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Faire un burn-out, ça coûte cher
Un soir de semaine d’octobre 2019, alors que je m’apprêtais à quitter les bureaux d’URBANIA, ma boss Barbara m’a pris à part pour me jaser. Assise en face de moi, elle m’a posé la simple question «Hugo, ça va-tu?», ce à quoi j’ai répondu «Ben oui, pourquoi?». «Parce que j’ai l’impression que tu n’as plus l’étincelle d’avant dans tes yeux.»
Elle n’avait pas tort. Faut dire que ma dernière année avait été assez chaotique. J’avais accepté mon premier poste à temps plein chez URBANIA Musique, tout en gardant un paquet de projets personnels sur le côté: coaching d’impro les mercredis, radio les samedis, podcast aux deux semaines, spectacles d’impro-lutte durant l’été, participation au Zoofest, etc. Juste écrire mon horaire m’épuise, alors imaginez devoir le vivre.
mon corps a continué à pousser, jusqu’à me forcer à l’arrêt complet. J’avais trop ambitionné, et j’allais payer le prix.
Bref, même si j’étais jeune et (à peu près) en santé, cette charge de travail là n’avait aucun sens. Mais comme j’avais encore de l’endurance, mon corps a continué à pousser, jusqu’à me forcer à l’arrêt complet. J’avais trop ambitionné, et j’allais payer le prix.
C’est arrivé le 28 octobre 2019, alors que je m’apprêtais à monter sur scène pour ce qui serait notre dernier spectacle d’impro-lutte avec la WIM (avant d’être mis sur la glace à cause de la pandémie). Cette soirée-là, j’étais tellement épuisé que j’ai été incapable de parler pendant une heure avant le spectacle. Je me demande encore comment j’ai fait pour passer au travers du show, mais une fois rendu chez moi, j’ai dû me rendre à l’évidence.
Barbara avait vu juste: j’étais en burn-out.
«Maintenant quoi?», lui ai-je demandé le lendemain matin. «Tu vas chez le médecin, tu obtiens un arrêt de maladie, pis tu vas prendre soin de toi.»
C’est à ce moment que le bas de laine a commencé à s’amincir.
Pause forcée
Débutons simplement avec l’assurance-emploi. Habitué aux avantages sociaux des travailleurs autonomes pour plusieurs années, c’est-à-dire pouvoir se lever tard, travailler en boxers pis attendre des chèques en retard par la poste, j’apprenais pour la première fois comment fonctionne ce programme. Pour ceux et celles qui l’ignorent, l’assurance-emploi permet de toucher 55% de son salaire pour une totalité de 45 semaines. Certains verront ça comme «être payé pour être en congé», d’autres comme «perdre la moitié de ton salaire parce que t’es malade».
Certains verront ça comme «être payé pour être en congé», d’autres comme «perdre la moitié de ton salaire parce que t’es malade».
Dans mon cas, le nouveau salaire que je touchais depuis un an m’avait permis d’enfin hausser ma qualité de vie après plusieurs années de vaches maigres. J’ai pu déménager dans un appart avec de vrais murs, arrêter d’aller faire l’épicerie au dépanneur par peur de me laisser tenter par des produits dispendieux et j’ai pu m’offrir un peu de loisirs.
Mon salaire me permettait un peu plus de «risques» puisque j’avais une nouvelle stabilité financière. Mais l’épuisement professionnel n’était pas une chose que j’avais prévue dans mon budget, et cette nouvelle qualité de vie s’est vite retournée contre moi.
Il était clair que je ne pourrais pas vivre 45 semaines avec la moitié de mon salaire. Je devais guérir, et assez rapidement.
Prendre soin de sa tête a un prix
On ne traite pas un burn-out comme on traite un bras cassé. Le temps de guérison est beaucoup plus flou. Rapidement, j’ai compris que je devais me lancer dans une psychothérapie si je voulais me remettre sur pied sans trop «perdre» de temps. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je me suis retrouvé dans cette situation: je devais donc les identifier, pour éviter de me retrouver à nouveau comme ça dans le futur.
Quand le temps file, on n’a pas le «luxe» de se taper la liste d’attente du CLSC pour se trouver un psy au public.
Quand le temps file, on n’a pas le «luxe» de se taper la liste d’attente du CLSC pour se trouver un psy au public. Il faut aller au privé, et à 100 balles (souvent plus) la séance, ça monte vite. N’empêche, c’est ce qu’il faut faire, alors allons-y, et au yable les dépenses.
Au cours de ces séances, ma psy m’a fait réaliser que ce qui pouvait expliquer mon épuisement (outre mon horaire insensé), était une condition que j’ignorais avoir: un TDAH. Of course, me suis-je dit en levant les yeux au ciel, un TDAH, comme la moitié de la planète, t’sais.
