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Hommage à l’argent Canadian Tire

Petite histoire d'une grande monnaie

Par
Zacharie Routhier
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J’ai toujours un billet de 5 cents du Canadian Tire dans mon portefeuille. Je ne sais pas trop pourquoi… il doit y avoir une part de nostalgie et une part de gag. Un jour, je vais tipper quelqu’un avec ça et dire : « achète-toi une perceuse sur mon bras ».

On peut en rire, mais à mon sens, il y a quelque chose de beau dans cette monnaie vagabonde, distribuée au gré des achats, puis perdue dans une brassée de lavage ou oubliée dans un tiroir. Quelque chose d’intemporel, comme le feeling de passer un après-midi éternel à se promener parmi les pneus et les vélos Supercycle.

Après tout, les 5, 10, 25, 50 cents (et plus) de la tirelire canadienne s’élèvent presque au rang de patrimoine national.

Et plusieurs partagent mon enthousiasme! Après tout, les 5, 10, 25, 50 cents (et plus) de la tirelire canadienne s’élèvent presque au rang de patrimoine national. Est-ce en raison de la moustache familière de Sandy McTire, le mystérieux écossais présent sur tous les billets et supposé représenter le everyday working man canadien des années 1950? Peut-être… mais pas seulement.

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Mon fidèle billet sur lequel figure le boy Sandy McTire. Il n’hésite pas à me regarder droit dans les yeux, comme pour me dire « tout va bien aller ».

Glorieuse depuis 1958

Commençons par le commencement : c’est à Muriel Billes, femme du premier président de Canadian Tire, que l’on doit la monnaie. Elle souhaitait faire concurrence aux dons promotionnels qu’offraient les autres stations-service – parce qu’il y a 61 ans, avoir un char, c’était lit.

D’abord distribuée uniquement dans les stations d’essence de la franchise, la monnaie est devenue si populaire que, trois ans plus tard, elle atteignait les magasins. Cette poussée était prémonitoire : le programme de fidélité a connu une popularité sans précédent, et on y réfère encore comme étant une devise promotionnelle « emblématique ».

L’idée était pourtant simple : redonner 5 % de tous les achats en coupons utilisables uniquement au Canadian Tire.

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L’idée était pourtant simple : redonner 5 % de tous les achats en coupons utilisables uniquement au Canadian Tire. Jusqu’en 1995, les taux de ristourne étaient généralement plus bas à l’extérieur de Toronto, où est situé le siège social. Montréal avait 4 %. Sept-Îles… rien du tout. Mais pourquoi? Imaginez-vous donc que la manœuvre avait pour but de compenser les frais de transport des billets! C’était vraiment une autre époque…

Une monnaie qui ne veut pas mourir

Aujourd’hui, dépenser 100 $ au magasin vous donnera 40 cents en argent Canadian Tire. Pas si glorieux… À moins, bien sûr, d’abandonner l’héritage papier et d’utiliser plutôt la carte Triangle, lancée en 2018, qui vous promet 10 fois plus de remises.

Car la tirelire canadienne tente de remplacer l’argent papier depuis 2014, d’abord avec une carte de crédit permettant de stocker des « billets électroniques ». L’idée était notamment de pouvoir retracer la monnaie. À l’époque, plusieurs clients s’en sont réjouis.

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Mais aujourd’hui, chaque magasin a sa maudite carte. Personnellement, je n’abandonnerai certainement pas Sandy. Et, encore une fois, je ne suis pas seul…

À toute grande chose, une grande sous-culture

Vous devinez donc ma joie lorsque je suis tombé sur le Canadian Tire Coupon Collectors Club, une association où la passion pour les billets est portée à son ultime limite. On m’y a accueilli comme dans une famille.

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Après avoir avoué mes intérêts journalistiques, Jerome Foure, l’un des directeurs du club, s’est empressé de me fournir son numéro de téléphone.

Jerome à la convention annuelle du Canadian Tire Coupon Collectors Club au Nouveau-Brunswick en août dernier.

Lui, de l’argent Canadian Tire, il en a plein les poches. Mais ses intérêts ne sont pas économiques. « Je ne dépense jamais un billet chez Canadian Tire! » me confie-t-il.

Ça explique peut-être pourquoi le collectionneur possède plus de 100 000 spécimens! « Mais dans ma collection, j’en ai plutôt 1500. Les autres, c’est des doubles », tempère-t-il. Ceux-là, Jerome les échange avec d’autres passionnés, ou les met en vente sur son site.

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Au moment d’écrire ces lignes, 4324 spécimens de sa collection sont disponibles à l’achat – des billets, mais aussi des cartes-cadeaux, des épinglettes et des camions Canadian Tire de collection. Cumulés, ils ont une valeur de plus de 500 000 $, me confie l’infographiste. Sa meilleure vente? Un billet à 5500 $, dont il n’existe que 12 exemplaires connus. Il semble pourtant identique aux 3,7 millions de billets de 2 $ imprimés en 1989. Ou presque… le numéro de série est un peu plus à droite que les autres. Un oeil expérimenté sait aussitôt ce que cela signifie : il s’agit d’un billet de remplacement, ce qui veut dire qu’il a été produit pour substituer un billet « amoché » lors sa fabrication.

