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Il a tout quitté pour son bien-être

Combien ça coûte, être bien dans son corps et sa tête? Incursion dans le portefeuille d’un nomade numérique qui a fait du bien-être un mode de vie.

Par
Florence La Rochelle
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« J’avais besoin de m’éloigner des tentations de Los Angeles », dit Sam, attablé à l’endroit où il s’installe systématiquement chaque jour pour travailler, dans la hutte commune d’Amaru, une station balnéaire nicaraguayenne qui se décrit comme étant « un centre de bien-être ». J’y étais de passage en avril, l’espace d’une semaine, pour profiter de leurs retraites de surf et de yoga, mais le Californien lui, y télétravaillait depuis déjà quelques mois – logé, nourri, blanchi.



Sam fait partie de ceux et celles qui ont tout laissé derrière pour devenir des beach bums à temps plein. Vous savez de qui je parle : ces nomades numériques qui ont troqué les agressions quotidiennes du 9 à 5 en milieu urbain pour du greendesking à l’année où le doux bruit des vagues berce les téléconférences.

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La frénésie bien-être qui va trop loin

« Je me suis définitivement laissé emporter par la culture du bien-être quand je vivais à LA », admet le designer de produit de 37 ans dont les journées de travail sont ponctuées de baignades dans la mer, de bols d’açaï, et de salutations au Soleil.

Les smoothies aux plantes adaptogènes exotiques à 30$, les injections intraveineuses de vitamines à 150$, l’abonnement mensuel à un gym de luxe (joliment appelé « concept fitness club ») à 350$, le guérisseur énergétique à 500$ la séance, etc.

Pour suivre le rythme « wellness » de Los Angeles, Sam pouvait débourser entre 1000$ et 2000$ par mois.

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« C’est pas tout. Il y a une panoplie de choses que j’aimerais essayer, mais qui sont hors de mes moyens », explique Sam. Il me parle avec enthousiasme des traitements anti-âge de PRP (plasma riche en plaquettes) et aux cellules souches qui coûtent des milliers de dollars.

« J’ai déjà vécu du stress financier à cause de ces habitudes-là. Je me suis endetté sur des cartes de crédit pour pouvoir les maintenir », concède Sam. « Je suis curieux, je veux tout essayer au moins une fois », se justifie-t-il, avant de préciser qu’il demeure tout de même sceptique quant aux réels bénéfices de plusieurs de ces pratiques que la science remet souvent en question.

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Ce que Sam décrit fait écho à un paradoxe qui s’observe à plus grande échelle : au cours des dernières années, l’industrie mondiale du bien-être, dont la valeur est estimée à 1,5 trillion de dollars US (et dont on projette une croissance annuelle de 5 à 10%), a connu un réel boom, alors que notre santé mentale est en chute libre. Pas étonnant que Sam ait ressenti le besoin de s’offrir une détox « wellness », lui qui était devenu la proie parfaite d’une industrie qui définit le bien-être comme étant une commodité (plutôt qu’un état) dont on ne peut jamais abuser. Se sentir trop bien? Impossible.

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Au-delà de sa quête de nouvelles sensations, Sam admet que son envie de tester ces traitements « bien-être » était aussi motivée par les clubs sociaux qui s’organisent autour de la culture du wellness priviledge : « le réseautage est incroyable dans ces milieux-là », estime le designer, qui précise avoir rencontré beaucoup d’individus influents dans son industrie au restaurant Michelin (!) de son gym.

« Le bien-être, c’est le temps »

Les habitudes qui visaient à maintenir Sam au sommet de sa forme mentale et physique, il les a abandonnées depuis son départ de la Californie. À Amaru, le salarié ne voit plus que ses deux thérapeutes (un psychologue et un coach) – oui, quand même – et fait ses séances quotidiennes de yoga et de surf. Le forfait mensuel qu’il paie pour vivre au centre de bien-être – qu’il ne quitte à peu près jamais – est presque sa seule dépense.

« C’est une vie beaucoup plus simple, ici. Oui, on prend soin de nous, mais c’est pas aussi die hard qu’à LA. Ici, les gens essaient juste de surfer et de bien manger. Et il n’y a pas de service de livraison de nourriture, d’épiceries dispendieuses, de restaurants », lance-t-il.

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« Ça fait plusieurs années que je ne me suis pas senti aussi bien », lâche le jeune homme entre deux bouchées de son plat cuisiné à partir d’aliments locaux et conforme à la diète hypersanté du centre. Quand je lui demande la différence qu’il perçoit entre la façon dont il prend soin de lui à Los Angeles et au Nicaragua, Sam dit : « À Los Angeles, tout le monde cherche un raccourci. Ici, la santé, c’est le temps. “Est-ce que je devrais payer pour me sentir mieux, ou est-ce que je devrais plutôt faire quelque chose?” »

La vie après le paradis

« Comment on fait pour quitter cette vie-là? Surtout qu’elle te coûte moins cher qu’à LA… » C’est la question que je pose à Sam autour de notre dernier souper ensemble, la veille de mon départ d’Amaru. Le rythme de vie ralenti, le contact avec la nature, la charge mentale des tâches domestiques quasi nulle : j’ai de la difficulté à comprendre comment Sam pourrait vouloir un jour retrouver son train de vie californien – surtout si celui-ci nuit à l’état de ses finances.

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« Honnêtement, je n’ai pas encore vraiment pensé à ça », me répond Sam, qui est arrivé au Nicaragua en janvier au lendemain d’une rupture difficile. Selon lui, il retrouve à Amaru une qualité de vie qu’il faut savoir quitter pour en prendre la pleine mesure. Le designer m’explique aussi que puisqu’il aspire à la propriété, il se voit ultimement retourner vivre aux États-Unis, mais « à court terme, j’aimerais surtout faire plus d’argent. Mon objectif, c’est de garder mon niveau de vie plus bas qu’à LA pour rembourser mes dettes d’études plus vite – et toutes mes dettes en général », explique Sam.

D’eau fraîche et de privilège

Ingénieur mécanique, biologiste, géologue, psychologue… Tous.tes les autres voyageur.se.s qui ont séjourné à Amaru en même temps que Sam et moi avaient une chose en commun : ils et elles étaient éduqué.e.s, en moyens – bref, privilégié.e.s.

La question se pose : prendre soin de sa santé mentale et physique, est-ce que c’est réservé à une élite économique?

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On ne se fera pas de cachettes : les personnes plus aisées ont généralement un meilleur accès aux services de santé, aux thérapies et aux activités de bien-être. Elles peuvent se permettre des traitements onéreux, des consultations régulières avec des professionnels, des séjours au spa… Eh non, je n’ai vu personne en larmes au bord de la piscine d’Amaru.

Mais à l’ère de l’obsession pour le bien-être, ce qu’on oublie trop souvent, c’est que la santé ne dépend pas uniquement de nos ressources financières : les habitudes de vie, l’environnement social, les relations interpersonnelles et le soutien émotionnel ont aussi leur part à jouer. En voyant des personnes comme Sam, pour qui un plus haut niveau de bien-être coïncide avec des économies mensuelles de milliers de dollars, on ne peut que se rappeler que des amitiés, et du temps pour soi, ça ne s’achète pas.

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