Vous voulez savoir si vous pouvez vous en sortir à McGill même si vous n’êtes pas du tout doués en anglais?
La réponse est oui.
Je suis arrivé il y a trois ans à McGill, après avoir été dans le groupe des poches en anglais depuis secondaire un, et j’ai réussi à faire un bac sans trop de problèmes.
Bien qu’il s’agisse d’une université officiellement unilingue, McGill accorde à ses étudiant·e·s québécois des droits et met à leur disposition des ressources qui leur permettent de bien réussir même s’ils ne maîtrisent pas particulièrement bien la langue de Shakespeare.
Le plus fondamental est celui de remettre n’importe quel travail en français, dans n’importe quel cours qui n’a pas pour objet la maîtrise de la langue anglaise. Un prof ne parle pas français? Aucun problème: McGill emploie une équipe de traducteurs professionnels chargés, en théorie, de traduire tous les examens et tous les devoirs rédigés dans la langue de Tremblay.
En pratique, cependant, il est assez rare que les profs y aient recours. En trois ans à McGill, j’ai remis tous mes travaux en français et je n’ai eu affaire qu’une fois avec ces traducteurs. Je vous le jure, nombre de mes professeurs ont choisi de corriger mes copies même s’ils n’étaient pas capables d’aligner trois mots de français. On peut supposer que mes réflexions subtiles sur la politique égyptienne n’ont pas toujours été bien comprises, mais cela n’a jamais semblé affecter mes notes au final. Au contraire, j’ai parfois eu l’impression que j’avais reçu une bonne note parce que le professeur n’avait pas lu assez attentivement mon travail, alors je n’ai aucun problème avec ça.
face à un secrétaire unilingue, j’ai toujours préféré passer à l’anglais que de répéter 100 fois le mot «relevé de notes»
En théorie, McGill garantit aussi aux étudiants qu’ils pourront toujours faire affaire avec l’administration en français. Bien que je ne doute pas que ce soit possible, ce serait tout un exploit puisque la grande majorité des gestionnaires sont anglophones. Personnellement, face à un secrétaire unilingue, j’ai toujours préféré passer à l’anglais que de répéter 100 fois le mot «relevé de notes» ou que d’attendre l’arrivée de son ou de sa collègue à peu près bilingue.
Malgré tout, le fait de ne pas bien parler anglais ne pose pas trop de problèmes auprès des professeurs et du personnel de l’université, habitués à accommoder des étudiants de partout dans le monde. Plusieurs étudiants francophones m’ont dit qu’au début de leur bac, ils avaient honte de leur accent et tentaient le plus possible de le dissimuler. Mais, à la longue, beaucoup finissent par assumer cet accent et même par l’embrasser, ce qui permet indubitablement de les reconnaître dans une salle de classe. « Do you understand me, là? »
The students’ association / La association de les étudiants
Contrairement à l’université elle-même, l’Association des étudiant·e·s de l’université McGill (l’AÉUM) se targue d’être une organisation officiellement bilingue, mais on peut dire sans trop se tromper que ce n’est qu’une façade. D’année en année, la quasi-totalité des postes de l’association étudiante est occupée par des anglophones, même si, selon les statistiques de l’université, le quart du corps étudiant est d’expression française.
En réalité, les seules phrases en français que vous entendrez au conseil étudiant seront de courtes motions de procédures apprises par cœur et mal prononcées par les exécutants. L’AÉUM et les autres associations étudiantes font au moins l’effort d’offrir une version française de leurs courriels, mais les erreurs laissées par Google Traduction en font sourciller (ou bien rire) plus d’un.
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L’an passé, à la grande surprise de tous les francophones, les responsables (anglophones) de l’AÉUM ont tenté de montrer leur ouverture en adoptant une nouvelle constitution dont la version française aurait primauté sur la version anglaise (personne comprenait vraiment à quoi ça allait servir, mais le geste a été apprécié). Six mois plus tard, scandale: finalement, des étudiants se sont rendu compte que la fameuse version française n’existait pas, malgré ces belles promesses, parce que tout avait été rédigé en anglais et que personne n’avait pris la responsabilité d’effectuer la traduction. Oups.
Je dois mentionner que les étudiant·e·s qui ne parlent pas français, en général, regardent d’un assez mauvais œil les privilèges qui nous sont accordés. Plusieurs affirment, à tort ou à raison, que nous avons fait le choix d’étudier dans une université anglophone, et que nous ne devrions pas nous attendre à pouvoir éviter de parler anglais.
D’ailleurs, gare à celle ou celui qui parlera le français en classe! À ma première année, alors que j’étais encore en route vers le bilinguisme (!) , des collègues m’avaient reproché d’utiliser à l’occasion des phrases en français pour me faire comprendre par une professeure qui le parlait bien. Plus récemment, une étudiante s’est fait sévèrement blâmer par ses comparses pour avoir posé une question en français à une intervenante francophone… dans un cours du programme d’études québécoises!
