Il a vendu des cartes à jouer pour 40 000$

Même si les taux d’intérêt actuels le font grincer des dents comme à bien des gens, Tristan B. était ravi de contracter une hypothèque, ce printemps. Voyez-vous, c’est qu’il a déposé une mise de fonds de plusieurs dizaines de milliers de dollars grâce à quelques cartes de jeu qu’il a revendues pour 40 000 $.

Et attention, on ne parle pas ici de cartes comme celles qu’on traîne au fond de son sac en camping en cas de soirée orageuse. Le Montérégien possédait le « Power Nine », un ensemble de neuf cartes qui est un peu le Saint Graal du jeu Magic : The Gathering.

Tristan B. a acquis son ensemble pièce par pièce au fil des ans. « Je les collectionne depuis que j’ai 12 ans, raconte-t-il. J’ai commencé par accumuler des cartes pour le plaisir de jouer, sans penser à leur valeur de revente. J’ai plusieurs cartes que j’ai achetées à 5 $ ou 10 $ et qui valent aujourd’hui entre 1000 $ et 2000 $. »

Le jeune homme qui préfère garder l’anonymat assure que les cartes, « c’est très difficile à assurer : les prix sont indécents, concède-t-il. Et je connais malheureusement plusieurs personnes qui se sont fait voler des collections entières qui sont ensuite impossibles à retracer. »

Alexandru Tibirna, conseiller à la boutique de cartes L’arène des Dieux à Québec, est lui-même un amateur de jeux depuis de nombreuses années.

Fin mai, lors d’un tournoi de Lorcana, un jeu de cartes inspiré de l’univers de Disney, où 2000 participants nord-américains ont convergé vers Atlanta, il a remporté une carte rarissime dont la valeur est estimée à environ 25 000 $ US.

« C’est une pièce de collection qui est en fait une réimpression de la toute première série qui, elle, se vend à environ 10 $. Il y en a actuellement 16 en circulation, mais son tirage se limite à 500 exemplaires », précise Alexandru Tibirna.

Il rapporte que des joueurs américains qui possèdent aussi la carte « Gold Mickey — Brave Little Tailor » tentent d’obtenir 75 000 $ en s’entendant entre eux sur un prix.

« Personnellement, je pense que c’est un peu haut. Mais ça peut se vendre à 40 000 $ », estime le jeune homme, qui a décidé de mettre sa propre carte en vente.

Avec la somme qu’il touchera, Alexandru prévoit couvrir certaines dépenses personnelles, mais surtout continuer à financer sa passion : les tournois de cartes. « Ça devrait me payer entre une et trois années de voyage », dit-il, précisant que de prendre part à de tels événements signifie qu’il doit prévoir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de dollars en frais de transport, d’hébergement et d’inscription.

Peu importe les espérances d’Alexandru, la valeur d’une carte dépend de plusieurs facteurs sur lesquels il n’a aucun contrôle.

« En fait, c’est la compagnie qui crée les cartes et qui en contrôle le nombre sur le marché, rappelle Tristan B. Si elle décide de réimprimer une carte qui vaut des centaines de dollars, son prix vient de planter du jour au lendemain. Les joueurs sont donc à la merci de l’imprimante. »

Ceux qui possèdent — et vendent — des cartes plus rares ont majoritairement un profil bien différent de ceux qui les achètent. Les premiers sont avant tout des joueurs. Les seconds sont des collectionneurs qui voient dans les cartes à jouer un investissement.

Or, quand un collectionneur se procure plusieurs exemplaires d’un même article dans le but de créer de la rareté et d’en faire augmenter la valeur, ce sont les joueurs qui en subissent les effets.

« À ce moment-là, c’est possible que ton Lego ou ta carte prenne de la valeur, note Benoît Doyon, propriétaire de la chaîne de magasins Imaginaire. Il faut alors se poser la question : est-ce que c’est mieux que l’objet quadruple de valeur parce qu’il est neuf et bien préservé, ou bien on préfère qu’il vaille un peu moins parce qu’on a du plaisir à jouer avec? »

Bien que le prix de vente de certaines cartes frappe l’imaginaire, il n’est pas nécessaire de bénéficier d’un énorme budget pour débuter une collection, ajoute Doyon. « On n’a pas besoin d’être millionnaire pour embarquer dans ce marché-là. On commence avec le budget qu’on a. Bâtir une collection, c’est quelque chose qui se fait avec le temps. »

Si Magic a célébré ses trente ans d’existence en 2024, Lorcana a vu le jour l’an dernier seulement. Impossible de prédire si l’engouement pour le second sera à la hauteur du premier.

Mais, selon Alexandru Tibirna, comme les personnages de Disney sont très populaires, les cartes Lorcana ne devraient pas perdre de la valeur. « Ça resterait très prisé en raison de Disney qui protège [jalousement] sa propriété intellectuelle », dit-il.

En parallèle, d’autres jeux de cartes font aussi le bonheur des collectionneurs : on peut penser ici à Pokémon, Yu-Gi-Oh. Mais les cartes sportives sont encore celles qui rapportent le plus.

À des fins de comparaison, les dix cartes Magic les plus rares ont une valeur allant de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de dollars. Pas autant que pour une carte de Gretzky, mais pas de quoi lever le nez, non plus.

« En fait, il y a un plus grand écart entre les cartes qui valent peu, et celles qui valent très cher, explique Alexandru Tibirna. Pour les cartes recherchées, the sky is the limit. »