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Homard et crabe des neiges : des prix qui pincent!
Il est difficile pour plusieurs d’entre nous de concevoir qu’il n’y a encore pas si longtemps, les crustacés comme le homard et le crabe étaient vus comme étant de la nourriture de pauvres. Une chose est sûre, l’industrie a eu droit à un sacré glow up dans les dernières années.
À tel point que des pêcheurs de homard en Nouvelle-Écosse affirment que leurs « homards sont maintenant faits en or »! En effet, les prix des homards ont, au cours des derniers mois, flirté avec les 20 $ le kilo, soit les prix « les plus élevés de l’histoire commerciale ».
Si vous comptiez vous rabattre sur le crabe des neiges pour satisfaire vos envies de saveurs iodées et de beurre à l’ail, préparez votre portefeuille. On estime entre 20 et 30 % la hausse des prix pour ce crustacé du golfe du Saint-Laurent. Cette hausse fulgurante inquiète des expert.e.s, qui craignent que les consommateurs et consommatrices du Québec ne puissent plus s’offrir ces fruits de mer.
Alors que la pêche au crabe des neiges ouvre officiellement aujourd’hui dans le Saint-Laurent, on vous décortique ce qui cause cette flambée des prix, et comment l’avenir se dessine.
Un produit inconvénient
Bien qu’ils soient délicieux, les homards et les crabes ne sont pas les matières alimentaires les plus faciles à commercialiser. De ce fait, les nombreuses contraintes liées à leur pêche, leur acheminement et leur mise en marché font que les prix sont ce qu’ils sont.
Premièrement, le crabe des neiges et le homard américain ne peuvent être élevés en pisciculture. Il faut donc de solides gaillard.e.s qui se lèvent tôt chaque matin pour remonter les casiers, ce qui est déjà énorme comme travail.
Par la suite, les crustacés doivent, dans la mesure du possible, être gardés vivants jusqu’à leur lieu de consommation final. Parce que cuire un homard lorsqu’il est mort donne une chair coriace et désagréable à manger.
Au Québec, où nous disposons de cette ressource, on tient un peu pour acquises nos saisons de pêche, où la denrée est fraîche et abordable. Mais le homard canadien et le crabe des neiges, qui jouissent d’une belle réputation dans le monde, doivent faire le trajet en avion, ce qui peut représenter 40 $ de frais de transport pour un seul homard! Pas étonnant, donc, que ce met ait acquis un statut de luxe.
Durant le transport, comme vous pouvez vous en douter, il est commun de perdre au combat quelques homards, dont la valeur sera calculée dans le prix final du spécimen qui se retrouvera dans votre assiette. Si le prix du homard tourne en ce moment autour d’une douzaine de dollars la livre aux fournisseurs, il peut facilement avoisiner les 50 $ une fois que le crustacé est apprêté et servi dans votre assiette au restaurant! Idem pour le crabe des neiges pêché dans le golfe du Saint-Laurent, et dont le prix a doublé.
Comme l’expliquait la cheffe Colombe St-Pierre, propriétaire de restaurant, lors d’une discussion en direct sur Facebook à ce sujet : « Comme restauratrice, je peux continuer de vendre le crabe des neiges, mais je dois être capable d’expliquer pourquoi les clients paient 50 ou 60 $ pour une petite portion alors qu’il s’agit d’une ressource d’ici. »
Une biomasse qui se porte bien
Thomas* (nom fictif) est un expert en approvisionnement de fruits de mer pour une compagnie de distribution alimentaire. Ayant grandi dans une famille de pêcheurs sur l’Île-du-Prince-Édouard, son intime connaissance de l’industrie, des pratiques et des prix lui a donné un net avantage lors de son arrivée sur le marché montréalais, où les gens s’y connaissent encore peu, selon lui.
«Ce n’est pas une question d’offre et de demande : c’est une question de marketing»
Il commence par me rassurer (un peu), en m’expliquant que la flambée des prix n’a rien à voir avec les quotas. Alors que certaines espèces ont vu leurs quotas diminuer de près de 40 % l’an dernier, ce ne fut pas le cas pour le homard, dont les stocks sont en bonne santé.
« Notre volonté de créer une manière plus durable de gérer les stocks a eu un effet sur la biomasse des homards, explique l’expert. On n’en sait encore peu sur leur vie, même sur leur manière de se reproduire. Donc pendant longtemps, on remontait les casiers, et les homards qui étaient trop petits étaient rejetés à l’eau. On s’est par la suite rendu compte qu’ils étaient très sensibles : l’impact lorsqu’ils frappaient l’eau les assommait, et ils étaient dévorés pas un prédateur avant de reprendre conscience. »
Depuis, les casiers ont été modifiés, pour permettre aux plus petits homards d’en sortir. Cela aurait eu comme effet de régénérer les stocks. Des mesures similaires pour le crabe ont été adoptées, ce qui a permis de bonnes saisons dans les dernières années.
