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Héritage : choisir de léguer de son vivant
J’ai rarement réfléchi à l’héritage. Il faut dire qu’à 26 ans, on a d’autres choses à penser : aimer son boulot, trouver un condo, entretenir ses amitiés, etc. C’est déjà pas mal quand on entre dans la vie adulte. Pour moi, le legs, ça arrivera le plus tard possible – j’espère, the classical way, soit quand j’aurai plus de soixante ans et que mes parents iront voir si le gars barbu existe vraiment.
En plus, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours aidé : financièrement pour mes études et moralement pour ma santé mentale. Et ça, c’est déjà un héritage à part entière.
Pourtant, beaucoup de personnes vont plus loin que mes parents, et décident de gérer leur héritage bien avant de décéder. Ça peut être pour éviter de payer trop de taxes (parce que quand quelqu’un décède, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que le gain en capital sur certains actifs du défunt est assujetti à l’impôt), pour s’épargner quelques chicanes sur la répartition, pour aider les petits-enfants quand ils en ont le plus besoin, ou même pour éviter de laisser cette charge mentale à leurs proches dans un moment de deuil.
De plus, notre espérance de vie qui rallonge rend la volonté de léguer de son vivant encore plus forte, et c’est pourquoi on peut donc être confronté.e.s à l’héritage plus tôt que prévu. Autant vous dire : il vaut mieux s’y préparer que de faire comme si ça n’allait jamais arriver.
L’héritage-surprise
Léa*, 29 ans, vit à Montréal et travaille dans une entreprise médiatique et de communication. Elle, elle n’a pas eu le temps de se préparer : à 21 ans, elle a reçu 60 000 $… d’un grand-oncle. « Personne ne s’attendait à le recevoir. Il a décidé de sauter des générations : celle de ses frères et sœurs, et celle de leurs enfants et de ses neveux et nièces, parce qu’il considérait que ceux qui avaient besoin de cet argent-là étaient les petits-enfants – même ceux qui n’étaient pas directement les siens », décrit la jeune femme.
L’avantage, c’est que ça a coupé court à toute chicane . « Ce qui a enlevé de la difficulté, c’est que comme personne ne s’attendait à recevoir cet argent-là, personne n’a eu l’impression de le perdre », décrit Léa en souriant, avant d’ajouter :
« Je pense que ma famille était consciente que ça allait faire une grande différence dans nos vies. »
En effet, pour ses sœurs et une de ses cousines, ça a changé beaucoup de choses : « Ma sœur est allée étudier à Ottawa en droit. Là-bas, les loyers sont encore plus chers. Ma grande sœur a pu acheter sa première maison et j’ai une cousine qui a pu retourner aux études, chose qu’elle n’aurait pas faite si elle n’avait pas eu cette somme. » D’après Léa, c’est exactement pour ce genre de situations que son grand-oncle avait fait ce choix.
De son côté, la jeune femme laisse fructifier la somme pour pouvoir un jour acheter un condo à Montréal, en évitant de trop en parler : « Malgré ça, je ne suis pas capable d’acheter avec mon chum alors qu’on a chacun une job à temps plein. Donc, quand je regarde mes amis autour de moi, je me sens mal d’en parler, parce que leur situation est encore pire. »
Déléguer, petit à petit
Julie, 29 ans, habite aussi à Montréal et travaille dans le domaine des communications. Sa famille a préféré anticiper l’héritage plutôt que de tout faire au dernier moment, soit au décès de quelqu’un. « C’est quelque chose qui inquiète énormément ma mère, parce que quand ma grand-mère est morte, tout a été vraiment compliqué : elle a eu plein de frais de succession, il y a plein de choses qu’elle n’a pas pu garder, qu’elle a dû vendre. C’était déchirant pour elle, particulièrement la vente de la maison de famille », se rappelle-t-elle.
Loin d’être tabou, le sujet de l’héritage a donc été abordé assez tôt par les parents de Julie, qui ont décidé de lui léguer la maison familiale peu de temps après ses 28 ans. « Mes deux frères et moi, on n’est pas directement propriétaires, dans le sens où je n’ai pas l’usufruit de la maison, et ce sont mes parents qui paient encore les taxes. Mais ma mère voulait nous la léguer avant ses 60 ans, parce que ça nous évitait d’avoir à payer des frais de succession », raconte Julie, qui regrette que trop de gens ne soient pas au courant des frais que peuvent engendrer les héritages.
Ses parents la soutiennent beaucoup, que ce soit pour ses études ou ses investissements : une manière pour eux de commencer à léguer progressivement et d’éviter toute complication administrative, tout en aidant leurs enfants, avant qu’ils ne soient plus là.
« Si j’ai des enfants un jour, c’est sans doute quelque chose que je ferais », conclut-elle.
L’héritage, non merci
L’héritage, ce n’est pas qu’une affaire d’argent : c’est aussi accepter une filiation, et toutes les responsabilités financières qui viennent avec. Siam, 25 ans, ne parle plus à son père et ne souhaite pas avoir un legs à sa mort. « Déjà, je ne suis même pas sûre que j’aurai un héritage positif et non des dettes. Dans tous les cas, même s’il avait acheté une maison au cours de sa vie, je ne souhaite pas en hériter parce que je ne veux pas de lien avec lui. Et c’est pour ça, aussi, que je veux commencer les démarches avant son décès », précise la jeune femme, qui travaille dans le domaine des médias et habite dans le sud de la France.
Au Québec, il est « techniquement » impossible d’hériter de dettes grâce à la liquidation de succession. En règle générale, si dettes il y a, elles seront toutes retranchées de l’héritage… ce qui peut toutefois conduire à l’absence d’héritage.
Rejeter un héritage est en revanche tout à fait possible : il faut le faire au plus tard six mois après la notification d’héritage, et les démarches se font devant un notaire. Mais si elles ne sont pas entreprises, vous serez considéré comme héritier.
Le problème, c’est qu’en matière d’héritage, quand on est vivant, il y a toujours plus important à faire, concède Siam : « C’est sur ma to-do list depuis mes 17 ans, mais je ne l’ai toujours pas fait. C’est du temps et de l’argent ». Passer chez le notaire, ça peut venir avec une facture salée – surtout quand, comme Siam, on veut aller plus loin que la question de l’héritage : elle veut annuler la filiation, ce qui voudrait dire que son paternel ne serait même plus considéré comme son père biologique, annulant ainsi de facto son statut d’héritière.
Hériter au décès, ça se fait encore?
Chaque famille a sa propre manière de gérer le legs. Que ce soit pour léguer, pour hériter ou pour rejeter, l’héritage devrait être discuté dans toutes les familles pour éviter les complications comme celles qu’a pu connaître la mère de Julie.
Par contre, parler d’héritage, ce n’est pas toujours facile : il y a la peur de se faire juger, la peur de se sentir privilégié. Mais si vous amenez le sujet en démontrant un simple intérêt d’anticiper la chose et d’éviter les mauvaises surprises, vous allez certainement épargner votre santé mentale (et celles de vos proches!) sur le long terme.
La chose la plus importante à retenir, c’est de faire ça devant un.e notaire. Même s’il est possible de rédiger un testament par vous-même, le risque de laisser des zones grises et ouvertes aux interprétations, et de provoquer des chicanes peut justifier le fait de dépenser pour obtenir de l’aide. Dans tous les cas, bonne chance!