Mais étant de bonne foi, et à la recherche d’une explication à ce cerveau brumeux, j’ai entrepris des d émarches de diagnostic. Encore une fois, l’horloge avance et je ne peux me permettre d’aller au public. J’ai besoin de réponse maintenant, pas dans un an. Là là.
1600$ plus tard… j’avais la confirmation d’un neuropsychologue que j’avais un TDAH. Ça m’a surpris, tout en expliquant pourquoi je m’étais autant brûlé. Habitué de travailler dans des conditions que je contrôlais, je m’étais retrouvé pour la première fois dans une structure de bureau avec des horaires rigides, des méthodes de travail qui ne s’adaptaient pas facilement à mon cerveau, et surtout… un criss de bureau à aire ouverte.
Cet environnement de travail n’était pas compatible avec mes besoins pour être productif.
Une fois le diagnostic officiel reçu, j’ai demandé au neuropsychologue «Maintenant quoi?», et il m’a répondu «Maintenant, tu dois suivre une psychothérapie pour apprendre à vivre avec cette condition».
Fine. Mais ça devra attendre, parce les coffres sont maintenant à sec.
Le prix de la fatigue
En effet, à peine deux mois après mon arrêt de travail, j’avais passé au travers de pratiquement toutes mes économies. Beaucoup est allé à la psy (100$ par séance) et au diagnostic de TDAH. Mais en parallèle, j’ai découvert le prix qui vient avec le manque d’énergie.
à peine deux mois après mon arrêt de travail, j’avais passé au travers de pratiquement toutes mes économies.
Ça peut sembler difficile à croire au début, parce que moi-même je me suis surpris à le vivre, mais le burn-out m’avait complètement vidé de mon énergie. Dans les premières semaines suivant mon arrêt, toute la fatigue accumulée de la dernière année s’est fait un plaisir de me rentrer dedans tel un dix roues. J’étais si faible que je parvenais à peine à sortir de mon lit, ou même à me faire à manger. Ça semble exagéré, mais c’est pourtant la vérité. Encore aujourd’hui, je suis flabergasté d’à quel point j’étais à sec.
Dans ce contexte, j’ai dû dépenser plus pour passer au travers de mes journées. Je devais aller à la clinique toutes les deux semaines pour renouveler mon papier d’arrêt de travail, en plus du neuropsychologue et de la psy. Puisque j’étais trop faible pour prendre l’autobus, ou même me tenir trop longtemps debout, j’ai beaucoup pris le taxi et ça m’a couté cher.
Et ce manque d’énergie s’appliquait à toutes les autres tâches du quotidien. J’étais trop faible pour faire l’épicerie, ou me cuisiner de la bouffe qui me redonnera de l’énergie. Dans ces moments-là, je devais me tourner vers des repas précuisinés, des restaurants, le genre de trucs qui ne sont pas dramatiques quand on dépense ici et là, mais qui s’accumulent vite quand ça devient une dépense quotidienne.
Mon salut est venu grâce aux livres et à la radio parlée. Deux produits culturels qui m’ont permis de m’évader de ma situation gratuitement. Ma sortie de la journée, c’était de me rendre à pied à la bibliothèque, en écoutant un épisode de C’est fou. Une fois revenu chez moi, je lisais jusqu’à ne plus pouvoir me concentrer, puis je me couchais. Tranquillement, je me rechargeais, aux dépens de mon compte en banque.
Épilogue
La sieste, la lecture et la réflexion, voilà l’antidote qui m’a permis de me remettre sur pied, tranquillement. Après quatre mois de ce régime, j’avais repris assez de jus pour retourner au bureau. Et franchement, je n’avais pas vraiment le choix puisque j’étais rendu vraiment paumé.
Avec le recul, je sais que mon retour a été précipité, mais je n’avais plus le budget pour me reposer. Je devais recommencer à être payé, puisque prendre soin de moi m’avait couté trop cher. Je n’imagine même pas si j’avais des enfants!
Ironiquement, mon burn-out me forçait maintenant à prendre plus du travail supplémentaire pour me refaire financièrement.
Grâce à un retour progressif, j’ai pu renflouer mes coffres, tout en acceptant de la pige sur le côté. Ironiquement, mon burn-out me forçait maintenant à prendre plus du travail supplémentaire pour me refaire financièrement. Je remontais la pente tranquillement, puis un mois plus tard, un virus a tout chamboulé.
De nouveau sans emploi, mais cette fois-ci sans possibilité de toucher l’assurance-emploi, je me retrouvais à nouveau devant un mur. À la différence que cette fois-ci, j’avais des acquis qui m’ont permis de passer au travers de la tempête. J’étais rodé.
Mais ça, c’est pour une autre histoire.