.jpg)
Facil: Ces rebelles qui veulent nous redonner internet
Votre tĂ©lĂ©phone vous espionne. Ce nâest pas une grande nouvelle⊠Mais ce que vous ne saviez peut-ĂȘtre pas, câest quâil existe des alternatives aux applications offertes par les gĂ©ants (comprendre : espions) du web. Heureusement, lâorganisme FACIL (pour « lâappropriation collective de lâinformatique libre ») a bien lâintention de vous les faire dĂ©couvrir.
OK, je sais. Ce cellulaire dont je suis dĂ©pendante a beau mâappartenir, je ne le contrĂŽle pas. Il est plutĂŽt au service dâentreprises privĂ©es qui mâoffrent gratuitement des jeux et des applications, question de me piquer mes prĂ©cieuses donnĂ©es personnelles. Mais au fond, est-ce vraiment grave que Mark Zuckerberg, la reine dâAngleterre pis sa tante sachent que selon mon signe astrologique, dans une ancienne vie, jâai Ă©tĂ© une pizza?
Quoi? Des gĂ©ants du web notent et conservent aussi Ă travers le temps ma gĂ©olocalisation, le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de mes contacts et lâinventaire de tous les vidĂ©os que je regarde? Shit. Mais de toute façon, je ne peux rien faire contre ça, moi, lâespionnage⊠Câest une question de lois et de politiques, right? RIGHT?
«T’es propriĂ©taire de rien si ton cellulaire contient des logiciels dĂ©tenus par qui que ce soit dâautre. Il nây a aucune raison pour justifier que ce qui se trouve sur ton tĂ©lĂ©phone soit Ă autrui, que quelquâun dâautre habite dans ta propriĂ©tĂ©âŠÂ »
Jâai beau tenter trĂšs fort de me dĂ©responsabiliser, ça ne convainc pas trop Mathieu Gauthier-Pilote, prĂ©sident de FACIL, un organisme quĂ©bĂ©cois sans but lucratif qui se consacre Ă la promotion et la dĂ©fense de lâinformatique libre. Câest-Ă -dire de lâinformatique compatible avec les droits et libertĂ©s des ĂȘtres humains. Une mission infiniment importante par les temps qui courent. « La transition numĂ©rique dans laquelle on est tous impliquĂ©s est menĂ©e par des multinationales qui dĂ©tiennent la propriĂ©tĂ© de nos moyens informatiques et qui veulent Ă©galement possĂ©der nos donnĂ©es, mâexplique le militant. Les gens croient au concept de propriĂ©tĂ© privĂ©e : âcâest mon tĂ©lĂ©phone, je lâai achetĂ©, câest mon objet.â Câest vrai, mais tâes propriĂ©taire de rien si ton cellulaire contient des logiciels dĂ©tenus par qui que ce soit dâautre. Il nây a aucune raison pour justifier que ce qui se trouve sur ton tĂ©lĂ©phone soit Ă autrui, que quelquâun dâautre habite dans ta propriĂ©tĂ©âŠÂ »
Et que font les membres de FACIL, pour contrer cette dangereuse tendance? Ils militent pour le logiciel libre. Mathieu poursuit : « Un logiciel est libre lorsque ses utilisateurs peuvent exercer quatre libertĂ©s jugĂ©es fondamentales : utiliser le logiciel, le copier, lâĂ©tudier, ainsi que le modifier et pouvoir redistribuer les versions modifiĂ©es. La rĂ©utilisation est importante, parce que le dĂ©veloppement se fait de façon collaborative sur internet. Sâil fallait chaque fois demander une autorisation aux crĂ©ateurs pour amĂ©liorer un produit, ce serait ingĂ©rable. Un bon exemple est WikipĂ©dia : imaginez ce que ça causerait sâil fallait lâautorisation de chaque auteur avant dâapporter une modification! »
«On peut penser Ă la menace de la surveillance de masse, par exemple. Que ce soit Ă des fins de soi-disant dĂ©fense nationale, de lutte au terrorisme ou dâĂ©tudes du comportement des internautes, dans tous les cas, ça prend des logiciels qui trahissent les utilisateurs.»
Mais quâest-ce que ces quatre libertĂ©s peuvent bien changer, concrĂštement? « Elles sont nĂ©cessaires pour sauvegarder notre libertĂ© tout court! On peut penser Ă la vie privĂ©e et Ă la menace de la surveillance de masse, par exemple. Que ce soit Ă des fins de soi-disant dĂ©fense nationale, de lutte au terrorisme ou dâĂ©tudes du comportement des internautes, dans tous les cas, ça prend des logiciels qui trahissent les utilisateurs. Des logiciels qui sont installĂ©s sur nos ordinateurs tels des boĂźtes noires opaques; on ne sait pas prĂ©cisĂ©ment ce quâils font. Pour rĂ©pondre Ă la question : âCe logiciel travaille-t-il pour moi ou pour quelquâun dâautre?â, il faut sâinterroger sur ces quatre libertĂ©s. » Bon, une affaire de plus dans ma charge mentale!
