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Étudier à 76 ans : les cheveux gris se mêlent aux cheveux blonds

« Mon expérience universitaire m’a ouvert l’esprit sur tout un monde culturel et intellectuel. »

Par
Lise Beaudry
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« L’enfant apprend à marcher, le vieux apprend à s’assoir », a écrit l’anthropologue Serge Bouchard. Alors que l’un marche à la découverte de sa vie, l’autre s’assoit. Mais où le vieux s’assoit-il? Dans quel siège? Une chaise berçante? Un fauteuil confortable devant la télé? Un banc de chaloupe avec une canne à pêche à la main, pourquoi pas? Un fauteuil au théâtre, peut-être. Les choix sont multiples. Bref, il y a des sièges pour répondre aux goûts et aux besoins de chacun.e. Je fais partie du groupe d’âge de ceux et celles qui apprennent à s’assoir, et pourtant, je n’ai choisi aucun de ces sièges. C’est plutôt un banc d’université qui m’a attirée.

Je m’appelle Lise Beaudry. J’ai 76 ans et suis retraitée depuis dix ans. En 2016, j’ai obtenu un certificat en traduction de l’Université McGill et présentement, j’en termine un deuxième en rédaction professionnelle à l’Université de Montréal.

Je n’avais jamais fréquenté l’université auparavant. Pourtant, l’idée de m’y inscrire un jour ne m’a jamais quittée. C’est un rêve qui faisait partie de ma bucket list. J’enviais ceux et celles qui y étudiaient. Pour moi, la réussite sociale et financière passait par l’université.

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Malheureusement, dans ma famille, on encourageait peu les études supérieures. Mon père, malgré une scolarisation sommaire, a très bien réussi sa vie professionnelle, tout comme plusieurs de sa génération. On les appelait des « self-made men ». Leur valeur ultime reposait sur le travail plutôt que sur l’instruction.

À l’époque, on s’en souviendra, il y avait peu de place pour les filles dans ce monde d’hommes.

À l’époque, on s’en souviendra, il y avait peu de place pour les filles dans ce monde d’hommes. Les professions d’infirmière, d’enseignante et de secrétaire représentaient, grosso modo, les seuls choix qui s’offraient à nous. N’ayant pas d’attirance pour les deux premières disciplines, j’ai opté pour le secrétariat, domaine dans lequel j’ai travaillé quelques années avant de me consacrer à ma famille. Après que les enfants ont commencé l’école, j’ai réintégré le marché du travail, où j’ai pu me bâtir une carrière intéressante, m’épanouir et me sentir appréciée.

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Un jour, nouvellement retraitée, j’ai croisé une amie qui m’a raconté qu’elle faisait de la traduction à temps partiel. « Mais je te croyais enseignante », lui ai-je dit. « Oui, j’ai toujours été enseignante, mais il y a quelques années, j’ai complété un certificat en traduction à l’Université McGill. »

Ce fut l’élément déclencheur. Emballée par l’idée, j’ai déposé une demande d’admission au certificat en traduction à McGill. J’espérais être admise, mais sans trop y croire. Après tout, une cinquantaine d’années s’étaient écoulées depuis la fin de mes études. C’est donc avec une grande joie que j’ai appris, quelques semaines plus tard, que ma demande était acceptée. Pour moi, c’était déjà une grande victoire. Je me suis présentée à l’examen d’admission et, autre victoire, je l’ai réussi. J’étais ravie.

Pourtant, plus le jour de la rentrée approchait, plus je me sentais comme l’enfant qui s’apprête à rentrer à la maternelle. J’étais angoissée. Je me répétais comme un mantra : « tu n’es pas assez bonne, ta mémoire flanche, tu ne seras jamais capable ». À 66 ans, je venais de quitter un emploi où ma valeur était reconnue et mon travail, apprécié. Pas facile de m’imaginer dans un environnement totalement inconnu.

Mais bon, trop réfléchir paralyse la décision. J’ai donc décidé de plonger, et advienne que pourra. Mon audace m’a bien servie, puisque trois ans plus tard, j’obtenais mon premier certificat, et le goût d’en entreprendre un deuxième me souriait déjà.

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APPRENDRE À TOUT ÂGE

Auparavant, le temps accordé à la formation était l’apanage de la jeunesse. Aujourd’hui, l’espérance de vie, qui ne cesse d’augmenter, redéfinit ce concept. La retraite peut facilement s’étirer jusqu’à trente ans et même au-delà. Nous devons meubler ce temps.

Rien ne nous empêche d’étudier à notre rythme, puisque le temps ne nous pousse plus dans le dos, il nous attend!

