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Externat en médecine : « J’ai l’impression de me jeter dans la gueule du loup tous les jours »

Une étape pas toujours jojo.

Par
Julia Pagé
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Après au moins deux années d’études assidues, dos courbés et mains tachées d’encre, les étudiant.e.s de médecine se déplient enfin, enfilent leur sarrau et poussent les portes de l’hôpital.

Des milliers de petit.e.s soldat.e.s catapulté.e.s hors de leurs livres et sur les planchers des hôpitaux, lieux de rêves et d’angoisses.

Puis, il y a les mains tremblantes qui tiennent le tout premier scalpel. Les choses qu’on ne sait pas faire. Les patient.e.s qui ne doivent pas deviner l’angoisse. Les erreurs qui provoquent des nuits blanches et les petites victoires. Place à l’externat et joyeux Hunger Games!

La détresse sans l’enchantement

Mathieu Nadeau-Vallée, résident en pharmacologie bien connu pour ses vidéos de vulgarisation sur TikTok, conserve de très mauvais souvenirs de son externat. « On se sent toujours mauvais!, lance-t-il. On connaît presque rien quand on arrive à l’externat et on change constamment de milieu, donc on n’a jamais vraiment le temps de s’habituer ou d’assimiler la matière. » Il avoue avoir même considéré quitter la médecine.

«On doit essayer de faire ce que les gens étudient 14 ans pour faire. C’est normal qu’on soit pas bons, mais c’est stressant de toujours se sentir poches.»

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C’est ainsi que fonctionne l’externat. Les étudiantes et étudiants sont parachutés dans des stages cliniques de quelques semaines, où ils tentent de se familiariser avec les différentes spécialités, tout en étant à des années-lumière des connaissances ou des compétences requises pour être spécialistes dans le domaine. « On doit essayer de faire ce que les gens étudient 14 ans pour faire. C’est normal qu’on soit pas bons, mais c’est stressant de toujours se sentir poches », explique une étudiante qui désire garder l’anonymat, de peur que ses critiques réduisent ses chances d’entrer dans la spécialité de son choix.

S’ajoute aussi la difficulté d’être confronté.e au stress du milieu hospitalier, à la maladie, à la mort. « C’est beaucoup! », souligne-t-elle.

Ce n’est plus un secret, la détresse psychologique et l’épuisement sont monnaie courante pendant les études en médecine et c’est souvent durant l’externat que la pression atteint son paroxysme. D’ailleurs, l’an dernier, un troublant sondage de la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ) révélait que 25 % des externes en médecine avaient songé à mettre fin à leurs jours depuis le début de leur parcours.

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« En rétrospective, j’avais sûrement beaucoup de symptômes de dépression durant cette période-là, estime le Dr Nadeau-Vallée. Je n’étais plus moi-même. On nous propose toujours le Bureau d’aide aux étudiants et résidents (BAER), mais disons qu’on veut pas être la personne qui va là. De toute façon, on n’a même pas le temps d’y aller avec les heures qu’on passe à l’hôpital. »

Les étudiant.e.s disent travailler en moyenne 40 à 60 heures par semaine à l’hôpital, mais doivent souvent étudier plusieurs heures par semaine en plus. Pour la majorité d’entre eux, les temps libres sont rares.

Performer à tout prix

À ce point-ci du parcours en médecine, il ne suffit plus de bien connaître la matière, ce qui est d’ailleurs impossible vu la complexité de chaque spécialité. Il faut aussi être très efficace, posséder des compétences techniques, avoir de l’entregent pour interagir avec les patient.e.s, être toujours disponible pour le ou la médecin qui supervise le stage pour recevoir une bonne évaluation, sans pour autant être dans ses jambes et entraver son travail. Dans ce contexte, viser la perfection n’est rien de moins qu’une utopie rapidement oubliée.

«Quand je rentre à l’hôpital, je sais jamais à quoi m’attendre. Et disons que les médecins ne sont pas tous pédagogues.»

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« J’ai l’impression de me jeter dans la gueule du loup tous les jours », se désole une autre externe voulant aussi conserver son anonymat. « Quand je rentre à l’hôpital, je sais jamais à quoi m’attendre. Et disons que les médecins ne sont pas tous pédagogues », ajoute-t-elle.

C’était aussi le sentiment du Dr Nadeau-Vallée lors de son externat. « Pour les patrons, on est presque pas des êtres humains. Certains n’apprennent même pas nos noms. Pour certains médecins, c’est un fardeau de devoir s’occuper d’un externe », déplore-t-il, en précisant que la situation varie tout de même d’un stage à l’autre et d’un.e patron.ne à l’autre.

Le résident en pharmacologie a eu plusieurs expériences désagréables avec des médecins. « Il y a un patron qui m’a déjà fait rester après les heures normales pour faire signer des formulaires de consentement de césarienne, raconte-t-il. Un externe n’est pas censé faire cette tâche-là parce qu’il n’est pas en mesure d’expliquer les risques de la césarienne au patient. C’était une sorte de punition pour avoir mal compris une consigne. »

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Relativiser?

«ça attire des gens très performants qui sont peu habitués à l’échec. Le problème, c’est qu’en médecine, c’est sûr que tu vas avoir des échecs.»

« Oui, le programme est vraiment difficile, mais il faut aussi dire qu’il attire une clientèle de stressés », relativise Mathilde Pluye, qui a commencé l’externat il y a deux mois. « C’est un programme qui est bien coté socialement et qui est reconnu comme étant très difficile, alors ça attire des gens très performants qui sont peu habitués à l’échec. Le problème, c’est qu’en médecine, c’est sûr que tu vas avoir des échecs. On ne peut pas être parfaits. »

« La majorité d’entre nous finit ses journées en se sentant poche ou moyen, mentionne une autre externe. Les étudiants en médecine ne veulent pas être moyens. »

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Heureusement, à travers tout ça, il y a aussi des moments de joie intense et de sentiment d’accomplissement. Toutes les journées ne sont pas un enfer. Mais ce qui est fatigant pour plusieurs, ce sont les constantes montagnes russes d’émotions et le sentiment de ne jamais en faire assez. « La morale de l’histoire, c’est que tout ça est fucking épuisant », conclut l’une des externes.