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Il faut anonymiser les dossiers des locataires pour protéger leurs droits

Parce qu’avoir un dossier au TAL limite sérieusement les chances d’un.e locataire de se trouver un logement.

Par
Farnell Morisset
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« METRO LINE DIRECT AU CENTRE VILLE DANS 10 MINUTES POUR JUILLET 2024 TRÈS TRANQUILLE TRÈS PROPRE TRÈS ÉCLAIRER PAS DES ANIMAUX NON FUMEUR BON CRÉDIT EMPLOI STABLE BONNE REFERANCE PAS DE DOCIER A LA REGIE. »

– Annonce de logement à louer dans Hochelaga, à Montréal (écriture originale)

Pour des millions de Québécois.es locataires, c’est la saison des avis d’augmentation de loyer. De trois à six mois avant le renouvellement d’un bail, les propriétaires doivent aviser leurs locataires de leurs intentions d’augmenter les loyers, et préciser de combien. Pour plusieurs locataires, c’est une période anxiogène : que faire si leur propriétaire leur réserve une surprise salée?

Refuser une augmentation : un droit « théorique »

Peu de locataires savent que, selon la loi, ils et elles ont le droit de renouveler leur bail avec les mêmes conditions que l’année précédente, donc de payer le même loyer – sans augmentation. En théorie, un.e propriétaire peut seulement augmenter le loyer soit avec la permission du locataire, soit par une décision du Tribunal administratif du logement (le TAL, anciennement la Régie du logement). C’est en effet la règle générale, selon le Code civil du Québec, qui s’applique dans la grande majorité des cas (quoiqu’il y a certaines exceptions, comme les constructions neuves de moins de 5 ans et les coopératives d’habitation).

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Un.e locataire qui reçoit son avis d’augmentation de la part de son ou sa proprio a donc trois options : ne pas renouveler le bail et quitter le logement, renouveler le bail en acceptant le nouveau loyer, ou renouveler le bail en refusant l’augmentation du loyer. Cette dernière option figure clairement sur le formulaire suggéré par le TAL, mais comme les proprios ne sont pas obligé.e.s d’utiliser ce formulaire ou de le fournir à leurs locataires, plusieurs préfèrent fournir leur propre modèle d’avis où cette troisième option est mystérieusement absente, même si la loi garantit bel et bien aux locataires le droit de faire un tel choix.

Si un.e locataire choisit l’option de renouveler sans accepter l’augmentation, le propriétaire devra passer par le TAL pour fixer l’augmentation de loyer – procédure administrative qui peut s’avérer lourde pour le propriétaire. L’idée, c’est d’encourager les propriétaires et les locataires à s’entendre sur une augmentation juste et équitable pour les deux, sans quoi c’est le TAL qui tranche selon ses grilles et évaluations annuelles (qui se situent cette année à environ 4% d’augmentation, mais qui varient selon le cas).

Tout ça, c’est bien beau, mais la théorie légale ne vaut pas grand-chose si la pratique ne suit pas.

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Inévitablement, quand on parle du sujet, il y a des proprios (typiquement le genre qui préfère parler de « portes » pour essayer de nous faire oublier qu’il s’agit de logements où habitent des gens… vous connaissez le type) qui se pointent dans les commentaires pour mettre les locataires en garde contre le fait de se retrouver avec un fameux « dossier » au TAL.

Les décisions du TAL sont publiques, donc les noms des parties – ou du moins, les noms des locataires, comme les propriétaires sont souvent des compagnies anonymes – sont publics aussi. Et plusieurs propriétaires de « portes » se vantent de refuser n’importe quel.le locataire potentiel.le qui a un tel « dossier ».

Ici, précisons que ce genre de discrimination dans l’attribution d’un bail est très suspecte sur le plan légal.

Un.e propriétaire peut seulement refuser un.e locataire ayant un historique au TAL de non-paiement de loyers passés ou bris d’autres conditions d’un bail, pas pour s’être prévalu de son droit de fixer un loyer ou de toute autre demande légitime. Mais dans les faits, c’est une pratique indétectable – les propriétaires n’ont pas à donner de raison pour refuser un.e locataire potentiel.le – et tellement courante que plusieurs compagnies se spécialisent à offrir un service de recherche de dossiers au TAL pour les propriétaires.

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Pas de noms, pas de discrimination

Même sans connaître leurs droits, la plupart des locataires savent qu’avoir un « dossier » au TAL risque de sérieusement limiter leurs options de logement à l’avenir. (Étrange comme les locataires sont souvent mieux au courant des menaces des propriétaires peu scrupuleux.ses que de leurs propres droits, mais ça, c’est une tout autre discussion…) Donc, est-ce que toutes ces belles paroles sur les droits des locataires et l’entente libre entre locataires et propriétaires sur les loyers sont sans importance?

Comme le titre l’indique, ceci n’est pas une chronique à propos des droits des locataires. C’est une chronique qui propose une solution politique à un problème qui touche trop de locataires pris à accepter des augmentations démesurées parce qu’ils et elles sont en pratique privé.e.s de leurs droits.

Le but de cette chronique, c’est de proposer l’anonymisation du TAL.

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En d’autres mots, que le TAL continue d’opérer de la même façon, soit comme tribunal pour les logements locatifs, mais qu’il retire du domaine public les noms des parties à ses décisions, comme on le fait déjà, par exemple, dans les cas de droit de la famille. Comme ça, on met fin au « dossier » au TAL et à la menace de discrimination par les futur.e.s propriétaires contre un.e locataire qui tente simplement de faire prévaloir ses droits.

De toute façon, les propriétaires peuvent déjà se rendre anonymes au TAL par l’entremise de compagnies à numéro, donc on ne fait que permettre aux locataires ce à quoi les propriétaires ont déjà droit depuis longtemps.

Offrons même une concession raisonnable aux propriétaires : donnons au TAL l’option de nommer les parties fautives quand il y en a. Comme ça, les propriétaires pourront continuer d’utiliser la notion de « dossier » au TAL pour son objectif réel, soit de les protéger contre des locataires ayant un historique prouvé de non-respect des conditions d’un bail précédent.

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Et, surtout, participons à propager l’information sur les droits des locataires, qui, dans le contexte actuel de crise du logement, en ont tant besoin.

(Notez bien que même si cette chronique comporte de l’information sur les lois, ceci n’est pas un conseil juridique. Les lois sont complexes et ont parfois des exceptions spécifiques qui ne sont pas abordées ici. Si vous avez des questions sur votre situation particulière, parlez-en à un.e avocat.e.)