Dans les dernières années, vous avez peut-être vu le cri de ralliement ALAB ( « All Landlords Are Bastards » ou en français : « Tous les Proprios sont des Salauds » ) circuler sur Internet, une variation du célèbre ACAB (« All Cops Are Bastards » ou en français : « Tous les Policiers sont des Salauds »).
Du côté d’une large proportion de locataires, la colère gronde en réponse aux proprios qui montent sans cesse les prix des loyers, exacerbant une crise du logement qui pousse bien des gens à la rue ou les laissent étouffés par le paiement de leur loyer à chaque début de mois.
Mais tous les proprios sont-ils nécessairement des salauds sans âme qui exploitent leurs locataires sans remords?
C’est un dilemme moral avec lequel jongle Marguerite*, une propriétaire de logements qui tente de naviguer le tout de la façon la plus éthique et humaine possible.
Devenir propriétaire sans vraiment en rêver
On entend souvent des histoires de propriétaires ambitieux qui économisent depuis leur jeunesse dans l’espoir d’acheter leur premier bloc à 18 ans et de gagner la partie de Monopoly géante en devenant des barons du logement.
C’est pas vraiment le cas de Marguerite. Elle a acheté son premier triplex en 2021, alors qu’elle et son conjoint étaient eux-mêmes à la recherche d’un logement : « C’était vraiment dans un contexte où je cherchais un endroit où habiter, et l’option d’acheter un bloc à logements et d’habiter un des logements s’est présentée à moi ».
Ensuite, le couple a déménagé, et a répété la même opération dans une nouvelle ville, cette fois avec un duplex, sans toutefois vendre le triplex qu’il possédait déjà.
« Maintenant, on a notre maison, mais y a jamais eu d’achat de bloc juste dans l’optique de louer. »
Bon, il n’est pas tout à fait vrai que Marguerite et son amoureux sont devenus proprios par accident puisqu’ils ont eux-mêmes décidé d’acheter des bâtiments locatifs et de les conserver.
Malgré tout, on est loin du portrait du proprio qui collectionne les « portes » dans le but de maximiser ses profits.
Ne pas se reconnaître dans le portrait des propriétaires
Depuis qu’elle est propriétaire de logements, Marguerite a fait la rencontre d’autres proprios, en plus d’être membre de groupes sur les réseaux sociaux.
Et ce qu’elle observe la désole : « Depuis la pandémie, il y a un discours, chez les propriétaires, qui a pris énormément d’ampleur. L’appât du gain résonne beaucoup chez certains. Ils essaient toujours d’avoir le plus de sous dans leurs poches, d’en faire toujours le plus possible, comme si y avait pas de limites au revenu ».
Marguerite se préoccupe des gens qui habitent ses logements, et ça paraît : « Y a vraiment une tendance qui pousse à faire le plus de profits possible sans respecter l’humain qui est derrière. Quand t’offres un logement, y a une personne derrière. T’es pas en train de dealer avec des plantes ou des objets ».
« J’ai l’impression que certains propriétaires déshumanisent l’immobilier. »
En fait, elle souscrit à l’idée voulant que le logement soit un droit (contrairement à notre gouvernement) : « J’éprouve un énorme malaise avec [cette course aux profits]. On vient marchander un droit qui est le droit d’avoir un toit sur la tête. Mon malaise vient du discours ambiant chez les propriétaires. En étant propriétaire, mais en comprenant les enjeux de droit au logement pour les locataires, je sais pas trop comment me positionner ».
Petit guide du.de la bon.ne proprio
Alors, comment fait-on pour être un.e bon.ne proprio?
D’abord, Marguerite essaie d’être raisonnable au niveau des loyers demandés : « Mes logements ne sont vraiment pas dans les prix du marché. […] En termes de prix, on n’abuse pas, et en termes de hausse non plus. Cette année, on n’a pas envoyé le total de la hausse à laquelle on aurait eu droit parce qu’on considérait que ça n’avait pas de bon sens ».
Elle essaie aussi d’offrir un milieu de vie agréable pour ses locataires : « On veut offrir un environnement de qualité. On autorise les animaux parce qu’on pense que les locataires devraient se sentir chez eux ».
Marguerite entretient également une bonne communication avec ceux et celles qui habitent ses logements : « La relation est super bonne. On est beaucoup dans la communication. Si, par exemple, y a un enjeu de leur côté, ils n’hésitent pas à nous contacter et on essaie de réagir le plus rapidement possible. Et à l’inverse, si on observe une situation qui ne nous convient pas ou qui ne convient pas aux voisins, on essaie aussi de réagir de façon humaine ».
Une colère légitime
Ceci étant dit, même si elle tente de faire de son mieux pour être une « bonne proprio », Marguerite comprend la colère des locataires, et elle ne s’en formalise pas : « Pour être propriétaire, ça prend plusieurs privilèges. Certaines personnes n’auront jamais accès à une hypothèque. Je ne pense pas qu’on est à plaindre. On est la gang des privilégiés. »
« Je peux comprendre la colère. »
Celle qui défend plusieurs autres causes sociales trace des parallèles : « Dans certains cas [les attaques envers les propriétaires ne sont pas justifiées], mais c’est un peu comme quand on s’attaque à un groupe de personnes privilégiées. Je ne suis pas là pour défendre les privilégiés. C’est pas mon rôle, et je n’ai absolument pas l’énergie de faire ça. »
Au terme de notre entrevue, je pose LA question à Marguerite : est-ce que ça se peut vraiment, un.e BON.NE propriétaire?
Marguerite réfléchit, puis me répond : « Je pense que oui, mais ça passe beaucoup par la communication et le respect des locataires. Je pense que c’est les propriétaires qui ont un travail supplémentaire à faire pour établir une relation positive. Souvent, les propriétaires vont connaître leurs droits et ceux des locataires (sans nécessairement les respecter), mais y a plusieurs locataires qui ne connaissent pas les leurs. Je pense qu’on a un rôle à jouer. Ça m’est arrivé de dire à mes locataires : ”Hey, t’as tel droit, je veux qu’on te protège là-dedans”. »
Mais Marguerite est également consciente des limites de son approche : « J’essaie vraiment de faire de l’immobilier à caractère humain. Mais est-ce que je suis parfaite? Absolument pas. Est-ce que je profite un peu de la société capitaliste dans laquelle on est? Certainement. Et c’est ça, au final, mon malaise ».
La route sera longue avant que le capitalisme ne cède sa place à une société véritablement égalitaire. En attendant, on peut toujours se souhaiter de croiser une propriétaire comme Marguerite.
*pseudonyme