent éprouvé une certaine fierté à savoir que ma mère gagnait plus d’argent que mon père. Puisque la femme de ma maison n’avait pas besoin d’un homme pour répondre à ses besoins financiers, chez nous, l’argent n’a jamais été une question de virilité.

Mais globalement (et historiquement), on s’est retrouvé cloîtré dans des rôles de genre où maman prend soin des enfants, et papa fait vivre la famille. Aujourd’hui, même si on a compris que le patriarcat, ça fait tellement 1950, c’est encore souvent la femme de la maison qui porte la plupart de la charge mentale que comporte le soin de la maison et des enfants (souvent contre son gré : c’est surtout ça, le problème).

Chez certaines familles qui déconstruisent complètement les conventions, ce sont les femmes qui sont la source première de revenu du ménage, pendant que leur conjoint prend soin des enfants comme job à temps plein. En 2022, ce n’est pas censé être particulièrement choquant, et pourtant…

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Quand j’ai téléphoné à Louis-Philippe St-Laurent, papa à la maison depuis 2007, il m’a demandé d’emblée si je l’avais googlé. Il m’a gentiment expliqué que j’étais la énième journaliste qui l’approchait pour parler des papas à la maison. Après avoir témoigné une fois à la télé en 2014, c’est presque toujours à lui qu’on fait appel pour parler de paternité au foyer dans les médias, comme s’il était un héros qui avait révolutionné la parentalité.

Les mamans brillent moins fort

À coups de changement de couches et de confection de purées, Louis-Philippe porte sur ses épaules le thème de la parentalité masculine au foyer. Et chaque fois que le sujet est abordé, il se sent encensé, comme si un papa qui décidait de prendre soin de ses enfants à temps plein était particulièrement remarquable.

« Il y a des mamans qui font exactement la même chose et pourtant, elles ne passent pas à la télé », remarque-t-il. Il perçoit dans le traitement médiatique qui glorifie les papas au foyer « encore une injustice » envers les femmes.

Son occupation de père au foyer ne justifie pas à elle seule toute l’attention que Louis-Philippe reçoit, estime-t-il, même si son modèle familial dévie de la norme. « Le primary caregiver, ç’a été moi : juste parce que j’ai été présent, pas par aucune autre qualités personnelles particulières », rectifie Louis-Philippe, s’ôtant par le fait même la cape de superhéros qu’on lui a accolée.

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La parentalité au foyer en chiffres

Le visage de la parentalité a bien évolué dans les dernières décennies. En 1976, parmi toutes les familles canadiennes ayant un parent au foyer, environ 1 famille sur 70 avait un père au foyer. En 2015, c’était le cas de 1 famille sur 10.

C’est au Québec qu’on compte la deuxième plus grosse proportion de pères au foyer parmi les provinces canadiennes.

Cette modification est issue de la présence de plus en plus importante des femmes sur le marché du travail. Le nombre de familles comptant un seul soutien financier et ayant un parent au foyer a diminué, passant d’environ 1,5 million en 1976, à près d’un demi-million en 2015. Naturellement, le nombre de mères au foyer a baissé, mais le nombre de pères au foyer, lui, a augmenté.

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C’est d’ailleurs au Québec qu’on compte la deuxième plus grosse proportion de pères au foyer parmi les provinces canadiennes (15 % des parents au foyers sont des pères). Les provinces de l’Atlantique occupent la première position, avec 18 %.

Qu’en est-il de ces hommes qui ont accepté de mettre de côté le prestige et la supposée virilité qui vient avec le fait de gagner beaucoup d’argent?

Renoncer à son métier, c’est tout de même dire adieu à la reconnaissance sociale qui l’accompagne. Pour les hommes qui placent leur carrière au centre de leur vie, le choix de devenir parent à la maison peut être un deuil en soi, surtout quand on sait que la société a tendance à mesurer le succès d’un homme proportionnellement à l’argent qu’il fait.

Ça coûte combien, être parent?

Devenir parent au foyer, ce n’est pas une décision qui se prend à la légère. Pour Louis-Philippe, deux fois papa, le plus complexe ne fut pas l’aspect financier, mais bien la réalisation qu’il s’agit d’une occupation prenante, tant en termes de temps que d’énergie. « Et avant d’avoir le premier enfant, c’est impossible de le savoir », ajoute-t-il.

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Oui, pour devenir parent au foyer, il est préférable que l’autre parent, qui deviendra souvent l’unique soutien financier, gagne un bon salaire. Il faut aussi souvent faire preuve de simplicité volontaire. Mais un parent à la maison permet quand même quelques économies au ménage : il lui évite les frais de garderie et une partie des dépenses liées à l’embauche de gardien.ne.s, lui permet d’avoir plus de temps pour cuisiner tous les repas from scratch, etc. C’est très faisable, avec un peu (beaucoup) d’organisation.

Louis-Philippe, qui voulait éviter à son fils le chaos des garderies, estime que c’était « naturel » pour lui de devenir parent à la maison. Sa conjointe gagnait plus d’argent que lui, et il ne s’est jamais senti confronté dans sa masculinité pour autant.

« Au moment où mon fils est né, ma blonde faisait deux fois plus d’argent que moi, explique-t-il. […] Y’aurait fallu qu’on vive avec deux fois moins parce que c’est moi, l’homme, pis il faut que je rapporte l’argent? Ça n’avait pas rapport, surtout pas en 2022. »

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Son entourage n’a pas non plus fait de cas par rapport à cette décision : « Dans mes cercles, c’était cool depuis le début. J’ai eu beaucoup d’encouragements, pas beaucoup de jugement. […] Mais je pense qu’en général, il y a eu une évolution [dans les mentalités à travers les années]. »

Si la fierté que les hommes retirent de l’argent qu’ils gagnent a des racines capitalistes-patriarcales-pas-woke, Louis-Philippe s’en dissocie complètement. « Mon identité n’est pas liée ni à mon travail, ni à la quantité d’argent que je fais, déclare-t-il. L’argent n’est pas une fin, c’est un moyen. »