L’appel du billet magique

Jerome commence à piquer sérieusement ma curiosité. Je lui demande alors ce qui l’a poussé à s’intéresser à la devise promotionnelle. « Les voleurs », me lance-t-il. Hein? « Les voleurs », répète l’homme de 67 ans. En 1985, des gens sont entrés dans son appartement et se sont emparés de sa collection de (vraie) monnaie canadienne. Ils ont tout pris sauf… son argent Canadian Tire.

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La même année, il raconte être tombé, par hasard, sur un billet 5 cents comportant une erreur : une petite tache sur le front de l’« Écossais », le personnage ornant la devise.

« Je l’ai mis de côté, ça m’a touché […]. Aujourd’hui, par contre, ça m’en prend beaucoup pour faire palpiter mon cœur », admet l’homme avec maturité. Il ajoute que maintenant, il a quelques centaines de billets semblables en sa possession.

C’était le début d’une longue et belle histoire. Après avoir acheté ses 1000 premiers billets à des amis, il s’est mis à faire le tour des magasins – parce que la chasse à l’argent Canadian Tire nécessite de la créativité et un peu d’aventure. « À un moment donné, un gérant m’a suivi jusque dans le stationnement et il m’a dit “Hey, viens pu achaler mes caissières, elles ont de l’ouvrage à faire, eux autres!” », se remémore l’homme en riant.

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Un club pour les rassembler tous

Éventuellement, Jerome a pu constater qu’il n’était pas seul dans sa quête : en 1990, le Canadian Tire Coupon Collectors Club était créé. « J’ai joint le club presque instantanément, et j’ai jamais regardé en arrière », raconte-t-il, la flamme de la passion encore bien vive dans la voix. Aujourd’hui, son nom côtoie 1082 membres officiels.

Robert Ribardy, un Trifluvien également membre du Canadian Tire Coupon Collectors Club, posant avec sa collection il y a une dizaine d’années

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Quand je lui demande quelle est la fonction du club, Jerome me répond, moqueur : « à part collectionner de l’argent Canadian Tire ? » C’est vrai que ça ne pourrait être que ça… mais cumuler la crème de la crème des mythiques billets et tout autre objet de la franchise digne d’être collectionné, c’est avant tout une affaire de gang. Et ça, ça nécessite parfois de prendre la route.

« On se rencontre minimum quatre fois par année à Montréal, 3-4 fois à Toronto et à Halifax, un peu dans l’Ouest aussi », précise le collectionneur, qui a obtenu le prix de distinction Sandy McTire, en hommage au nom de l’Écossais présent sur les billets.

« Cré-le, cré-le pas, c’est Montréal qui a les meilleures réunions! », dit Jerome, qui habite dans la région métropolitaine. Aux rencontres locales, ils sont environ 25 membres. D’ailleurs, la prochaine convention annuelle du Canadian Tire Coupon Collectors Club, le plus gros évènement du club pancanadien, est prévue à Laval le 16 et le 17 août prochain, si jamais vous flirtez avec l’idée de lancer votre propre collection.

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L’heure du test

Vous comprendrez qu’à ce moment de la discussion, je brûle d’envie de mettre à l’épreuve l’expertise de notre collectionneur invité. Je sors donc le fameux billet de 5 cents de mon portefeuille, avec l’intention de lui faire deviner, à l’aveugle, l’année son année de production. Qui sait, j’ai peut-être un spécimen rare en ma possession?

Après lui avoir mentionné que le bon vieux Sandy se trouve à droite de mon 5 cents (il est parfois à gauche), Jerome devine déjà un nombre impressionnant de détails. « Le billet est vert assez foncé, son numéro de série est à 10 chiffres, il commence avec un 0, et son second chiffre est 5 ou moins », me balance alors du tac au tac le collectionneur.

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Je précise que le second chiffre du numéro de série est 3. « Il date de 2006 ou de 2007 », dit-il sans hésiter. Et c’est comme ça que j’ai appris que mon billet porte-chance ne valait finalement pas grand-chose. Pas grand-chose, sauf mon amour.

Et finalement, pour moi, c’est tout ce qui compte quand on parle d’argent Canadian Tire. C’est pas une game dans laquelle on embarque pour faire une passe de cash. Qu’on ait un ou 100 000 billets, ultimement, c’est le feeling que ça nous donne qui est important.

À la lumière de cette révélation, mon billet de 5 cents, même s’il ne vaut réellement que 5 cents (en huile, en tournevis ou en bâton de hockey), ne quittera pas mon portefeuille de sitôt!