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Hériter du gène de la dépression : une affaire de filles?

Hériter du gène de la dépression : une affaire de filles?

Quand l'ADN vient jouer dans nos émotions.

Par
Brigitte Hébert-Carle
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J’ai déjà fait une dépression. Il y a une vingtaine d’années, je finissais mon BAC dans un programme qui ne m’intéressait pas, je devais chercher un emploi pour payer moi-même mon appartement et je vivais ma première grande peine d’amour. Trop de choses en même temps. J’ai fini par m’effondrer.

Quand mes parents se sont séparés, j’ai vu ma mère dans un état semblable. Elle a flirté avec les idées noires pendant un moment. Y a-t-il un lien entre son état et ce que j’ai vécu? La dépression se transmet-elle, comme un héritage inscrit dans nos gènes?

Une étude de la neurophysiologiste Fumiko Hoeft, de l’Université de Californie à San Francisco (USCF), parue dans le Journal of Neuroscience en janvier 2016, explique justement cette « transmission intergénérationnelle » – et je ne parle pas ici de la recette de sauce à spaghetti familiale de ma grand-mère Rachel, mais bien d’émotions comme la dépression.

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Maman, je vais être maman

Quand j’ai annoncé à ma mère que j’étais enceinte, j’ai senti que derrière sa joie se cachait une forme de crainte. Sur le coup, j’ai cru qu’elle doutait de moi, de ma capacité à m’occuper d’un autre être humain. J’aurais préféré qu’elle voie en moi une future mère parfaite. J’avais certainement besoin de me sentir en possession de mes moyens, parce que moi aussi, à l’intérieur, je tremblais.

En rétrospective, je pense que ma mère voulait tout simplement m’éviter bien des difficultés, des tempêtes, des ouragans, même. Parce qu’elle savait peut-être trop bien, mieux que moi, que je partageais son ADN, et que j’allais vivre des montagnes russes d’émotions.

L’équipe de chercheurs de l’UCSF a découvert que le cerveau des mères et des filles semble être particulièrement lié dans une zone très précise : le système corticolimbique. Ce dernier régule et traite les émotions et joue un rôle dans les troubles de l’humeur (traduction libre).

Les scientifiques suggèrent qu’elle pourrait être en partie héritée de mère en fille, ce qui expliquerait une prédisposition accrue à des troubles comme la dépression.

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En effet, la dépression, l’anxiété, et autres petits bobos du cerveau se transmettraient à travers un circuit cérébral commun. Donc, chaque fois que j’ai peur de transmettre mes angoisses à ma fille, ou de retrouver en moi certains réflexes de ma mère, ce n’est pas juste une lubie. C’est bel et bien en train de se passer…

Du cerveau aux émotions

Fumiko Hoeft a mené son étude sur 35 familles en bonne santé, et à l’aide d’IRM (imagerie par résonance magnétique), l’équipe a pu observer les cerveaux des mères et de leurs enfants. Ce qui est fascinant, c’est que l’association entre le volume globulaire moyen du système corticolimbique des mères et des filles était significativement plus forte que celle entre les mères et les fils, les pères et les fils, et les pères et les filles (traduction libre).

J’ai toujours su que j’avais un lien privilégié avec ma mère, en plus de partager son nez aquilin, mais la science le confirme: il y a quelque chose de spécial qui se passe dans les cerveaux de mères en filles.

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La génétique a ses limites

Mais avant de penser qu’on est condamnées à vivre avec les troubles émotionnels de notre mère, ou à les transmettre à nos filles, rassurez-vous. Oui, la génétique a une influence, mais ce n’est pas tout.

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« De nombreux facteurs jouent un rôle dans la dépression – des gènes qui ne sont pas hérités de la mère, l’environnement social et les expériences de vie, pour n’en citer que trois. La transmission mère-fille n’en est qu’un aspect », explique la Dre Hoeft. Si la génétique peut prédisposer certaines femmes à ces troubles, elle n’est pas la seule responsable.

La transmission de l’anxiété

Ma mère a consulté à gauche et à droite, mais ça n’a jamais été une priorité pour elle. Elle s’est toujours considérée « trop vieille » pour changer. Un peu comme une condamnation. De mon côté, je pense qu’il n’y a pas d’âge pour tenter de s’améliorer, ou de mieux se comprendre.

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Alors oui, certains traits se transmettent plus facilement de mère en fille, mais les mentalités, elles, évoluent. Et même si une étude publiée dans Frontiers in Psychology a révélé que les milléniaux et les membres de la génération Z signalent une augmentation plus importante des symptômes de troubles psychologiques, notamment des troubles anxieux, par rapport aux générations plus âgées, les milléniaux seraient deux fois plus susceptibles de reconnaître que leur santé mentale se porte mal, par rapport aux baby-boomers (traduction libre).

Si ça continue comme ça, ma fille sera sans doute encore plus à l’écoute d’elle-même que moi, et elle prendra en main sa santé mentale encore plus tôt. Comme quoi, parfois, on peut donner un petit coup de pouce à la génétique.

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