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Ils font des milliers de dollars en vendant leurs corps à la science

Les tests cliniques rémunérés comme « side hustle ».

Par
Mathias Poisson
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Les tests cliniques rémunérés peuvent rapporter des centaines, souvent même des milliers de dollars, en l’espace de quelques mois – parfois quelques semaines. Ces opportunités de gagner de l’argent incitent plusieurs personnes à mettre leur corps au service de la science… Mais à quel coût?

Proposer sa candidature pour participer à des études cliniques chez Altasciences ou Syneos Health, c’est assez facile. Il y a 2 ans, j’ai moi-même tenté l’expérience et il m’a simplement fallu faire une demande d’inscription en ligne en inscrivant mes informations de contact pour qu’une gestionnaire me joigne et enclenche le processus de participation au test. C’était une étude d’Altasciences de quelques semaines pour tester l’efficacité d’un patch pour arrêter de fumer. En échange? 2000$. Je me suis finalement retiré de l’étude, faute d’un emploi du temps trop chargé, mais ça a quand même piqué ma curiosité.

Les sites de ces cliniques privées regorgent d’études à la recherche de participant.e.s. Par exemple, mes recherches récentes m’ont permis de trouver une étude, parmi les moins payantes (quand même 2000$), qui ne nécessite que 4 nuits en clinique et une visite de suivi. Pour d’autres recherches, la rémunération peut s’élever jusqu’à près de 12 000$ contre 15 jours en clinique et 8 visites de suivi. Autrement dit, en même pas un mois, les participants.es peuvent espérer gagner quasiment un tiers du revenu annuel médian au Québec.

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Un bon deal?

En discutant avec plusieurs de ces participant.e.s sur un forum Reddit, j’ai appris (et non sans surprise) que leur première motivation consiste à faire de l’argent facilement. « Je l’ai fait 2 fois. Je ne le regrette pas du tout. J’ai payé 2 voyages avec ça », confie une utilisatrice anonyme.

Comme elle, plusieurs internautes estiment être ressorti.e.s ravi.e.s de ces tests cliniques, heureux.ses d’avoir reçu un ou plusieurs milliers de dollars. « Moi, je recommande. Si mon horaire de travail n’était pas aussi irrégulier, je le ferais de nouveau. Et être de nouveau étudiant, c’est sûr que ça serait un side job », raconte Julien qui a participé à une étude pour tester une version générique d’un médicament contre les reflux gastriques chez Syneos Health, en échange de 1 500$. (D’ailleurs, ces rémunérations sont imposables dès lors qu’elles dépassent 1500$. En dessous, pas besoin de les déclarer.)

Plusieurs témoignages recueillis en ligne illustrent que les efforts à fournir sur place par les participant.e.s sont, dans plusieurs cas, moindres.

« La bouffe est bonne, tu dois manger toute ton assiette. C’est vraiment chill. Une fois le cathéter installé, j’ai passé mes deux jours à regarder Netflix et à jouer à Exploding Kittens avec deux programmeurs brésiliens qui immigraient au Canada, confie Julien. On a aussi fait des matchs de Starcraft sur nos portables. »

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Un autre avantage des tests cliniques rémunérés, c’est le fait de pouvoir passer un bilan de santé gratuitement. En effet, avant de pouvoir participer à l’une de ces études, on exige généralement des participant.e.s qu’ils se soumettent à une batterie de tests (de sang, d’urine, de pression, et des électrocardiogrammes, etc.), pour dépister toutes sortes d’anomalies pouvant présenter des risques au cours de l’étude. Un bon deal, étant donné que ce genre de check-up est assez coûteux en temps normal (environ 225$, au plus bas).

Plus qu’un revenu d’appoint

Si, pour certain.e.s, ce petit side gig sert à se faire plaisir ou à s’assurer que tout roule niveau santé, pour d’autres, il s’agit davantage d’une occupation à temps plein.

