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Femme enceinte à la recherche d’un emploi

Une opération délicate qui ne devrait pas l'être.

Par
Karine Côté-Andreetti
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Andréane Viau était pigiste lorsqu’elle a appris sa grossesse. Soucieuse de sa stabilité financière lors du congé de maternité, elle se met à la recherche d’un emploi: «Je faisais très attention à ce que je portais, question qu’on ne me discrimine pas. J’étais déchirée entre le fait que la loi ne m’oblige pas à en parler et l’éthique de le faire… ça m’a généré énormément stress!»

«J’étais déchirée entre le fait que la loi ne m’oblige pas à en parler et l’éthique de le faire… ça m’a généré énormément stress!»

Elle n’est pas seule. Motivées par la volonté d’obtenir un revenu décent pendant un congé de maternité, une incompatibilité entre la vie de famille et l’imposante charge de travail du poste actuel ou simplement une opportunité de carrière de rêve, certaines femmes poursuivent leur développement professionnel tout en fabriquant un humain.

Est-ce encore un processus délicat?

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La loi vs la réalité

«Il n’y a aucune obligation légale dans une démarche de dévoiler une grossesse et les employeurs ne peuvent pas poser de questions en lien avec ça», confirme Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA).

En effet, la discrimination fondée sur la grossesse va à l’encontre de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

«Mais il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, il demeure des employeurs qui vont discriminer une femme enceinte parce que c’est plus compliqué à court terme», avoue-t-elle.

Aucune femme ne souhaite travailler pour une entreprise aux telles valeurs, mais la réalité est plus complexe: toutes n’ont pas le luxe de perdre des opportunités qui leur assureraient une sécurité financière, surtout considérant qu’un bébé, ça coûte cher!

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Les bonnes pratiques

Pendant sa recherche d’emploi, Frédérique Gaudet était anxieuse de ne pas se faire considérer malgré ses compétences. Ne s’imaginant pas concilier son poste très prenant avec un bébé, elle a décidé de quitter son emploi pour s’en trouver un autre, enceinte de quatre mois. «Mon entourage me répétait que personne n’embaucherait une femme enceinte de cinq ou six mois. Même moi, je n’y croyais pas beaucoup.»

Et c’est confrontant, surtout parce qu’on sait qu’un homme ne s’empêcherait jamais de postuler pour un nouveau poste ou d’accepter une promotion parce que son enfant nait dans quelques mois.

Lors de son entrevue dans une grande entreprise de production vidéo, elle choisit la franchise, et ne reçoit aucune question supplémentaire sur le sujet: «Je ne me suis jamais sentie discriminée. J’ai finalement obtenu le poste, contre toute attente!»

Ainsi, le dilemme n’est pas simple. Selon la directrice de l’Ordre des CRHA, il est préférable de déclarer sa grossesse à la fin de la première entrevue d’embauche. Cela permet d’établir un important lien de confiance avec le futur employeur et d’anticiper la suite des choses: «J’ai embauché des femmes enceintes qui ne l’ont pas divulgué. Je comprends que c’est délicat, mais ça aurait facilité notre travail de pouvoir prévoir son remplacement. Elles auraient obtenu le poste quand même», dit-elle.

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Marie-Michelle Doré, a pour sa part décroché un poste de chargée de projet après s’être fait franchement avouer par quelques employeurs lors de précédentes entrevues que sa grossesse était un frein à son embauche. La présence de femmes là où elle a été engagée a sûrement fait une différence: «C’était un milieu complètement féminin, coïncidence?»

Le pouvoir des femmes en RH

En effet, la question est pertinente. Manon Poirier est d’avis que la place des femmes en RH a certainement contribué à la diminution de cette discrimination: «75% de nos membres sont des femmes, il est clair qu’il y a plus de sensibilité à cet égard.»

Frédérique Gaudet s’est fait rassurer lors de l’obtention de son poste à cinq mois de grossesse: «Je voulais m’assurer que la gestionnaire ne voyait pas ça comme une façon d’avoir quelqu’un pour quelques mois pour ensuite trouver un moyen de me débaucher. Elle m’a expliqué que mon poste ne nécessitait pas une implication immédiate et qu’elle pouvait m’attendre.»

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Effectivement, prévoir un remplacement temporaire n’est pas si compliqué: une grossesse est un congé prévisible, contrairement à un congé de maladie, qui peut survenir avec n’importe quel employé à n’importe quel moment.

Des répercussions à long terme

Dans les milieux sans département de ressources humaines, les dénouements sont différents. Geneviève Malenfant s’est fait renvoyer de trois emplois au début de sa grossesse: «J’ai fait une demande d’aide sociale pour survivre financièrement. Ce fut la pire période de ma vie, un stress impossible», raconte difficilement celle qui a été contrainte de retourner travailler deux mois seulement après la naissance de son enfant.

Aujourd’hui diplômée en événementiel ainsi que mère de trois enfants et famille d’accueil pour deux, elle vit encore les répercussions de cette instabilité financière.

Le congé de paternité

Au Québec, les prestations offertes exclusivement au père sont de cinq semaines, contre 18 pour la mère. Le reste des 37 semaines est partageable entre les parents. En moyenne, les pères prennent neuf semaines de congé.

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Une étude de l’OCDE réalisée en 2015 dans 23 pays a conclu que les pères qui s’impliquent davantage auprès de leurs enfants favorisent le développement professionnel des mères (en plus de diviser plus équitablement la charge mentale).

Au début de l’année, la Finlande a annoncé l’instauration d’un congé de paternité exclusif de sept mois. Serait-ce une piste de solution pour en finir avec la discrimination?