â-
Quelles applications libres tout bon tĂ©lĂ©phone mobile devrait-il contenir, en 2018? Jâai posĂ© la question Ă Mathieu Gauthier-Pilote (plutĂŽt que de dĂ©fricher les centaines de noms recensĂ©s dans la « Liste des logiciels libres » sur WikipĂ©dia)⊠à votre download : 3, 2, 1, go.
.png)
« Comme on va tous sur le web, vaut mieux utiliser lâun des meilleurs navigateurs gĂ©nĂ©ralistes : Firefox. Celui-ci et ses nombreuses extensions sont pensĂ©s pour combattre le pistage. » Comme ça, Justin Trudeau ne connaĂźtra pas votre catĂ©gorie de porno prĂ©fĂ©rĂ©eâŠ
.png)
« ArrĂȘtez de texter dans un contexte non sĂ©curitaire! Ce logiciel libre applique un chiffrement crĂ©dible qui le rend trĂšs populaire. » Effectivement, ce chiffrement fait en sorte que la conversation ne peut ĂȘtre dĂ©cryptĂ©e que par par les deux personnes qui la tiennent. La sĂ©curitĂ© est telle quâEdward Snowden affirme nâutiliser que cette application pour effectuer appels et textos. On parle quand mĂȘme du lanceur dâalerte amĂ©ricain qui a levĂ© le voile sur plusieurs programmes de surveillance gouvernementauxâŠ
.png)
« Si vous possĂ©dez un tĂ©lĂ©phone Android, vous devez tĂ©lĂ©charger ça! Vous aurez ainsi accĂšs Ă un magasin en ligne offrant des centaines dâapplications libres Ă installer directement sur votre cellulaire. Câest une porte dâentrĂ©e formidable pour dĂ©couvrir des alternatives Ă ce que le producteur de votre tĂ©lĂ©phone tente de vous imposer. » Dans ta face, Google.
â
LA FIN DE LA PARANOĂA
Lâorganisme FACIL est nĂ© en avril 2003 et regroupe aujourdâhui une cinquantaine de membres, tous bĂ©nĂ©voles : des individus, des entreprises et des organismes sans but lucratif. La majoritĂ© Ćuvre dans le domaine de la techno et du numĂ©rique. Beaucoup sont tombĂ©s dans le logiciel libre par les sciences de la bibliothĂ©conomie et de lâinformation. Mathieu dresse un portrait des dĂ©buts de lâaventure : « Tout a commencĂ© avec les rĂ©vĂ©lations dâEdward Snowden. Les militants du logiciel libre ont enfin pu parler de la surveillance de masse sans passer pour des conspirationnistes ou des paranoĂŻaques. »
Ainsi a donc vu le jour FACIL, qui sâapparente Ă dâautres organisations Ă travers le globe, mais qui se rapproche particuliĂšrement de lâApril, un groupe français dont il reprend entre autres la mission de Pacte du logiciel libre. « En gros : les sympathisants de la cause sont invitĂ©s Ă rencontrer les politiciens pour leur demander de signer un contrat stipulant quâils sâengagent formellement Ă donner la prioritĂ© aux logiciels libres dans les systĂšmes publics, puis Ă dĂ©fendre les droits des utilisateurs et dĂ©veloppeurs. Câest dâailleurs ce quâon fera lors de la course Ă©lectorale provinciale cet automne », mâexplique Mathieu.
«Tout a commencĂ© avec les rĂ©vĂ©lations dâEdward Snowden. Les militants du logiciel libre ont enfin pu parler de la surveillance de masse sans passer pour des conspirationnistes ou des paranoĂŻaques.»
Contrairement aux pays de lâUnion europĂ©enne, par exemple, on tarde ici Ă revoir les lois concernant la protection des donnĂ©es des internautes. ĂlaborĂ©es au dĂ©but des annĂ©es 2000 (il y a huit siĂšcles en langage techno), nos lois donnent en partie aux utilisateurs la responsabilitĂ© de se protĂ©ger en misant sur leur consentement Ă©clairĂ©. (Mais voulez-vous bien me dire qui a 90 heures de lecture Ă mettre sur des conditions dâutilisation avant dâaccepter de tĂ©lĂ©charger une application?)
Sans ĂȘtre partisan, FACIL sâengage donc politiquement. Une portion de sa mission est aussi Ă©ducative : chaque automne, lâĂ©quipe coordonne la Semaine quĂ©bĂ©coise de lâinformatique libre, pour rejoindre un plus large public et nous faire comprendre quâil y a urgence. Mais cette annĂ©e, Mathieu et son Ă©quipe se promettent dâaller au-delĂ de la thĂ©orie pour nous offrir des outils qui nous permettront de briser notre dĂ©pendance aux gĂ©ants du numĂ©rique. « Des services libres, Ă©thiques, dĂ©centralisĂ©s et solidaires pour dĂ©coloniser le cyberespace prĂšs de chez vous. Sans pistage publicitaire, sans frais, faits en commun avec vous », promet leur site web.
