Logo

Histoires d’Halloween

Chronique d’un vieux nostalgique fatigant

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

31 octobre 1984. Je me déguise en Michael Jackson. J’ai un mono-gant scintillant, un petit coat en cuirette rouge et peut-être même un blackface (c’est loin mais c’était encore permis dans le temps-là et MJ était non seulement noir mais il n’était pas encore pédophile non plus). Thriller est la trame sonore de mes six ans et j’ai toujours la chienne pendant le rire satanique à la fin de la toune. Ce costume serait cancellé de toutes les façons aujourd’hui, mais j’avais fait sensation dans le quartier Sainte-Dorothée à Laval.

31 octobre 1988. Je suis dans la période «je vais peut-être me ramasser dans la LNH» de mon existence, galvanisé par mes prouesses sportives avec les Red Wings de Saint-Eustache (atome C).

« T’es mieux d’être bon avec les poches, que poche avec les bons », m’a dit mon père, un homme d’une grande sagesse, pour me réconforter de jouer dans la catégorie de ceux qui freinent en fonçant dans la bande.

Publicité

Ça tombe donc sous le sens que je me déguise en joueur d’hockey avec l’équipement, les protège-lames, pis toute le kit. Le hic, c’est qu’il neige ce soir-là et que ma mère – véritable crinquée du linge chaud – insiste pour que je mette un manteau, une tuque, des gants, un cache-cou pis sûrement un passe-montagne. Résultat: mon bâton Sherwood est la seule chose qui fait « joueur de hockey » dans mon costume.

31 octobre 1993. J’ai 15 ans, une moustache en duvet et une coupe champignon. J’ai l’air d’un poupon, mais mes hormones d’ado en pleine ébullition m’ont transformé. Résultat: je consacre une bonne partie de mon temps à lire en cachette la section «lingerie» du catalogue Sears automne/hiver ou à compter les dodos avant le grand débrouillage à Super Écran.

Je suis rendu trop vieux et je ne peux plus passer l’Halloween, de peur de tomber sur des gens de mon école qui vont rire de moi. Je mets un capuchon et le premier masque qui me tombe sous la main pour faire une couple de maisons dans le voisinage. Sur la rue de Martigny, un employé de Pepsi distribue des canettes à tout le monde avec pour fond sonore des sons de maison hantée sur cassette.

L’Halloween vintage

L’Halloween a toujours été une fête importante dans ma vie.

Publicité

Dans mes souvenirs d’enfance, elle était un peu plus broche à foin, vintage comme dans le film ET nettement moins commerciale.

Ajoutez à ça le fait qu’il fallait traverser un cimetière (évidemment hanté) pour rentrer à la maison, après l’école.

Je passais l’Halloween avec une taie d’oreiller et ma mère triait mes bonbons au cas où quelqu’un aurait enfoncé une lame de rasoir dans mes caramels louches (meilleur bonbon, change my mind).

Mes parents étaient assez répressifs sur le sucre, ce qui veut dire qu’ils confisquaient nos mini-palettes de chocolat pour nous les redistribuer au compte-goutte (genre, une par jour). Ce régime de mini Crispy Crunch forcé (meilleur chocolat, change my mind) s’est retourné contre eux, puisque dès que j’ai atteint l’âge de l’émancipation, je suis tombé dans le sucre comme une vedette sur le déclin dans une émission de rénovation à Canal Vie.

J’aimais aussi le côté artisanal de l’époque, avec des déguisements faits maison, avec les moyens du bord. Côté friandises aussi, c’était différent.

Si le chocolat est aujourd’hui la norme, tomber autrefois sur une palette de chocolat était aussi satisfaisant que gagner à la loterie.

Publicité

Sérieux, les bonbons poches sont en voie d’extinction. Je désapprouve parce que c’est grâce aux suçons verts et aux rouleaux de bonbons pas de la marque Rockets qu’on appréciait les sucreries l’fun.

