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Être noir.e et avoir peur de l’eau : plongée dans un stéréotype tenace

Une réalité pour certain.e.s qui est cependant loin de coller à toute une communauté.

Par
Jessica Beauplat
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J’ai échoué le deuxième niveau de mes cours de natation. C’est sans doute pour cette raison que j’ai longtemps dit que je n’étais pas à l’aise dans l’eau, même si j’ai finalement appris à nager à l’âge de 10 ans. Je n’ai toutefois jamais eu l’aisance naturelle de la plupart de mes ami.e.s qui ont été initié.e.s à la natation très jeune.

Ma mère m’avait inscrite à des cours pour que je puisse apprendre la base et que je grandisse sans une appréhension négative de la mer, des lacs et des cours d’eau. Là-dessus : mission accomplie!

Elle voulait principalement briser une idée qui sévit encore aujourd’hui : que les Noir.e.s ne savent pas nager et ont peur de l’eau.

D’où vient cette idée? Sur quoi est-elle fondée? Et surtout, qu’est-ce qui alimente ce stéréotype qui s’avère pour certain.e.s, mais qui est loin de coller à la peau de toute une communauté?

Plongée en eaux troubles dans ces grands questionnements.

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Tu viens d’où?

Si je me fie aux messages privés que j’ai reçus sur les médias sociaux, la relation tumultueuse avec l’eau aurait plutôt rapport avec le lieu et le milieu où on a grandi plutôt que la couleur de son épiderme.

Si plusieurs des personnes avec qui j’ai échangé admettent qu’il y a une part de vérité sur la question – une fille me racontait que sur quatre personnes ne sachant pas nager dans son cours de piscine au secondaire, trois étaient afrodescendantes –, il ne faudrait tout de même pas généraliser, ou assumer que cette aversion de l’eau est innée chez les personnes noires.

Beaucoup de personnes nées au Québec ou en France, par exemple, ont eu accès à un plan d’eau dès leur jeunesse afin d’apprendre les rudiments de la nage, que ce soit dans un cours d’éducation physique, un camp de jour ou à la piscine municipale.

Certaines personnes qui ont été élevées sur le bord de la mer au Sénégal ou le long des plages en Haïti m’ont confié leur rapport privilégié à l’eau et leur facilité à se laisser porter par les vagues. De leur côté, ceux et celles qui habitaient à flanc de montagne ou en ville étaient nettement moins à l’aise dans l’eau. Dans certaines régions d’Afrique ou des Caraïbes, l’accès à l’eau demeure un privilège qui est loin d’être à la portée de tou.te.s. En ce sens, apprivoiser la nage est carrément une mission impossible pour plusieurs.

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La relation qu’ont les parents avec l’eau est également un facteur déterminant dans la perception de leur progéniture. S’ils ont un rapport positif avec les activités aquatiques et qu’ils initient leurs enfants en bas âge au milieu aquatique, il y a de fortes chances que ceux-ci soient à l’aise dans l’eau en grandissant.

Frôler la noyade et autres dangers

Scarlène s’est invitée dans ma messagerie et m’a partagé son histoire. Sa mère ne savait pas nager et l’a inscrite à des cours de natation pour éviter que celle-ci répète le même schéma.

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Mais voilà, Scarlène n’aimait pas aller dans la zone profonde et n’a pas réussi à dépasser ce blocage. À l’âge de 12 ans, un épisode à la piscine municipale qui s’est presque terminé en noyade l’a tellement marquée qu’elle n’y est plus retournée. Aujourd’hui, elle veut inscrire sa fille tout juste âgée de 4 mois à des cours pour éviter que son bébé développe la peur de l’eau.

Tout le contraire de Myriam, qui a grandi dans le quartier multiethnique de Saint-Laurent à Montréal et qui a passé ses étés dans l’eau. Elle a d’ailleurs complété ses cours de sauvetage, ce qui a inspiré sa mère à apprendre à nager à l’âge de 40 ans.

Même si la mère de Myriam a vécu près de la mer dans son pays d’origine, elle a grandi avec la crainte que la nature puisse se déchaîner à tout moment, particulièrement durant la saison des ouragans. À force d’entendre « ne va pas là », « c’est dangereux », c’est sur la terre qu’elle préférait se poser.

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La phobie de l’eau est attribuable notamment à ces avertissements et à ces histoires qu’on a pu entendre durant son enfance, selon ce qu’explique la Dre Luisa Cameli, directrice de la Clinique de santé émotionnelle associée au Centre universitaire de santé McGill.

« Cela envoie des messages négatifs, surtout pour les plus jeunes, parce que le cerveau n’est pas très nuancé [à cet âge-là], l’enfant ne fera pas la distinction entre ce qui est dangereux de ce qui ne l’est pas », explique-t-elle.

La psychologue en sait quelque chose, elle qui a accompagné au fil des années plusieurs adultes qui acceptaient à peine d’être trempés jusqu’à la taille. Comment fait-on alors pour s’affranchir de cette peur? La Dre Cameli recommande d’y aller graduellement, par étape.

Tout d’abord pour vaincre la peur de l’eau, il faut travailler sur ses pensées et bien faire la distinction entre ce qui représente un danger réel, potentiel ou imaginaire.

Ensuite vient la phase de désensibilisation. L’idéal est de commencer dans une piscine avec des marches. Le premier objectif peut être tout simplement de descendre les trois premières marches et d’habituer son corps à avoir de l’eau jusqu’aux genoux par exemple. Puis, on passe à six marches la prochaine fois.

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Pour dépasser sa peur, cela peut prendre de 8 à 10 séances, parfois plus.

Comment fait-on pour s’affranchir d’un stéréotype?

S’il n’y a malheureusement pas de réponse claire à cette question, on peut penser que plus les personnes de couleur passeront à l’action pour briser ce stéréotype, en prenant des cours de natation, en désensibilisant leurs enfants, etc., plus il disparaitra de la pensée populaire au fil du temps.

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Des modèles comme les olympiennes Jennifer Abel ou encore Naomy Grand’Pierre sont également très importants pour montrer aux jeunes générations que les personnes de couleur peuvent pratiquer un sport aquatique et y exceller.

Pour ma part, j’ai trouvé un sport nautique qui m’a réconciliée avec l’eau : le paddleboard. Et j’ai bien hâte à l’été pour pouvoir en profiter.