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Infiltration dans le programme de médecine à l’UdeM
Jamais de ma vie n’ai-je considéré un avenir en médecine. J’ai toujours eu de la difficulté dans les matières qui requièrent un esprit rationnel, notamment en ce qui a trait aux sciences. Disons qu’à mes yeux, les maquettes de molécules s’apparentaient beaucoup plus à de délicieux bonbons reliés par d’élégantes réglisses qu’à des atomes. C’est probablement une des raisons pour lesquelles j’ai choisi d ’étudier en cinéma, préférant troquer les molécules pour la pellicule.
Au nom de tous mes semblables qui ont aussi déjà eu l’envie de se mettre une molécule de CH3COOH sous la dent, se demandant par le fait même à quoi ressemble réellement un programme de médecine, je me suis glissé pour une journée dans celui de l’UdeM de manière clandestine.
LA TAUPE
Disons que je ne suis pas arrivé à l’UdeM comme on entre dans un moulin. J’ai eu l’aide d’une connaissance qui y étudie actuellement. Histoire de préserver son anonymat, nous le surnommerons Bob.
La veille de mon infiltration, je lui ai posé quelques questions afin qu’il me brief un peu sur ce qui m’attendait. Étrangement, ma principale inquiétude était ma tenue vestimentaire. Devais-je porter des habits sombres? Un sarrau? Allais-je me pointer avec ou sans bonnet? La seule consigne de la part de Bob était la suivante : « Essaie d’avoir l’air le moins UQAM possible. » J’ai sourcillé.
MÉCHANT CHANGEMENT
Le métro s’arrête à la station Université de Montréal, sortant mon regard du vide. Je me dépêche de rejoindre l’entrée en verre, tel que Bob me l’avait indiqué, sous la fameuse tour en phallus de l’UdeM. Dans les escaliers, je constate que quelqu’un s’en est donné à cœur joie avec le thermostat, rendant l’air insupportablement chaud. Presque en sueur, je trouve mon chemin tant bien que mal vers la classe située au fin fond du pavillon Claire McNicoll.
En prenant connaissance des lieux, je me mets à espérer secrètement que l’équipe de Méchant changement débarque afin d’offrir un relooking au local qui manque cruellement de personnalité : les murs nus sont d’un jaune pâle défraichi, des tuiles manquent au plafond suspendu et les seules décorations de la pièce sont deux télévisions ainsi qu’un écran projecteur affichant le diaporama de la leçon d’aujourd’hui. Nous parlerons de cancer pulmonaire et d’investigation. Je frétille d’impatience alors que les étudiant.e.s prennent tranquillement place aux grandes tables disposées en escaliers sur plusieurs paliers. Le cours va commencer, Bob me fait signe de me taire.
QUIZ ET SCIENCE-FICTION
Un écran, qui jusque-là m’avait échappé, s’agite dans le coin droit de l’auditorium. Une scène tout droit sortie d’un film de science-fiction se crée alors devant mes yeux : sur l’écran, la professeure, une pneumologue au dynamisme critiquable, est assise à un bureau, prête à donner son cours à distance. Bon, elle ne porte pas un costume métallique et n’est pas dans un vaisseau spatial, mais tout de même, cette situation a des échos très futuristes. À noter que la cohorte de médecine de Trois-Rivières nous joint également à distance, profitant en même temps de l’air de la Mauricie. Je parie qu’il fait moins chaud par chez eux.
Le cours débute avec un petit quiz intitulé « Laquelle de ces personnalités connues a succombé à un cancer pulmonaire? ». Je ne sais pas s’il y a une voiture ou encore une bonne marge de crédit en jeu, mais je compte réellement gagner la partie. Avant que je puisse souffler ma réponse avec la force d’un candidat à La Guerre des clans, la dame nous indique qu’il s’agit du pauvre Jacques Brel. Évidemment, je suis déçu, puisque ce n’est pas ma réponse, mais je me surprends à trouver que la médecine est jusqu’à maintenant très facile.