En plus, l’Halloween est rendue hors de prix. Je sais bien que le salaire minimum n’est plus 6,70$ et l’essence 53 cennes le litre, mais il faut presque vendre un rein sur le marché noir pour s’acheter un stash de bonbons.

Hier, à la pharmacie, j’ai payé 110$ pour quatre boîtes de chocolats, une de suçons et une autre de Rockets (des vrais).

Heureusement, je travaille chez URBANIA, donc je suis millionnaire. Mais ce qui me choque, c’est que pendant que je gave le voisinage de sucre avec des sélections fancy, certains se contentent d’acheter une boîte juste pour dire, tout en laissant leur enfant profiter de mes largesses calorifiques.

Oui, je vous vois, les voisins!

Vous, qui n’ouvrez pas votre porte, même si vos mioches font le porte-à-porte.

Publicité

Vous, qui distribuez des bonbons pour un gros total de quinze minutes avant d’être à sec.

Vous, qui nous forcez à grimper au troisième étage pour ne donner qu’un kiss à la mélasse.

Et que dire de certains comportements contemporains qui tuent l’essence même de l’Halloween.

D’abord, l’heure de la cueillette.

Dans mon temps (oui, je suis désormais cette personne), il fallait attendre la noirceur avant de passer l’Halloween.

À c’t’theure, ça sonne à la porte dès que l’école est finie et je dois me cacher dans ma propre maison pour ne pas me présenter à la porte pour décevoir Adèle (qui n’a rien à se reprocher, sinon d’avoir des parents patacrac).

Du calme, les parents freak qui veulent passer de bonne heure parce qu’il y a de l’école le lendemain et gnagnagna. Pas si grave si Mathis ou Romane sont un peu poqués, demain pendant leur matinée de troisième année, après tout, ils SONT QUAND MÊME PAS EN CHARGE DES CODES NUCLÉAIRES, VIARGE!

Bon, heureusement que le prix indécent du gaz risque de refroidir les ardeurs des zinzins qui passent l’Halloween en voiture. Ça se passe surtout en banlieue, mais chaque édition amène sont lot de paresseux qui suivent leurs petits cocos bien au chaud dans leur automobile.

Publicité

Ça, c’est sans compter ceux qui font du char pour amener leurs enfants dans les quartiers « payants », côté bonbons. Vous vous reconnaissez et sachez qu’on vous juge. Si t’es assez crinqué pour traîner tes enfants dans les Shop Angus pour avoir plus de mini-palettes de chocolat, c’est clair que t’es le genre à jouer du coude au Cocothon de Laval.

Le monde s’aseptise et Halloween n’y échappe pas.

Souvenez-vous la fois où on a annulé la chose à cause de… la pluie.

On l’a ensuite pseudo-cancellée à cause de la pandémie, sauf sous de sévères conditions. Seul l’avenir dira si on n’était pas un peu en train de virer collectivement su’l’top avec notre distribution de bonbons à l’aide d’une pince à BBQ.

Publicité

Un costume d’infirmière cochonne pour la route

Dans cette époque de performance et de douance, la qualité du costume s’est maintenant élevée à des niveaux stratosphériques.

Si on pouvait autrefois se promener avec un drap sur la tête avec des trous pour les yeux, il faut aujourd’hui mettre le paquet pour gagner l’Internet et montrer à notre entourage qu’on est les meilleurs parents. Un peu comme nos collègues de travail qui se pensent bons pour se brosser les dents au bureau après le dîner.

Publicité

Mais acheter un costume de Squid Game sur Amazon, c’est excessivement cher et pas super original.

Mes enfants peuvent s’estimer chanceux que leur mère soit une sale hippie, qui tient mordicus à fabriquer elle-même leurs costumes.

Elle investit beaucoup de temps là-dedans, au point de négliger son couple. Je suis un veuf de l’Halloween, abandonné à moi-même durant tout le mois d’octobre pendant que madame coud une robe de Hocus Pocus pour Simone, ou un kit de fête des morts à la mexicaine.