DES PUNKS ET DES SOLUTIONS
« En ce moment, on offre la Clef FACIL, une clef USB sur laquelle on retrouve un systĂšme dâexploitation libre. Les gens peuvent lâutiliser pour essayer diffĂ©rentes avenues et dĂ©couvrir Ă quel point câest simple dâutiliser autre chose que Windows ou Mac. Mais sous peu, on offrira toute une gamme de services », mâexplique le prĂ©sident. Dans la mouvance de plusieurs joueurs internationaux, dont lâorganisme français Framasoft, qui a beaucoup fait jaser avec DĂ©googlisons Internet (sa campagne dâinformation et de crĂ©ation de logiciels libres), FACIL souhaite offrir des solutions de remplacement aux services en ligne. Ceux quâon utilise sans trop rĂ©flĂ©chir, simplement parce quâils sont prĂ©installĂ©s sur notre tĂ©lĂ©phone ou notre tabletteâŠ
« Vous pouvez pourtant trouver un Ă©quivalent libre Ă la majoritĂ© des logiciels que vous employez quotidiennement », mâassure Mathieu. Framasoft, par exemple, a dĂ©jĂ créé des solutions de rechange Ă Doodle, Skype et YouTube. La version libre de la plateforme vidĂ©o, nommĂ©e Peertube, a vu le jour grĂące Ă une campagne de financement participative. FACIL, de son cĂŽtĂ©, dĂ©veloppe prĂ©sentement Notes FACiLes, un bloc-notes collaboratif en temps rĂ©el, et Dates FACiLes, un planificateur de rendez-vous. Des alternatives aux outils tels que Google Docs et Google Calendar, mais chiffrĂ©es et sĂ©curitaires. Dâici 2019, lâorganisme espĂšre en crĂ©er une dizaine, allant du rĂ©seautage social au portail de recherche, en passant par la cartographie et la visioconfĂ©rence.
MILITER. ENCORE
Je comprends et jâadmire la dĂ©marche de FACIL, mais une question demeure. Une question de paresseuse : est-ce vraiment aux individus dâagir? Il me semble que lâenjeu est trop grand pour se rĂ©gler ailleurs que dans des meetings de politiciens, non? Et visiblement, nos dĂ©cideurs ne sont pas les plus rapides, sur la scĂšne virtuelleâŠ
«Pense au mouvement Ă©cologiste. Des partis politiques ont Ă©mergĂ© Ă cause de lâinsatisfaction dâindividus. GrĂące Ă ces nouveaux joueurs verts, les partis principaux ont dĂ» amĂ©liorer leur chapitre sur lâenvironnement et, ultimement, on sâest retrouvĂ©s avec de meilleures politiques.»
Mathieu nuance et se fait Ă©tonnamment optimiste : « Pense au mouvement Ă©cologiste. Des partis politiques ont Ă©mergĂ© Ă cause de lâinsatisfaction dâindividus. GrĂące Ă ces nouveaux joueurs verts, les partis principaux ont dĂ» amĂ©liorer leur chapitre sur lâenvironnement et, ultimement, on sâest retrouvĂ©s avec de meilleures politiques. Alors oui, il y a une nĂ©cessitĂ© dâaction politique, mais dans le milieu Ă©cologiste, on a aussi vu des organismes qui prĂŽnent des options sans ĂȘtre partisans, comme Ăquiterre. Ils versent plutĂŽt dans lâaction citoyenne et la promotion dâalternatives dont on peut sâemparer Ă titre individuel ou communautaire. Câest pareil avec les enjeux du numĂ©rique! » Câest vrai. Et on commence de plus en plus Ă le rĂ©aliser. Personnellement, je mâestime Ă trois scandales de vols de donnĂ©es (type Cambridge Analytica) prĂšs de rĂ©agir pour vraiâŠ
« Dans tous les cas, les choses doivent absolument changer, parce quâon se fait collectivement transformer par le numĂ©rique, mais actuellement, on se fait transformer par un mouvement qui nâest pas pensĂ© pour lâĂ©mancipation des individus et la dignitĂ© humaine. Ni pour nos droits et libertĂ©s », conclut Mathieu.
Shit, man. Elle est oĂč, la clef USB dont tu me parlais, dĂ©jĂ ? [NDLR : Elle est disponible en ligne, si jamais vous commencez Ă vous inquiĂ©ter autant que lâauteure de cet article : https://cle.facil.qc.ca.]
Identifiez-vous! (câest gratuit)
Soyez le premier Ă commenter!