HORREUR BRUTALE
Cela fait déjà 15 minutes que le cours est entamé et nous commentons les statistiques épidémiologiques d’un PowerPoint beaucoup trop noir et blanc à mon goût. Alors que je m’interroge quant au rapport texte/images de l’exposé, Bob, assis à côté de moi, a l’air de comprendre la matière de A à Z. Quelques minutes plus tard, une grande photo surgit sur la toile. Mon souhait semble avoir été exaucé.
Je sursaute avec horreur lorsque je réalise que celle-ci représente une main aux doigts enflés, les ongles épais et jaunes. Ma sensibilité hors pair se manifestant de façon verbale, quelques visages se retournent vers moi. Je reprends mon calme en regardant l’écran, hochant la tête, afin de démontrer mon habitude face à ce genre d’images. Une chance que mon bagage en cinéma m’a permis de jouer le médecin insensible, car ma mission a failli se terminer de manière brutale.
L’ANGOISSE
Les cliquetis des claviers de tout le monde qui transcrit des données créent une ambiance sonore très anxiogène. Ces personnes ont tellement l’air concentrées, presque en compétition pour savoir qui écrit le plus vite. Angoissé, je n’ai absolument aucune idée de ce que je dois prendre en note, puisque toutes les informations semblent futiles à mes yeux. Il est évident que je vais échouer à mon examen. Je pense à mes pauvres parents, qui m’ont obligé à suivre le cours de maths fortes en secondaire 4, et à la risée que je serai face à mes collègues médecins si je ne réussis pas à avoir mon doctorat.
Bob me donne un coup de coude alors qu’il réalise que je suis dans la colle. Je me rappelle soudainement que je n’étudie pas vraiment en médecine et que dans quelques heures, je redeviendrai un simple uqamien. Je confirme, c’est stressant, ce programme.
UN NOUVEAU STYLE
Enfin, nous allons en pause. Je n’ai qu’une seule envie, soit m’acheter un moelleux biscuit afin de me récompenser d’être encore en classe après ce bourrage de crâne. Le cours qui nous attend après est pour sa part donné par un autre professeur, étonnement empreint de dynamisme et de présence scénique, probablement parce qu’il est en chair et en os devant nous. Il vient nous parler de sepsis et de choc septique, deux termes dont je ne connais aucunement la définition et pour lesquels mon intérêt ne pourrais pas être plus faible. Je m’efforce tout de même d’écouter.
En tentant de trouver quelqu’un d’aussi perdu que moi, je remarque que le portable de la fille devant moi n’affiche pas les diapositives sur la matière à l’instar des centaines autour de nous. Heureux d’avoir peut-être repéré une autre espionne, j’essaie de décoder les signes sur son écran. Quelle ne fut pas ma déception lorsque j’ai compris que j’avais pris celle-ci en flagrant délit de recherche d’un nouveau style sur le site web du Dynamite. Personnellement, j’adorerais apprendre que mon médecin de famille a passé ses études sur des sites de magasinage douteux. Cela expliquerait d’ailleurs plusieurs choses.
UN GRAIN DE SABLE DANS L’ENGRENAGE
À la fin de la présentation, je salue Bob ainsi que mes nouveaux amis adeptes de doigts enflés, espérant par le fait même m’être trouvé un nouveau médecin de famille (à qui de droit, je suis toujours sur une liste d’attente).
Vers le chemin du retour, je me suis vraiment demandé comment ces personnes faisaient pour évoluer dans un environnement si stressant et exigeant. Cette pression, plusieurs étudiant.e.s m’en ont fait part durant mon infiltration, la qualifiant presque de malsaine. Comment se fait-il que nos futur.e.s soignant.e.s doivent mettre leur santé (surtout mentale) de côté afin d’éventuellement s’occuper de la nôtre?
À la lumière de mon périple, j’ai compris que la médecine, contrairement à mon idée des maquettes de molécules, ce n’est pas aussi rose bonbon que l’on pourrait le penser.