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Il faut arrêter de dire qu’une entreprise, c’est comme une famille

Parce qu'appeler son boss «Maman» par erreur, c’est non.

Par
Lucie Piqueur
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«Tu veux faire partie d’une équipe soudée comme une famille? Applique dès maintenant!»

Que ce soit dans leurs offres d’emploi ou sur leur site corporatif, nombreuses sont les compagnies qui se vantent d’être «comme une grande famille». C’est aussi une formule chérie par bon nombre de patron.ne.s, qui adorent répéter ça à la fin de chaque meeting comme s’ils étaient la réincarnation de Maman Dion.

Oui, ça sonne comme une idée sympathique de travailler dans une ambiance familiale, mais méfiez-vous de cette comparaison hypocrite qui n’est pas forcément à l’avantage des employé.e.s.

Ça veut dire quoi, au juste?

En général, quand on dit qu’un milieu de travail est «comme une famille», ce qu’on veut bien entendre, c’est:

– Vos collègues seront comme des frères et sœurs pour vous.
– La direction sera bienveillante et compréhensive.
– Vous n’aurez jamais l’impression de travailler puisque vous serez en train de passer du temps en famille!

Sauf que ce que ça veut plutôt dire, c’est:

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– Vous passerez plus de temps ici qu’avec votre propre famille.
– On s’attendra à une loyauté inconditionnelle de votre part.
– Un mononcle pompette mettra tout le monde mal à l’aise aux partys de Noël.

«L’amour» que votre boss vous porte est directement proportionnel à votre valeur pour l’entreprise.

Sans blague, à moins que vous soyez littéralement l’arrière-petit-fils de Jean Coutu, votre travail n’est pas votre famille. La relation qui vous lie est contractuelle. «L’amour» que votre boss vous porte est directement proportionnel à votre valeur pour l’entreprise. Si vos collègues sont plus entreprenants que vous, ils auront une promotion et pas vous. En cas de crise ou si vous commettez une faute, on vous dira «bye». Et personne ne sera là pour vous becquer bobo.

Ça ne veut pas dire que vous ne devez pas aimer votre environnement de travail, bien au contraire! Par contre, vous devez bien faire la différence: le travail, c’est le travail. La famille, c’est la famille.

Mais alors pourquoi tout le monde dit ça?

Une chose est sûre: on a plus le goût d’aller travailler quand on aime nos collègues et qu’on a un sentiment d’appartenance au sein de l’entreprise qui nous emploie. Mais n’allez pas croire non plus que ce qui intéresse d’abord les employeurs, c’est de vous faire plaisir. En réalité, selon le magazine Harvard Business Review, ce sentiment d’appartenance des employés a une belle valeur monétaire pour l’employeur. Chez les compagnies qui développent une culture «familiale», les performances de travail augmentent, la rétention des employé.e.s est meilleure, et l’absentéisme descend en flèche. On ne se le cachera pas: tout ça, ça vaut de l’or.

Ce sont des choses qu’on ferait pour sa famille, mais qui n’ont pas tout à fait leur place au travail.

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L’autre bénéfice plus ou moins assumé pour les entreprises, c’est que si les membres du personnel assimilent suffisamment la notion qu’ils font partie d’une famille, ils et elles seront peut-être plus gênés de faire valoir leurs droits. Rester travailler tard par solidarité, accepter d’être moins bien payé que chez les concurrents, demeurer joignable en tout temps, ne pas dénoncer des fautes professionnelles… ce sont des choses qu’on ferait pour sa famille, mais qui n’ont pas tout à fait leur place au travail.

Je fais quoi, alors? Je renie ma work-family comme un enfant ingrat?

Non, vous n’êtes pas obligé.e de corriger systématiquement vos collègues et vos supérieurs lorsqu’ils utilisent la formule magique «on est une grande famille!» Pas la peine, non plus, de mettre une croix sur vos amitiés au travail, les 5 à 7 entre collègues qui vous font du bien, ou le plaisir que vous avez à puncher chaque matin (si c’est le cas).

Vous ne lui devez rien de plus que ce qui est inscrit sur votre contrat.

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L’important, c’est de garder en tête la vraie nature de votre relation avec votre employeur. Peu importe à quel point vous vous appréciez mutuellement. Vous n’avez aucun lien familial avec lui, et vous ne lui devez rien de plus que ce qui est inscrit sur votre contrat. Ne vous laissez pas abuser par loyauté. Si vous trouvez ça cruel, c’est que vous êtes trop impliqué.e émotionnellement avec votre travail, et ce n’est pas à votre avantage. Sans vouloir vous faire de peine, cette histoire de famille peut prendre fin du jour au lendemain sans prévenir. Au Canada, trois millions d’emplois ont été perdus en avril 2020 à cause de la pandémie. C’est déjà déprimant à la base, mais ce serait encore pire si chaque nouveau chômeur s’était senti trahi par un travail qu’il considérait comme sa propre famille.

La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que si on ne choisit pas sa famille, on peut, dans une certaine mesure, choisir son emploi. Oui! Vous avez le droit d’exiger pour vous-même une bonne ambiance ET de bonnes conditions de travail.

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Aussi, vous avez le droit d’aller vous faire adopter par les voisins si vous trouvez mieux ailleurs.