.jpg)
Formulaires inclusifs : on coche quoi quand on est deux pères ou deux mères?
Vous avez des enfants? Fort est à parier que vous avez déjà rempli environ 950 formulaires dans votre (courte) carrière de parent. Maintenant, imaginez si, à chaque remplissage, vous deviez inscrire votre nom sous « père » même si vous êtes une mère. Une fois, ça va, mais après une vingtaine de fois, c’est franchement irritant.
Il y a quelques années, un article du Devoir sur le sujet avait fait pas mal de bruit. On y dressait essentiellement deux constats : d’abord, les formulaires (gouvernementaux, scolaires, médicaux, name it) pour les familles n’étaient pas assez inclusifs, c’est-à-dire qu’on n’y retrouvait que les options « père » et « mère ». Les familles de deux moms, de deux pères ou encore celles avec des parents non binaires ne s’y voyaient pas représentées. Deuxièmement, on dirait que ce n’était le problème de personne. Les centres de services scolaires accusaient le ministère de l’Éducation, qui lui remettait la faute sur les écoles.
Quatre ans plus tard, la situation ne semble pas avoir vraiment évolué. Pourquoi?
Une réforme qu’on attend toujours
Le projet de loi no 2, aussi appelé (attention, c’est long) Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, visait à apporter un bon update au droit de la famille. Parmi la tonne de mesures adoptées le 7 juin 2022, on comptait « la modernisation des textes de loi pour mieux répondre aux besoins des familles LGBTQ », y compris la mise à jour de plusieurs documents et formulaires officiels pour y inclure la possibilité pour tout parent de se décrire comme tel plutôt que comme « mère » ou « père ». Cool, non?
Déjà, certains formulaires, comme ceux du Directeur de l’état civil, comprennent ces formulations inclusives. Ceci dit, il faut savoir que les changements devaient être effectifs dès l’adoption de la Loi. Mais dans les écoles, ces changements-là, on les attend toujours.
Ma question est la suivante : si la loi est effective, pourquoi doit-on encore se buter à des maudits formulaires non inclusifs?
21 ans et aucun changement
Ça peut sembler trivial, mais pour des familles queers, c’est une frustration répétée. « Nous sommes 21 ans après l’adoption de la Loi qui reconnaît les familles homoparentales [au Québec] et il y a toujours des formulaires non adaptés », soupire Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT+.
C’est vrai que 21 ans, c’est assez long.
« Le gouvernement est constitutionnellement obligé d’inclure les parents non binaires dans les formulaires en utilisant la désignation “parent”. Par contre, un pourvoi constitutionnel, ça prend très longtemps à mettre en place… », se désole Céleste Trianon, juriste et activiste transféministe. « Actuellement, la barrière qui empêche l’adoption de ladite mention partout, c’est les systèmes informatiques du gouvernement. Le problème, c’est une combinaison de systèmes désuets et une absence de volonté, de proactivité. »
La Coalition des familles LGBT+ m’indique avoir eu des échos de la part de certaines familles : apparemment, les changements commencent à se faire dans les centres de services scolaires. Toutefois, ce qui semble vraiment faire bouger les choses, c’est plutôt, comme le décrit Céleste, la « pression ou la grogne populaire ». Se plaindre, donc. Super!
Des avancées cet automne?
Ok, mais quand est-ce que ça va changer? Je commence vraiment à déprimer. « Est-ce que je suis optimiste que tous les formulaires seront adaptés dans les semaines ou même dans les mois à venir? Non », indique Mona Greenbaum, qui, comme Céleste, semble plutôt résignée face à la situation. Les intervenant.e.s consulté.e.s espèrent voir des changements tangibles à l’automne 2023.
Mettons que ça arrive vite, et quand on sait que le système de santé continue de penser que le fax est un moyen de communication efficace, difficile de s’imaginer que les formulaires vont changer pour la prochaine rentrée scolaire.
J’ai contacté le ministère de la Justice pour en avoir le cœur net, mais sa réponse a été, on s’en doute, plutôt évasive.
« Les changements induits par la Loi qui ne concernent pas les documents de l’état civil ont des ramifications complexes qui ne peuvent être mises en œuvre aussi rapidement qu’il n’y paraît de prime abord », m’indique-t-on.
Ceci, dit, on me glisse également à l’oreille que « des travaux sont en cours pour actualiser les pratiques gouvernementales en matière de sexe et de genre ». En effet, un comité interministériel, qui réunit 20 ministères et organismes (MO), a été mis sur pied en 2022 et « a pour mandat d’élaborer des propositions d’orientations gouvernementales sur les marqueurs de genre ou de sexe ».
Pour moi, c’est encore flou, mais j’en conclus un truc : les choses bougent, mais pas au rythme auquel les familles marginalisées le voudraient. En attendant, il faut peut-être simplement cultiver sa patience… et continuer de se plaindre.