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Il faut sauver le cricket au Parc Jarry

C’est le deuxième sport le plus populaire au monde. Mais pourquoi personne n’y connaît rien?

Par
Billy Eff
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Des petites heures du matin à la fin de soirée, les riverains et visiteurs du parc Jarry, à Montréal, ont pour habitude de regarder différents groupes d’hommes, majoritairement originaires d’Asie du Sud et des Antilles, pratiquer un sport qui nous est relativement inconnu ici : le cricket.

Depuis des années, je vois chaque weekend d’été ces hommes s’adonner à un sport auquel je ne comprenais pas les règles, mais dont l’ambiance entourant les matchs m’attirait. Lorsqu’on approche du terrain de soccer qui fait office de terrain de cricket, pour l’instant, on est accueilli par le bruit sourd des balles de cuir qui se fracassent contre les bats en saule et les cris passionnés des joueurs et des spectateurs. Pour une bonne partie d’entre eux, le cricket est le seul sport qu’ils savent pratiquer.

Et se retrouver chaque weekend en uniformes colorés pour jouer, échanger et faire griller quelques brochettes sur le barbecue est un moment aussi réconfortant que ressourçant.

Un sport qui rassemble

Arrivé enfant dans le quartier de Parc-Extension en tant qu’immigrant, Mehboob Rehman entretenait déjà une grande passion pour le cricket. « Mes premières années, je ne trouvais personne ici qui jouait, se rappelle-t-il. Un jour, en 1998, je me promenais dans le parc Jarry, et je me suis perdu! Je ne trouvais plus mon chemin pour sortir du parc et c’est là que j’ai vu des gens qui jouaient. »

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À partir de l’année suivante, la Montreal Cricket Association (ou l’Association montréalaise de cricket) investit le parc Jarry comme espace de jeu. « Ça m’a permis de retomber en amour avec le sport et de développer un amour pour mon nouveau pays, parce que maintenant j’avais des repères », explique Mehboob.

« De nouveaux arrivants, surtout des étudiants, débarquent chaque année, ce qui met beaucoup de pression sur notre association. Une grosse partie de ces jeunes-là ne connaissent pas d’autre sport que le cricket »

Bien qu’on le connaisse peu ici, Mehboob me rappelle que les fondations du Canada moderne reposent sur le cricket. Sport typiquement british, il est pratiqué dès le lendemain de la bataille sur les Plaines d’Abraham, à Québec, par les soldats anglais victorieux. En 1876, le gouvernement fédéral accorde à la province de Québec d’acheter les terrains de cricket officiels, situés sur Grande-Allée et rue de l’Artillerie, pour y construire des bâtiments administratifs. Le Parlement se situe donc littéralement sur le premier terrain de cricket du Canada.

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Si on a oublié que le cricket a été à une époque le sport officiel du pays, il y a beaucoup d’autres anciennes colonies qui l’ont élevé au rang de religion à un point tel que c’est désormais le deuxième sport le plus populaire de la planète derrière le soccer. Mais pour l’Association montréalaise de cricket, c’est avant tout le berceau d’une communauté.

Il faut dire que depuis la fin des années 70, le quartier est devenu un centre névralgique de la communauté d’Asie du Sud. Des communautés fortes et diversifiées venues d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Sri Lanka et d’ailleurs encore ont participé à une revitalisation socio-culturelle de l’arrondissement. Toutefois, qui dit loyers abordables et commerces de proximité, dit aussi le «mot en E ».

Peu à peu, le coin s’embourgeoise et le quartier perd de son côté populaire. Entre rénovictions et tensions sociales, Parc-Extension et la communauté sud-asiatique redoublent d’efforts pour préserver l’âme du quartier face à la gentrification.

Un terrain par 200 joueurs

Lorsqu’on arrive au Parc Jarry, on peut voir les différentes équipes de l’Association réparties à travers deux terrains : l’un près du stationnement côté nord et un autre plus près de l’entrée principale du Stade IGA.

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L’Association représente 17 équipes, soit plus de 400 joueurs, presque tous sud-asiatiques, qui se réunissent les samedis et dimanches des beaux jours, de 8h à 21h.

Le cricket est un sport extrêmement compliqué et auquel il faut jouer toute sa vie pour pleinement le comprendre, me décrit Mehboob. Qui plus est, les parties peuvent être très longues.

L’AMC joue à deux formats différents : le T20, avec des matchs d’environ 3h, et le P35 et ses matchs de plus de 6h. L’association, qui est sans but lucratif et radicalement communautaire, collabore avec des associations d’autres provinces, s’affrontant chaque année sur le terrain à des équipes venues d’Ontario et des provinces de l’est et des Maritimes.

Fait notable : contrairement à d’autres sports qui se pratiquent selon des catégories d’âge, au cricket (du moins, tel qu’on le pratique à Montréal), enfants et adultes jouent ensemble. « Étant donné le manque de ressources et d’infrastructure, faire jouer les jeunes avec nous est le meilleur moyen de les faire pratiquer et de les coacher », explique le président de l’Association. Il souhaiterait mettre sur pied une division mixte pour jeunes au fur et à mesure que grandissent l’Association et la demande pour jouer au cricket.

Peu à peu, le coin s’embourgeoise et le quartier perd de son côté populaire. Entre rénovictions et tensions sociales, Parc-Extension et la communauté sud-asiatique redoublent d’efforts pour préserver l’âme du quartier face à la gentrification.

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Seulement voilà : que le sport risque d’être victime de son succès. Cette année, l’Association a dû couper 6 équipes de la ligue, la demande excédant l’offre. Après la pandémie, beaucoup de nouveaux joueurs ont voulu s’inscrire, mais l’Association n’a pas suffisamment de terrains pour accommoder tout le monde.

« De nouveaux arrivants, surtout des étudiants, débarquent chaque année, ce qui met beaucoup de pression sur notre association. Une grosse partie de ces jeunes-là ne connaissent pas d’autre sport que le cricket. Quand ils nous voient jouer, évidemment qu’ils veulent participer! »

Un manque notoire d’infrastructures

La ville de Montréal ne dispose que de huit terrains, dont certains ne sont pas aménagés ou n’ont pas les bonnes dimensions pour s’adonner au cricket. Et même si l’association croule déjà sous la demande, elle est également à risque de perdre l’un des deux terrains du parc Jarry. Celui derrière le stade IGA pourrait être affecté par un plan de verdissement qui favoriserait la biodiversité, l’arrondissement souhaitant revitaliser le parc.

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Cela signifierait plus de 400 personnes jouant sur un seul terrain indisponible les deux jours de fin de semaine.

Malgré tout, il y a raison d’espérer. L’équipe montréalaise de l’association du GT20, les Tigres de Montréal, ont récemment remporté la coupe canadienne. Mais pour que le sport continue à fleurir dans la province et qu’il attire des gens de différentes communautés, il faudra forcément plus d’infrastructures. Sans quoi, poursuit Mehboob, l’équipe risque de se trouver à un désavantage encore plus grand, étant donné que la plupart des grandes villes ontariennes disposent de plusieurs terrains modernes et adaptés.

La lutte de l’Association montréalaise de cricket pour préserver son espace de jeu au parc Jarry ne concerne pas seulement le cricket; il s’agit de sauvegarder une communauté dynamique et l’unité qu’elle représente. Le cricket est devenu une force puissante pour rassembler les Sud-Asiatiques et les autres passionnés du sport à Montréal, favorisant un sentiment d’appartenance et de communauté.

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