« Quand j’y étais, il y avait 2 catégories de personnes : le monde qui était là pour la première ou deuxième fois, avec qui tu peux parler ; et les cobayes de carrière, qui eux, étaient moins agréables. Ça chialait de baisser le son de la télé, d’autres de monter le son. Bref, ce que j’ai trouvé le plus chiant, ce n’était pas le médicament ou les prises de sang, mais d’être pognée avec des tatas pendant 4 jours », raconte une utilisatrice anonyme sur Reddit.

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Pour Charles Dupras, chercheur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ces habitué.e.s des cliniques sont considéré.e.s comme des « patient.e.s partenaires », plus que de simple participant.e.s : « C’est vraiment pour compenser le temps, mais aussi l’expertise et les compétences de ces personnes. Leur savoir expérientiel est perçu comme une forme de compétence que ces personnes peuvent mettre au service des équipes de recherche. Alors oui, la rétribution est vue comme étant acceptable et déterminée par les équipes de recherche. ».

Il est à noter, d’ailleurs, qu’en éthique, une distinction est faite entre compensation et rétribution. Selon ce même chercheur :

« Les compensations consistent, par exemple, à couvrir les frais de transport ou à rembourser les coûts d’une journée de travail manquée. On parle de rétribution pour des tâches qui sont spécifiques et qui visent à rémunérer non seulement le fait de donner son corps à la science, mais aussi la capacité d’être des patient.e.s partenaires. ».

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La compensation augmente d’ailleurs de plus en plus pour convaincre des personnes en bonne santé de participer à ces études. « On a besoin de ces personnes pour tester les risques, dans les premières phases de l’étude, avant de tester l’efficacité, puisqu’on ne veut pas tester ces risques sur des personnes déjà vulnérables. Pour les convaincre, il faut donc une sorte de motivation, de là la nécessité d’élever la compensation financière. », explique Charles Dupras. « De plus, si on n’est pas capables de conduire ces études-là, ultimement, ce sont des patient.e.s avec des soucis de santé bien réels qui ne pourront pas bénéficier de ces avancées », ajoute-t-il.

Derrière la passe de cash

Mais quels risques se cachent derrière ces tests cliniques et comment les mesurer?

Pour Julien, une façon de ne pas s’exposer, c’est de se renseigner sur les produits à tester : « Je suis biologiste moléculaire, j’ai lu sur le médicament testé. Rien d’exotique. »

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Certain.e.s participant.e.s, surtout ceux.celles qui ne bénéficient pas d’une littératie scientifique, vont alors cibler des versions génériques de médicaments déjà commercialisés. Dans le doute, ils.elles évitent les produits jamais testés, les médicaments contre le cancer ou encore ceux qui affectent le cerveau.

Outre ces précautions, Charles Dupras rappelle que les recherches en bioéthique sont censées éclairer et limiter les risques entourant ces tests cliniques rémunérés.

« Il faut faire attention au montant qu’on offre aux participant.e.s. Autrement, ça pourrait nuire à plusieurs niveaux, notamment sur le consentement libre. Par exemple, les personnes qui sont dans une précarité financière pourraient être prêtes à se mettre à risque à cause de la somme d’argent », explique-t-il.

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Deux autres principes importants sont ceux de la préoccupation pour le bien-être et l’équité. « Pour le premier, on parle surtout des risques pour la santé et des bienfaits potentiels », explique Charles Dupras. Autrement dit, c’est à ce moment que l’on communique avec transparence la probable dangerosité du produit testé. « Pour le second principe, il s’agit de s’assurer que les risques et les bénéfices sont distribués de manière équitable à la population », affirme le professeur. Par exemple, par le passé, les études cliniques avaient tendance à cibler davantage les hommes adultes que les femmes enceintes et les enfants. Or, les médicaments commercialisés ne pouvaient être adaptés qu’à cette tranche de la population, ignorant ainsi les autres. Face à ce traitement inéquitable, il convient maintenant de justifier l’exclusion d’une partie de la population lors d’une étude.

Si les compagnies privées, comme Altasciences ou Syneos Health, ont des pratiques différentes des compagnies publiques, il n’en demeure pas moins qu’elles doivent respecter ces mêmes principes éthiques.

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