Les McGillois francophones forment une minorité parmi les Montréalais anglophones, eux-mêmes une minorité parmi les Québécois francophones, eux-mêmes une minorité parmi les Canadiens anglophones…
De plus, à McGill, les Québécois francophones ont la réputation d’être un peuple particulièrement intolérant. Je ne me prononcerai pas à savoir si cette réputation est justifiée pour l’ensemble de la population, mais il est certain qu’elle déteint assez injustement sur les étudiants francophones. Lorsque le débat sur la loi 21 faisait rage à McGill, j’ai dû à de nombreuses reprises expliquer à des amis que tous les francophones ne soutenaient pas nécessairement les idées de la CAQ, en particulier dans une université comme McGill… Il y a deux ans, une vice-présidente de l’asso étudiante était même allée jusqu’à affirmer sur Facebook que la CAQ avait des «liens documentés» avec des suprématistes blancs, et à traiter les francophones qui critiquaient l’amalgame de «nazis avérés».
Voyez-vous, les McGillois francophones forment une minorité parmi les Montréalais anglophones, eux-mêmes une minorité parmi les Québécois francophones, eux-mêmes une minorité parmi les Canadiens anglophones… disons que les enjeux linguistiques sont particulièrement sensibles à McGill. La loi 101, assez consensuelle à l’échelle du Québec, est un sujet qui fait énormément débat dans les journaux étudiants comme dans les salles de classe, et j’ai appris récemment, au cours d’un atelier sur la diversité donné par des étudiants bénévoles, que le séparatisme québécois constituait une grave forme d’oppression. Bref, c’est pas vraiment la place pour se promener avec un t-shirt de René Lévesque.
Toutes les différences peuvent être mises de côté quand vient le temps de faire preuve de camaraderie
Même si tout ce débat prend beaucoup de place dans l’espace public, il ne faut pas croire que les francophones et les anglophones ne se parlent pas, bien au contraire! S’il y a un endroit à Montréal où les deux solitudes se rencontrent, c’est bien à McGill où on peut rencontrer, en plus, des gens de toutes les cultures et de toutes les langues. Toutes les différences peuvent être mises de côté quand vient le temps de faire preuve de camaraderie, que ce soit pour étudier en catastrophe pour un examen ou pour boire un verre au Open Air Pub, le barbecue alcoolisé bisannuel de l’université.
Espaces francophones
Bien sûr, il existe quand même des endroits où les francos peuvent chialer en secret sur le bonjour-hi – ou plutôt sur le hi tout court, pour ce qui est des environs de McGill. En plus de celui du Québec, vous y entendrez une foule de français différents: celui de France, surtout, mais aussi celui du Liban, d’Haïti, de la Suisse ou du Maroc, pour ne nommer que ceux-là.
il existe quand même des endroits où les francos peuvent chialer en secret sur le bonjour-hi
D’abord, il existe quelques départements où des cours se donnent en français. Dans les facultés de droit et de médecine, qui accueillent beaucoup d’étudiants du Québec, il est en théorie possible de suivre la plupart des cours en français. Mais surtout, le tout petit Département des littératures de langue française, de traduction et de création fait figure de village gaulois, car l’entièreté des cours y est donnée en français.
Dans le salon des étudiants du programme, situé en plein cœur de l’emblématique pavillon principal, on se croirait littéralement à l’UdeM ou à l’UQAM : tout le monde parle français. Même pour les francos qui n’étudient pas en littérature, le DLTC fait un peu office de lieu de rassemblement : beaucoup choisissent d’y suivre quelques cours optionnels, sachant qu’ils y retrouveront d’autres francophones.
Enfin, il existe une multitude de clubs et d’activités parascolaires francophones. L’Organisation de la Francophonie à McGill, par exemple, a pour vocation de représenter les francophones auprès de l’Université et de l’association étudiante. Il existe aussi des clubs plus spécifiques, comme la troupe Franc-Jeu qui présente chaque année des pièces de théâtre en français. L’organisme francophone le plus visible reste cependant Le Délit, le journal étudiant francophone de l’université qui s’est séparé du McGill Daily en 1977 (Daily, Délit, la pognez-vous?). Le journal, qui publie chaque semaine des articles d’actualités et des textes d’opinion, est la principale vitrine de la vie francophone sur le campus, en particulier en temps de pandémie (OK, je vous en parle un peu parce que j’y travaille).
En fait, si vous voulez, il y a assez de services et de clubs en français pour ne presque jamais parler en anglais à McGill. Bien sûr, par contre, vous passeriez à côté de la plus belle opportunité offerte par McGill, c’est-à-dire de voyager dans sa propre ville en rencontrant des personnes venant de tous les horizons différents.
Dans tous les cas, vous n’avez pas à vous inquiéter: vous ne serez pas le ou la seul.e à McGill à ne pas vous exprimer dans un anglais parfait.