Mais, contrairement aux jeunes, nous ne cherchons pas une formation qui nous prépare à une vie professionnelle, mais plutôt une formation « de soi pour soi », dans des domaines qui nous intéressent. De plus, rien ne nous empêche d’étudier à notre rythme, puisque le temps ne nous pousse plus dans le dos, il nous attend!

« On a l’âge qu’on a », admet Bernard, étudiant de 63 ans inscrit à la Faculté d’éducation permanente de l’Université de Montréal. « Il est certain que je ne me verrais pas faire des travaux scolaires toute la nuit comme jadis. Mais disons qu’un travail qui sollicite mes neurones de façon régulière demeure un bon moyen pour moi de rester alerte, et ça me rend heureux. »

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Depuis quelques années, les rives paisibles de la retraite voient arriver, tels des coquillages transportés par les vagues, les premières cohortes de baby-boomers. D’ici dix ans, on s’attend à en accueillir 1,4 million, nous apprend Karl Blackburn, PDG du Conseil du patronat, dans une entrevue qu’il accordait en mai dernier pour le magazine Avenues.ca. Il y a fort à parier que bon nombre d’entre eux et elles se laisseront tenter par l’aventure universitaire. De quoi réjouir l’un de mes camarades de classe, qui me disait trouver triste qu’au terme de leurs études, plusieurs ne remettent plus jamais les pieds à l’école. Comme si à 25 ans, on avait acquis tout ce qu’on avait à savoir.

D’ailleurs, on voit de plus en plus de cheveux gris côtoyer des cheveux blonds dans les salles de cours des universités. Et la cohabitation se passe très bien. Caroline, jeune étudiante dans la vingtaine croisée durant ma dernière session, me disait apprécier la présence de personnes plus âgées dans ses cours. Elle trouve que nous sommes plus organisées et avoue profiter de notre vécu. Bien entendu, un fait isolé n’autorise pas une conclusion générale, mais son témoignage confirme assez bien la réalité.

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MOTIVATION DIFFÉRENTES

Mon expérience universitaire m’a ouvert l’esprit sur tout un monde culturel et intellectuel. Mes travaux m’ont amenée à faire de la recherche dans des domaines qui m’étaient jusqu’alors inconnus, à découvrir de nouveaux auteurs et autrices et à réaliser que j’avais peut-être quelques aptitudes pour l’écriture.

Ce cheminement a renforcé ma confiance en moi. J’y ai rencontré des gens de tous les horizons. Des retraité.e.s comme moi, bien sûr, mais également des personnes qui évoluent sur le marché du travail et qui décident de se recycler dans un autre domaine.

Ce cheminement a renforcé ma confiance en moi. J’y ai rencontré des gens de tous les horizons.

Voici l’exemple de Marc, avocat, 51 ans, marié et père de deux adolescents. L’an dernier, après une carrière dans le domaine juridique, il quitte tout et retourne à l’université pour faire un bac en enseignement. « J’ai possiblement encore une quinzaine d’années de travail avant la retraite, et il me semble important de les consacrer à un domaine qui me passionne », dit-il. Certes, c’est une décision courageuse et qui demande l’appui de la famille, mais selon lui, le jeu en vaut la chandelle.

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Je croise des gens inspirants qui viennent de toutes les sphères de la société. Yvon, 79 ans, a complété un doctorat il y a huit ans. Fait cocasse, ses camarades le tutoyaient tandis que ses profs le vouvoyaient. Fossé générationnel?

Omar, médecin, 70 ans, apprécie côtoyer des jeunes : « Ça m’aide à mieux comprendre mes petits-enfants! » Carole, ex-enseignante, se retrouve avec des jeunes qui ont le même âge qu’avaient ses propres étudiant.e.s. « C’est une génération avec laquelle je suis très à l’aise et ça me plait », mentionne-t-elle.

Ils partagent tous et toutes le même désir d’apprendre et de se dépasser. Comme moi, ils et elles ont surmonté leur peur à un moment ou l’autre, mais aucun.e ne regrette le choix de son siège. Aujourd’hui, quand je regarde ma classe, j’y vois des bancs vides. Serez-vous parmi ceux et celles qui les occuperont un jour?

Il faut trouver le courage de sortir de sa zone de confort et de repousser ses limites. Au-delà de ressentir une grande fierté, vous la verrez aussi dans les yeux de votre entourage. Je fréquente l’université en même temps que ma petite-fille. Qui l’eût cru! N’écoutez pas cette voix qui veut vous faire croire que c’est impossible. Faites plutôt confiance à celle qui vous chuchote d’essayer, parce qu’après tout, qu’est-ce que vous risquez?

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