Je vous entends crier. Mais sachez que, comme elle vient de la Rive-Sud, cette fille n’est nullement sensible à l’appropriation culturelle.

-Si j’ai envie de me déguiser en indienne, c’est mon droit!, lançait-elle l’autre jour, sans faire référence à la population de New Delhi.

Gênant.

Par chance, il y a de l’espoir (un peu). Le directeur de l’école de ma fille a envoyé une lettre aux parents pour leur demander d’être sensibles à l’appropriation culturelle.

Publicité

Bonne nouvelle pour les nostalgiques, les boutiques d’Halloween n’ont pas encore reçu le mémo au sujet de l’évolution des mentalités.

Résultat: on peut encore y trouver des costumes de fakir ou une coiffe autochtone sans s’enfarger dans les fleurs du tapis (clouté). C’est aussi sans compter les outfits sexu pour les filles, qu’on a condamnées à vie à se vêtir comme des actrices de soft porn.

Publicité

L’Halloween > Noël

À la maison, l’Halloween est une religion.. Les décorations sont installées, les bonbons sont sur le bord de la porte, les costumes sont en chantier et Simone en parle depuis avril.

Pas de farce, on amorçait notre voyage en Amérique du Sud la première fois.

-Toi, papa, tu vas te déguiser en quoi à l’Halloween?

-Euh…les nerfs osti, Pâques est dans un mois…

Cette année, c’est la première fois que mon fils ne passera pas l’Halloween.

Bien sûr que ça me fait quelque chose, vous savez maintenant à quel point je suis un indécrottable mélancolique.

Lui aussi doit être triste, j’en suis sûr. Quinze ans, c’est l’âge où t’as pas envie de croiser un camarade de classe en train de distribuer des bonbons pendant que t’es costumé en ninja.

-Ah! Salut, Victor. Tu me reconnais, on est ensemble en Éthique et culture religieuse?

-Ahhhh… Oui haha COWABUNGA!!

La patience est de mise.

Après une accalmie de quelques années, l’Halloween reviendra en force dans sa vie. Une fois adulte, les partys d’Halloween sont les meilleurs. C’est fou à quel point un costume peut nous désinhiber. Suffit parfois d’un masque pour transformer le plus coincé des coincés en véritable esclave du rythme sur le dancefloor. C’est la soirée idéale pour cruiser aussi, puisque ton personnage te donne déjà un prétexte pour entrer en contact avec le monde.

Publicité

C’est sans compter le haut potentiel de walk of shame le lendemain, où tes chances de croiser un vampire ou un pirate avec la mine basse dans le métro sont assez élevées.

Parlant de pirate, je vais pour ma part me déguiser en capitaine Haddock cette année. URBANIA organise son party annuel et le thème est «héros de notre enfance».

Bon, j’aurais préféré Tintin, mais je suis devenu trop baquet pour lui rendre justice convenablement. T’sais, le chaudaille gossant qui va postillonner « mille millions de mille sabords » ou « bachibouzouk » toute la soirée, et bien, ça sera moi.

Heureusement, mes collègues seront probablement tous sur la MD ou le micro-dosing, ce qui fait qu’ils vont avoir tout oublié le lendemain.

Sans un maudit thème imposé, j’aurais certainement opté pour un déguisement de Serge Thériault qui a crissement l’air de s’être fait tordre Un bras pour jouer dix secondes dans La petite vie.

L’an prochain, qui sait. Sinon, un costume de défi accepté de publier une photo de moi dans l’exercice de mes fonctions sur Facebook pour inonder les réseaux sociaux de notre métier.

À ce sujet, même le mot « défi » était genre «Hein?!? Quoi?!?»

D’ici là, joyeuse Halloween.

Publicité

Ah oui, un petit mot à la personne qui va se poster immobile avec un masque du film Frisson sur un balcon pour faire des sauts aux enfants: arrête ça. C’est traumatisant pour tout le monde pis t’as genre 38 ans, dude.