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Faire ou ne pas faire la grève : telle est la question
Ça fait un bout déjà que je fly sur l’autoroute du savoir. Jamais de ma vie je n’ai pris de pause dans mes études. Je n’ai jamais doublé au secondaire, mon cégep a duré deux ans et je m’arrange pour terminer mon baccalauréat en trois. Pas le temps de niaiser, donnez-moi mon diplôme universitaire, pour que moi aussi je puisse dire à tout le monde que je suis « enfin un jeune pro ».
Sans blague, j’aime ça l’école. Tellement, que lorsque j’ai appris qu’une grève générale illimitée contre plusieurs choses, dont la hausse des frais de scolarité, se tramait à l’horizon, j’étais un peu en s’il-vous-plaît. Depuis, mon approche face à celle-ci a quelque peu évolué.
Voici donc le fruit de mes réflexions, elles trouveront peut-être écho chez ceux et celles qui, comme moi, ne savent plus trop comment se positionner par rapport à ces événements à saveur de printemps érable, mais qui ne sont pas pour autant anti-revendication.
INTERRUPTION
9 mars 2022. J’étais assis au fond de mon local de cinéma. À l’avant, le grand écran projetait pour la première fois les images du dernier film réalisé par l’un de mes collègues de classe. Soudainement, on cogne très fort à la porte : un groupe d’étudiant.e.s affluaient dans la pièce. À voix haute, l’un d’eux nous a lancé : « Votre cours est levé. Il y a une assemblée de votre association étudiante ce midi pour discuter de la grève, vous y êtes tous et toutes invités. »
La grève? Quelle grève? Incrédules, nous observions ceux et celles qui se tenaient devant nous. À la manière dont on accueille les témoins de Jéhovah sonnant à la porte un dimanche matin, nous les avons poliment reviré de bord en leur assurant notre présence à leur rencontre. Fiers de les avoir bernés, nous sommes alors revenus à nos moutons.
Quelques minutes plus tard, un garçon est à nouveau venu interrompre nos activités en nous expliquant le concept de la réunion sur laquelle nous avions mis une croix. Il s’agissait d’un moment où l’on pourrait voter la tenue ou non d’une grève générale illimitée à partir du 22 mars.
Tranquillement, on a commencé à comprendre ce qui se passait : tomber en grève signifiait qu’il n’y aurait plus d’école. Plus d’école, plus de cours. Plus de cours, plus de films. Et comme faire des films est l’une des seules raisons d’exister de notre bac, on allait devoir y aller, à cette assemblée générale. Disons qu’à ce moment-là, me taper une rencontre interminable n’était pas dans le top 5 des choses les plus importantes à mon horaire.
DÉCORUM
Ma première expérience d’AG m’a déstabilisé. À l’intérieur d’une grande salle, nous étions plusieurs étudiant.e.s de programmes en communication réuni.e.s dans un brouhaha incessant, sans compter nos collègues qui étaient là sur Zoom. Avoir su, je serais resté chez moi…
Après nous être fait ramener à l’ordre par le présidium – c’est-à-dire les gens qui siègent à l’avant de la salle et qui président l’assemblée – nous avons pu entamer les échanges. Il fallait se rendre à l’avant et s’adresser directement à ces gens importants si l’on avait un point à aborder. Si vous aviez le malheur de vous éloigner un peu trop des procédures, vous couriez la chance de vous faire taper sur les doigts en vous faisant crier un solide « DÉCORUM ». Bref, une première expérience de joute politique assez intéressante… et mouvementée.
Un ordre du jour, une plénière, une adoption de ci et de ça ainsi que plusieurs autres choses très sérieuses plus tard, on en était rendu à voter. Tout le monde a eu un moment pour s’exprimer, s’expliquer et tenter de comprendre.
Surtout, pour tenter de mieux comprendre la raison pour laquelle on espérerait tomber en grève dans une période aussi nulle que celle dans laquelle nous vivons actuellement. Après deux ans de pandémie, plusieurs mois d’école en ligne, de stress et de moral à zéro, dans quelles circonstances pourrait-on vouloir lever nos cours en présentiel? Ces cours qui, nous l’avons bien appris, n’ont rien d’une chose acquise. Moi, je n’étais pas convaincu.
AU VOTE
Finalement, le vote est passé à la majorité. C’était serré, mais ça a passé. Le résultat a été remis en doute quelques jours plus tard, notamment à cause des procédures de vérification d’identité des personnes en Zoom. Nous avons donc voté à nouveau lors d’une autre assemblée générale extraordinaire (entre vous et moi, je ne sais pas ce qu’elle avait de si « extraordinaire », cette réunion), où d’autres personnes ont pu se joindre à nous afin de faire valoir leurs opinions.
