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Hommage à la patinoire extérieure

Parce que le vrai hockey se joue sur un étang gelé.

Par
François Lemay
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Cet article a été publié dans sa première version le 22 novembre 2018 et mis à jour le 30 janvier 2024.

Mon père avait beau être impatient et occupé, il n’a jamais laissé passer un hiver sans préparer une patinoire dans la cour. Au début, c’était pour moi, alors que je sortais jouer tout seul en m’assurant de chanter l’hymne national avant de courir après la rondelle, parce que c’est comme ça que les grands font à la télévision. Ensuite pour mon frère plus jeune qui possédait au moins trois fois le talent que je n’avais pas.

C’était un genre de rituel annuel, hérité de mon grand-père. Vers la mi-novembre (j’ai grandi dans Charlevoix, là où l’hiver commence fin octobre), mon père commençait par taper un immense rectangle de neige dans la cour, afin de faire un bon fond pour ne pas briser le gazon. La pipe accrochée à la bouche, comme son père l’avait fait avant lui, il arrosait toute la soirée en s’assurant de laisser la glace prendre entre les couches d’eau. Et le lendemain, quand on revenait de l’école, on pouvait enfin goûter ce moment de liberté au grand froid, les pieds engourdis par les patins trop serrés à cause des bas de laine.

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Quand ce n’était pas chez nous, c’était chez un voisin qui lui, le chanceux, avait droit à une patinoire bordée de bandes en bois (c’est pas juste, son père travaillait dans la construction). On s’y retrouvait, notre gang, pour jouer au hockey libre, sans positions, sans règlements, sans arbitre et, surtout, sans parents qui crient de garder la rondelle et de tirer plus souvent au but.

Sur la patinoire extérieure où il avait joué plus jeune, mon père s’était pris pour Jacques Plante ou Terry Sawchuk. Il était gardien de but l’hiver et receveur l’été, le genre à aimer recevoir des pucks et des balles dans le front sans chialer.

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Moi, j’étais Peter Stastny et mon frère Wayne Gretzky. Parce que tous ces joueurs, comme nous, ont joué au vrai hockey quand ils étaient jeunes. Celui qui se joue à l’extérieur.

C’est une tradition profondément ancrée dans notre culture qui risque malheureusement de se perdre. Le hockey, maintenant, c’est sérieux, c’est organisé. Ça se joue dans des arénas, en plein désert de l’Arizona, parlez-en à Auston Matthews.

Mais le plus grand ennemi du hockey extérieur au Québec ça reste les bouleversements climatiques. Il fait de plus en plus chaud et c’est difficile de maintenir des patinoires. Ça coûte cher, il faut utiliser des équipements pour réfrigérer les glaces ou, encore, on les recouvre. Il y en a de moins en moins et celles qui restent ouvertes ne le sont parfois que quelques semaines.

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Et c’est ça qui est triste. La perte graduelle de ces petits espaces de liberté qui nous permettent d’apprendre à s’autoréguler et à jouer, à avoir du fun sans que la ligue des loisirs locale ou un gardien de sécurité zélé viennent nous l’interdire. Parce que ça prend des assurances, de l’encadrement et qu’il y a des horaires à respecter.

Tout ce qui n’existe pas, au fond, sur un étang gelé en plein milieu d’un boisé. Même si ça signifie subir l’humiliation d’entendre « on vous laisse Lemay ! » lorsqu’on fait les équipes.