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Prenons-nous soin de nos infirmières? Poser la question en ce moment, quand le personnel hospitalier ne cesse de décrier le manque de ressources en temps de crise, c’est pas mal y répondre. Mais qu’en est-il en temps normal?
Quand il n’y a pas de pandémie et qu’elles ne font «que» s’occuper de patients «ordinaires» (notez que les guillemets ici sont signe d’ironie, merci), est-ce qu’on prend davantage soin de nos infirmières?
Les conditions de travail
On sait que les conditions de travail des infirmières ne sont pas bonnes, mais concrètement ça veut dire quoi?
«Des fois faut que je fasse le tour de l’urgence pour trouver une machine de signes vitaux. J’ai un patient à évaluer, j’en ai huit autres qui attendent et je perds mon temps à chercher la machine… C’est la base!»
Le manque d’équipement est un combat réel. En ce moment particulièrement, mais c’était déjà le cas prépandémie: «Des fois faut que je fasse le tour de l’urgence pour trouver une machine de signes vitaux. J’ai un patient à évaluer, j’en ai huit autres qui attendent et je perds mon temps à chercher la machine… C’est la base! Et en même temps c’est dangereux, parce que je dois quitter mon poste où je suis censée observer les patients pour courir après une machine», explique Jeanne, infirmière clinicienne qui travaille au triage d’une urgence dans un hôpital.
Le manque d’espace, on le sait, fait aussi beaucoup jaser: «Quand l’urgence déborde, on se retrouve à mettre des patients dans des bureaux qui ont été changés en postes de travail. Les pompiers ont dit à l’hôpital que c’était pas sécuritaire, mais on a des patients là pas mal 300 jours par année… On n’a pas le choix», affirme Jeanne.
«J’ai une responsabilité déontologique, mais j’suis mal prise parce que je dois m’occuper parfaitement de tous les patients même si on me donne pas les outils et les conditions pour le faire.»
Le manque de personnel est un autre défi auquel les infirmières doivent faire face, sur une base quotidienne. «Quand t’as 80 patients dans la salle d’attente et que t’es trois [infirmières] au triage, c’est un peu plus de 25 patients par infirmière. C’est statistiquement impossible de les réévaluer aux 15, 30 minutes ou aux heures. Si un patient meurt… je fais ça gros, mais si un patient meurt, ils vont me blâmer de pas l’avoir réévalué. Par contre, ils regarderont pas la personne qui a fait la planification pis ils tiendront pas compte du fait qu’on aurait eu besoin de backup, dénonce Jeanne. C’est ma responsabilité pareil, peu importe le pourcentage d’occupation. J’ai une responsabilité déontologique, mais j’suis mal prise parce que je dois m’occuper parfaitement de tous les patients même si on me donne pas les outils et les conditions pour le faire.»
Outre les conditions dans l’hôpital même, il y a d’autres petites frustrations qui pourraient quand même faire une grande différence: les infirmières doivent payer elles-mêmes leurs uniformes (contrairement aux policiers, par exemple), payer leur stationnement et leurs formations continues obligatoires.
Les fameuses heures supplémentaires
Un quart de travail régulier dure huit heures. Une infirmière qui doit faire un «double» se retrouve donc à travailler 16 heures en ligne. Parfois, elles arrivent à diviser le quart de travail de plus entre deux infirmières pour qu’elles ne fassent «que» des shifts de 12 heures…
«Ça dépend des milieux, il y a des endroits où on arrive à s’arranger entre nous, explique Jeanne, donc on peut un peu prévoir nos heures supplémentaires, c’est plus humain. Mais dans les départements où il y a des postes vacants depuis longtemps, les infirmières font des heures de fou jour après jour après jour, c’est inhumain.»
D’ailleurs, une étude de Christian Rochefort, professeur à l’université de Sherbrooke et chercheur au Centre de recherche du CHUS, affirme que «à chaque augmentation de 5% de la quantité d’heures supplémentaires des infirmières, la mortalité grimpe de 3%. Et à chaque baisse de 5% de la proportion d’infirmières dans une équipe de travail, la mortalité augmente de 5%.»
Selon lui, «la fatigue liée aux heures supplémentaires diminue la capacité des infirmières de détecter une aggravation de l’état des patients». Ce n’est donc pas seulement inhumain pour les infirmières qui travaillent de trop longues heures dans des conditions difficiles, c’est aussi dangereux pour les patients.
Combien ça gagne, une infirmière?
La reconnaissance d’un métier, ça ne se mesure pas juste avec le salaire, mais on s’entend que c’est une grosse partie de l’équation… L’équivalent du «m» dans E=mc2 mettons (les guillemets ne sont pas ironiques ici, merci).
C’est vrai qu’on entend rarement parler des conditions de travail des radiologistes, mais comme ils ont un revenu moyen brut de 835 000$ par année, disons que la game est différente.
Dans le cas des infirmières, elles sont toutes rémunérées à l’heure, mais leur salaire varie selon leur titre qui, lui, change selon leur formation. Évidemment, les tâches et les responsabilités sont différentes pour chaque type d’infirmière.
Voici les honoraires pour les différents postes, ainsi que la formation requise d’après le site gouvernemental Avenir en santé.
Infirmière auxiliaire
De 21,50$ à 28,34$ l’heure
Diplôme d’études professionnelles (niveau secondaire) en soins infirmiers
Infirmière technicienne
De 24,08$ à 39,00$ l’heure
Diplôme d’études collégiales en soins infirmiers
Infirmière clinicienne
De 25,25$ à 45,22$ l’heure
Baccalauréat en sciences infirmières
Infirmière praticienne spécialisée
De 27,40$ à 54,78$ l’heure
Formation de deuxième cycle universitaire (spécialité)
À cela s’ajoute une prime de 8% que le gouvernement du Québec a annoncé en avril pour le personnel de première ligne qui travaille dans le système de santé public.
Un métier pas très attrayant
Avec tout ce qu’on entend dans les médias, c’est clair qu’il faut avoir un appel du Bon Dieu (ou d’Horacio Arruda, tout dépendant de vos croyances) pour avoir envie de s’inscrire en soins infirmiers. Une forte baisse des demandes d’admission au cégep dans ce programme a d’ailleurs été remarquée ces dernières années.
Cela dit, c’est indéniable que «nos anges», comme les appelle le premier ministre durant son programme de TV quotidien, font un travail remarquable, surtout compte tenu des circonstances et du matériel dont elles disposent.
En ce moment, on peut leur dire merci et faire flasher les lumières de police pour les encourager, mais reste que nos infirmières, il faut aussi en prendre soin.