Encore une fois, le vote pour une grève – cette fois-ci d’une semaine – est passé à la majorité. Plus de doute, la démocratie étudiante venait de parler. Et lorsque la démocratie étudiante parle, tu fermes ta gueule et tu l’écoutes (c’est ce que j’ai cru comprendre à entendre la force avec laquelle on se faisait rappeler au décorum).
LA MÉTHODE
Cela fait maintenant une semaine que nous sommes en grève. Ironiquement, j’en ai profité pour avancer certains travaux qui traînaient sur le coin de mon bureau et je n’ai pas eu le temps de visiter les kiosques et activités proposées par mon association étudiante sur différents thèmes relatifs aux combats sociétaux. Mon université s’est transformée en fête foraine de la conscientisation. Il y a même eu une manifestation, le 22 mars passé, où quelque 2000 personnes se sont rassemblées pour se faire entendre. Un gros party.
À voir tout ce beau monde aller sans que rien ne semble bouger, j’en suis venu à me demander si ce genre de grève n’était pas révolue. Si, dans un cadre scolaire, elle avait encore un réel poids sur qui ou quoi que ce soit. Si elle était toujours un levier de décision ou un moyen de pression. Je les imaginais, ces têtes dirigeantes, en train de nous rire au visage, nous, les pauvres étudiant.e.s ayant déjà payé notre session et qui ne recevions plus le service même pour lequel nous nous battions. Sur le coup, j’ai trouvé ça ridicule qu’on s’inflige ça collectivement.
Je me suis mis à essayer de dénicher d’autres façons d’aller les agacer sans nous tirer dans le pied. Le boycott des partenaires financiers de l’université et des activités parascolaires qui la font rayonner à grande échelle? Une campagne de salissage? Décidément, j’ai assez vite compris que nous autres, les étudiants et étudiantes, on est bien mal placés pour mettre nos droits de l’avant. Rendu là, aussi bien payer et ne rien dire… Non? Si seulement c’était aussi simple.
LE PRIVILÈGE
Moi, je suis privilégié. J’ai la chance de pouvoir me permettre de trouver ridicule qu’on veuille bouder nos cours le temps d’une semaine en espérant que papa Legault nous dise que « c’est ben correct », qu’il va nous les payer, nos cours, qu’il va les rémunérer, nos stages, et qu’il va mettre fin la précarité financière et mentale des étudiant.e.s amoché.e.s en cette fin de pandémie. Oui, j’ai cette occasion inouïe de pouvoir faire preuve de cynisme face à toutes ces revendications et de les invalider d’un coup en traitant tous ceux et celles qui y croient de « wokes » à cinq cennes. Je suis chanceux, non?
Malgré mon privilège, j’aspire à tendre l’oreille et à baisser un peu mes œillères, parce que dans mes cours à 200 personnes, il n’y a pas que des gens à mon image, qui ont toujours tout eu tout cuit dans le bec, en plus de se faire payer leurs études par leurs parents. Il y a des adultes qui retournent à l’école, des mères monoparentales, des nouveaux arrivants et arrivantes et j’en passe. Des individus comme vous et moi, qui ne demandent au final qu’une chose : le droit à l’éducation indépendamment de leur statut social.
LE BALANCIER
Je ne suis pas pour la grève. Je ne suis pas contre non plus. Les avantages et inconvénients de la méthode semblent pour moi osciller chaque jour d’un côté et de l’autre de la balance. Je suis profondément et intrinsèquement en accord avec les revendications. Cela dit, je suis encore en processus de réflexion sur le meilleur moyen de les mettre de l’avant.
Malgré tout, une chose m’apparaît pourtant claire : en ces temps où la population étudiante semble plus que jamais divisée entre faire la grève ou ne pas faire la grève (et pour ou contre l’utilisation de Slack dans nos travaux d’équipe, mais ça, c’est une autre question), le moment se doit à mon avis d’être au dialogue, afin que tout le monde puisse réellement saisir les enjeux qu’implique la situation actuelle.
Il faut se politiser sans se braquer. S’écouter sans se juger. Se comprendre sans invalider. Parce que si l’on veut un jour espérer obtenir gain de cause, aussi minime soit-il, nous allons devoir nous unir. Que chacun et chacune accepte de mettre un peu d’eau dans son vin afin de créer un véritable mouvement de ralliement. C’est en se rassemblant qu’on réussit à se faire entendre.
Avec le retour annoncé de notre grand chum Mister Jean John James Charest en politique fédérale, mon petit doigt me dit que dans les prochaines années, nos manches, il va falloir les relever et nos coudes, se les serrer.