Ça coûte cher, le monde moderne
Après des ventes décevantes en 2020, lorsque la pandémie a frappé, plusieurs pêcheurs ont eu une année financière difficile malgré l’aide gouvernementale. En même temps, nombre d’entre eux se sont rendu compte du besoin criant de revitalisation de leurs équipements. Que ce soit des casiers munis de GPS afin de ne pas les perdre, de nouveaux outils technologiques à bord ou simplement un nouveau bateau, c’est une transition vers la modernité qui coûte cher puisqu’elle demande plusieurs centaines de milliers de dollars d’investissement.
«C’est complètement fou, les choses qui se passent de manière complètement illégale. Des fournisseurs chinois qui déposent un million $ dans ton compte avant même que la saison ait commencé»
Et, évidemment, TOUT coûte plus cher ces temps-ci, et l’industrie de la pêche n’échappe certainement pas à cette tendance. Certains pêcheurs des provinces atlantiques disent devoir payer deux, voire trois fois plus cher pour le diesel qui alimente les embarcations. La pénurie de main-d’œuvre n’épargne également pas le secteur. Bref, une recette parfaite pour faire augmenter les prix de la ressource.
Une demande étrangère « quasi infinie »
Thomas, qui se spécialise surtout dans le homard et les huîtres, me confirme que l’inflation, le prix de l’essence et la modernisation des infrastructures ont en effet une incidence sur les prix. Mais le vrai problème est ailleurs.
Comme mentionné plus tôt, crabes et homards n’ont pas toujours joui de la réputation luxurieuse qu’ils ont aujourd’hui. Et pour Thomas, qui a grandi avec la ressource et croit que les canadiens devraient y avoir accès à prix abordable, ces crustacés doivent perdre cette façade de denrée rare.
« Si tu demandes à un pêcheur de homard ces jours-ci pourquoi les prix augmentent, il te parlera de la hausse des prix du maquereau, qui est utilisé comme appât, ou encore du coût du carburant. C’est certain que ça n’aide pas, mais la réalité, c’est que pour les pêcheurs, c’est devenu un objet de luxe », explique l’expert, dérangé par l’état des choses.
« Ce n’est pas une question d’offre et de demande : c’est une question de marketing. Ils savent que la réputation de luxe qu’ont le crabe et le homard fait que nous les payons cher, dans les restaurants dans les grandes villes. Ils basent donc leurs prix sur l’image que les médias en font. »
Si le prix du homard tourne en ce moment autour d’une douzaine de dollars la livre aux fournisseurs, il peut facilement avoisiner les 50 $ une fois que le crustacé est apprêté et servi dans votre assiette au restaurant!
L’autre cause de cette hausse sans précédent est la demande « quasi infinie » en Asie, où les fournisseurs redoublent d’inventivité pour avoir la plus grosse allocation. « C’est complètement fou, les choses qui se passent de manière complètement illégale, mentionne Thomas. Un gars qui attend au quai avec une valise contenant 500 000 $ comptant pour acheter toute une cargaison. Des fournisseurs chinois qui déposent un million $ dans ton compte avant même que la saison ait commencé, juste pour avoir ce qu’il te restera. »
Comme me le rappelle d’ailleurs Thomas, la forte majorité de nos crustacés sont exportés, surtout vers les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Inde. En termes de crabe des neiges, surtout, notre industrie pourrait avoir un gros avantage : son plus gros compétiteur, l’Alaska, réduit de 88 % ses quotas cette année. Et, les États-Unis ayant banni l’importation des fruits de mer en provenance de la Russie (troisième producteur mondial), toutes les conditions sont réunies pour que les ventes québécoises atteignent de nouveaux records.
Si cela signifie de gros profits pour les pêcheurs et les fournisseurs, il y a tout de même une inquiétude par rapport à l’accessibilité de nos propres ressources dans la province. L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) publiait récemment Le prix du crabe des neiges : comprendre les mécanismes et les enjeux économiques, une toute nouvelle étude qui montre que le prix du crabe des neiges au Québec a quadruplé depuis 2010. Ses coauteurs, les chercheurs Gabriel Bourgault-Faucher et François L’Italien, tout comme Thomas, s’entendent pour dire qu’il faudra une meilleure manière d’encadrer l’industrie. Entre autres, ils proposent soit de créer un mécanisme de régulation des prix, soit de mettre en place un fonds de diversification des pêches.
Comme le résume Thomas : « Le homard se porte bien, c’est l’industrie à l’entour qui ne tourne pas rond! »