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Il y a pas assez d’argent dans les élections

2$ pour choisir un gouvernement. En avez-vous pour votre argent?

Par
Farnell Morisset
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On tient souvent nos voisins aux États-Unis comme avertissement contre la démesure de l’argent en politique, et avec raison. En 2024, les partis politiques états-uniens ont collectivement dépensé presque 15 milliards USD $ (20,5 milliards $) sur leurs élections fédérales. En 2024, on a dépensé aux États-Unis 21,35 $ par personne pour élire un président, jusqu’à 42,99 $ par personne pour élire un représentant au congrès (Eugene Vindman, 7e district de la Virginie), et jusqu’à 148,57 $ par personne pour élire un sénateur (Jon Tester, Montana). Et compte tenu de l’inflation, ces montants étaient plutôt modérés comparés aux élections de 2020.

En revanche, au Canada, aucun parti fédéral n’a dépassé 30 millions $ de dépenses en 2021 (on n’a pas encore les chiffres pour 2024), et les partis représentés au Parlement ont dépensé, en tout, un peu moins de 83 millions $ dans leurs campagnes centrales, soit 2,17 $ par personne. Les campagnes locales ne sont pas le Klondike non plus ; même dans une campagne hyper compétitive où 4 candidats atteignent le plafond des dépenses (une hypothèse qu’aucune circonscription ne passe proche d’atteindre), on parle de 6,00 $ par personne, tout au plus. Dans ma circonscription de Québec (aujourd’hui Québec-Centre), en 2021, les campagnes locales de tous les candidats réunis n’ont coûté que 2,11 $ par personne.

Globalement, les élections canadiennes figurent parmi les moins chères par personne en occident.

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Aux élections provinciales, les montants sont d’un peu moins que la moitié de ça. Notre frugalité électorale est peut-être en réaction à ce qu’on voit au sud, au détriment des leçons qu’on pourrait tirer d’ailleurs au monde.

En avoir pour notre argent

Si je commence ce billet avec cette comparaison, c’est parce que je m’apprête à déclarer quelque chose qui en choquera peut-être certains : on n’investit pas assez d’argent dans nos élections.

Je vous sens déjà crispés. Vous vous imaginez sans doute des bureaux de campagne opérés par des stratèges surpayés ayant recours à des moyens douteux afin de remporter leur course à tout prix, un déluge de publicités négatives, des opérations de désinformation ciblées par des experts-analystes de données privées, et surtout, du monnayage d’influence par de richissimes donateurs qui achètent leurs élus.

Ça, c’est évidemment à éviter. Mais, entre les petits montants en jeu dans les élections canadiennes et les fortunes qui s’échangent dans les élections de nos voisins au Sud, il y a un océan de différence.

De leur côté, c’est le déluge, mais du nôtre, c’est la sécheresse.

Ceux qui ne sont pas initiés à la réalité des campagnes électorales au Canada – surtout les campagnes locales – ne réalisent souvent pas à quel point les budgets sont limités. Presque tout le monde y travaille de façon bénévole, le gros du budget étant dédié à un bureau de campagne, des placements publicitaires dans les journaux locaux, et (quand il reste des fonds de tiroirs) des cartes-cadeaux aux stations-service pour compenser le gaz des bénévoles qui aident avec la sortie de vote.

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Certains diront peut-être que c’est une bonne chose. Après tout, l’obligation de travailler gratuitement assure que les équipes de campagne sont formées de gens qui sont là par conviction plutôt que pour l’appât du gain. C’est probablement vrai. Mais ça vient aussi avec des conséquences.

La qualité, ça se paye

D’abord, c’est pas tout le monde qui peut se permettre de prendre un ou deux mois de congé, souvent sans préavis, pour occuper sans solde un des postes névralgiques d’une campagne locale. Ça a pour effet d’exclure la majorité des gens de la possibilité de participer aux différentes campagnes électorales – un processus au cœur de notre démocratie qu’on voudrait accessible à tous. Ce genre de participation est donc beaucoup plus accessible aux retraités, aux étudiants plus aisés, à certains professionnels, aux indépendants de fortune, et à ceux dont l’emploi est déjà rattaché à un élu politique. Il y a bien sûr des exceptions, mais être directeur de campagne ou agent financier d’un candidat – postes qui exigent généralement un engagement à temps plein – représente un sacrifice beaucoup plus difficile pour un ouvrier qui compte sur ses quarts de travail pour payer son loyer à la fin du mois.

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C’est pas un problème en soi, jusqu’au moment où un candidat élu doit former son équipe initiale – les gens qui vont le conseiller, faire cheminer ses dossiers, et le représenter en cas d’absence auprès de sa communauté. Les candidats nouvellement élus doivent former leurs équipes rapidement, et se tournent naturellement vers leur équipe de campagne.

L’exclusion de facto de la classe ouvrière des équipes de campagne se traduit donc par une tendance à exclure la classe ouvrière des postes de conseillers politiques.

On peut donc sans effort imaginer les biais et angles morts dans les conseils que nos élus reçoivent.

L’équilibre dans le malaise

Évidemment, le but n’est pas non plus de se rendre au niveau des États-Unis qui pèchent par excès. Mais permettre aux campagnes locales d’avoir un peu plus de budget, assez pour payer ceux qui y participent et permettre une participation réelle et équitable de membres de la classe moyenne qui ne peuvent se permettre plusieurs mois de congés sans solde, ça serait un bon départ.

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Pour éviter les dérapages en termes de dépenses publicitaires ou de stratégies douteuses, on pourrait prévoir un seuil séparé de dépenses réservé aux salaires de ceux qui s’investissent dans notre processus démocratique, pour s’assurer que l’argent va bel et bien aux salaires et pas à d’autres usages.

Quand on regarde nos voisins du Sud, je comprends parfaitement notre malaise par rapport à l’argent investi dans les élections. Mais cette réticence nous aveugle aux effets néfastes de cette approche sur notre démocratie, et aux moyens par lesquels nous pourrions l’améliorer.

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