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Infiltration à l’École supérieure de mode de l’UQAM

Là où les standards de beauté n’ont pas la cote.

Par
Jacob Khayat
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« Enweille, vogue, laisse ton corps bouger sur la musique. […] Tu es une superstar. Oui, c’est ce que tu es, tu le sais. Enweille, vogue. »

Vous les aurez reconnues, il s’agit d’une traduction (très) libre des paroles de la chanson Vogue, interprétée par Madonna dans les années 90, paroles qui donnent envie de poser pour les plus grands magazines. Comme être à la mode est un art que je pratique avec parcimonie, j’ai décidé d’aller infiltrer le baccalauréat en gestion et design de la mode à l’UQAM pour rencontrer les futur.e.s professionnel.le.s du domaine.

Laissez-moi vous dire que cette journée-là, j’étais loin d’être une superstar comme ma bonne chumme Madonna : vêtu d’un vieux gilet noir presque troué et de shorts beaucoup trop larges pour ma taille, j’allais devoir passer incognito sous le nez de ces aspirant.e.s Donatella Versace et Jean-Paul Gauthier. Je me sentais petit dans mes culottes, et croyez-moi, c’était littéralement le cas.

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DÉCO INTÉRIEUR

La journée est grise et pluvieuse, mais la lumière trouve tout de même son chemin à travers le rez-de-chaussée, beaucoup plus petit que ce à quoi je m’attendais. Sur trois niveaux et au sous-sol, des corridors aux murs rouges arborent ça et là des affiches assez design merci.

Jusqu’ici, à part les deux mannequins emballés dans le Saran Wrap de la vitrine extérieure, rien ne nous laisse présager la nature de l’activité de l’endroit. C’est un peu chenu.

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Ce n’est qu’en arrivant au troisième étage que je découvre, terrifié, de grandes salles vitrées dans lesquelles des mannequins, tantôt suspendus tantôt sur trépieds, semblent attendre que j’y entre pour me sauter dessus.

Des machines à coudre et beaucoup d’objets en métal impossibles à identifier me donnent l’impression d’être entré chez Cruella de Vil. Je fais demi-tour : je ne pense pas que j’ai le droit de traîner ici.

TOUT EST DANS LE TISSU

J’ai du temps à tuer avant mon cours; je décide donc d’aller tester mon personnage d’étudiant un peu cocky. J’ai emporté avec moi un cahier dans lequel j’ai dessiné des modèles de vêtements affreux que je vais montrer ici et là, afin de voir si on va me remettre à ma place.

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Au sous-sol, j’accoste un gars et une fille assis à une table, leur expliquant que je suis un première année en recherche de conseils sur ma démarche. On m’invite alors à présenter le fruit de mon travail.

Fier comme un coq, je leur parle de façon décousue de mes inspirations, apercevant dans leur visage une pointe de compassion. J’ai vraiment l’air d’un novice.

« Tout est dans le tissu », m’affirme l’étudiante. Je lui rétorque : « Que pensez-vous du coton? » Elle esquisse un sourire, prise au dépourvu. Entendons-nous que si le coton avait une personnalité, il boirait des Pumpkin Spice latte au Starbucks et magasinerait probablement au Garage du Centre Eaton les fins de semaine. Basic.

Dotés d’une politesse inouïe et sans jamais avoir ri de mon travail, mes nouveaux amis m’assurent qu’il y aura toujours place à l’amélioration. C’est sûrement parce que je leur ai dit que mon oncle était Jean Airoldi (c’est faux, mes mononcles s’appellent Pierre et Marc). Quel culot, me lancerez-vous. Je suis culotté, en effet.

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DÉFILÉ ARROSÉ

C’est donc culotté jusqu’aux épaules, mais la culotte à la mi-fesse que j’entre dans le local qui me fera office de classe pour les prochaines heures. Environ 80 personnes, majoritairement des femmes, sont assises devant le professeur démuni qui tente tant bien que mal d’obtenir le silence depuis trois minutes afin de commencer la séance : « S’il vous plaît, je vous entends parler là-bas, s’il vous plaît! »

Le cours sur le patrimoine de la mode bat son plein. Depuis 20 minutes, on discute de la Fashion Week de New York, d’un sac de type « baguette », et de plusieurs autres morceaux très intéressants qui ont l’air de coûter la peau des fesses. Le prof nous demande alors de réfléchir à un défilé que nous avons apprécié.

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La seule parade que j’ai vue dans ma vie, c’était il y a trois ans, à l’école primaire où mes parents travaillaient. Des enfants de 10 ans défilaient habillés de vêtements assez ordinaires (du coton, probablement), devant une salle de parents trop peu épatés. J’ai de rares souvenirs de cette soirée, puisque les coupes de vin s’étaient enchaînées avec des enseignant.e.s avant le début dudit événement. J’adore la mode (et le vin gratuit).

STANDARDS DÉRANGEANTS

J’ai éventuellement pris le chemin du retour, en me trouvant vraiment ridicule dans mes vêtements. Même si, avec étonnement, personne ne m’a dévisagé durant mon périple, j’ai compris que la mode est un domaine difficile où la compétition est féroce et où les standards de beauté sont quasi inatteignables. Une pensée pour la mannequin Linda Evangelista qui aurait « ruiné sa carrière », selon le professeur, à cause d’une chirurgie qui l’a défigurée. C’est un exemple parmi tant d’autres.

J’ai échangé avec Louis*, un étudiant du programme, à ce propos : « Oui, il y a encore des grands dans l’industrie qui perpétuent ces standards pour que la mode reste ce qu’elle était, [mais] la réalité est que ça a changé. Il y a plus de discussions par rapport à certains enjeux, notamment l’inclusivité et la diversité corporelle. Pour moi, la mode, c’est une expression de soi-même plus que de montrer une beauté qui n’est pas la nôtre. »

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Je lui ai demandé si ce qu’il apprenait à l’école allait dans le même sens que sa vision de l’industrie. Il m’a répondu que cela dépendait du corps professoral, mais que, règle générale, il était normal de devoir connaître le patrimoine et les codes de « ce qui est beau » afin de mieux pouvoir les briser. Et ça, l’UQAM ne les empêche pas de le faire.

ENWEILLE, VOGUE

Ça m’a rassuré de savoir que la mode évolue, malgré tout ce qu’on peut en dire et en penser. Que celles et ceux qui l’étudient ont la liberté de la créer de manière inclusive. Que mes vêtements, bien que désuets, ont le droit de me faire sentir bien et à l’aise, indépendamment de mon apparence physique.

Pour reprendre les mots de Louis, la mode, c’est identitaire; tout le monde peut s’y retrouver et se sentir comme une superstar. Rendu là, comme dirait Madonna : « Enweille, vogue. »

* Prénom fictif