Souvenez-vous, quelques années plus tôt, lorsque le monde entier entonnait à l’unisson le refrain de la chanson Gangnam Style de Psy, chorégraphie équestre à l’appui. On pensait n’avoir affaire qu’à un meme viral, à l’époque. Et puis, quelques milliards de visionnements sur YouTube plus tard, la porte d’entrée vers un univers inédit était ouverte : celui de la korean-pop, plus communément abrégée « k-pop ».
Tout droit venu de Corée du Sud, ce genre musical alliant esthétique léchée, mélodies entraînantes et pas de danse rigoureux se forge une place de plus en plus sûre en Occident. En vitrine de cette révolution culturelle : le groupe BTS. Avec plus de 90 millions de fans dans le monde et des billets pour ses tournées s’écoulant en très exactement six battements de cils, ils sont la preuve qu’en k-pop, lorsqu’on aime, on ne compte absolument pas.
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De trois à quatre zéros
« Étalé sur cinq ans, je pense avoir facilement dépensé 3000$ », admet sans difficulté Jennifer, fan de longue date de BTS. Chez Coralie, dont l’intérêt tourne beaucoup plus autour du groupe coréen EXO, on descend à 2400$. Et en moyenne, si l’on en croit Lauryn et Clarisse, deux autres fans hardcore, le budget annuel d’un fan financièrement actif de k-pop tourne autour de 500 dollars.
Encore aux études, il leur a fallu apprendre à anticiper les achats occasionnés par cette passion. « Surtout en période de concert ou de comebacks », précise Lauryn, ajoutant ici un nouveau terme à notre vocabulaire. Car qui dit comebacks dit, comme son nom l’indique, retour de nos groupes préférés, qui s’accompagne de sorties de singles, puis d’albums, puis de produits dérivés exclusifs — t-shirts, bonnets, stylos, tasses, souliers, guirlandes, you name it.
«Pour aller à deux dates consécutives de concert, je me suis déjà mise à découvert.»
S’ajoutent encore à cela les achats propres au monde de la k-pop, tels que ces bâtonnets lumineux nommés lightsticks que l’on agite dans les gradins de concerts ou encore les photocards, ces petites photos d’artistes qui viennent avec l’achat de leurs albums. « Ça crée de l’anticipation », explique Kathleen dont le coeur bat pour Itzy, un groupe de k-pop féminin. « Parce que tu sais pas si tu vas tomber sur la photo de ton membre préféré ou pas. »
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La fin justifie les moyens
Tout cela peut contribuer à donner à son banquier de sérieuses palpitations. Et pour cause : lorsque l’opportunité de voir ses artistes favoris en chair et en os se présente, très peu hésitent avant de se mettre dans des situations financières délicates. « Pour aller à deux dates consécutives de concert, je me suis déjà mise à découvert », en témoigne Lauryn qui a dû augmenter ses heures de travail ensuite pour combler ce déficit.
À recommencer, elle le referait sans même cligner des yeux. Les tournées hors Asie d’artistes k-pop se faisant souvent rares, les billets se vendent donc extrêmement vite. Le fait de réussir à mettre la main sur une seule et unique place — ce qui, croyez-en mon expérience, est encore plus difficile que d’acheter une passe annuelle à la SEPAQ — est inespéré. Alors, comme le résume si bien Jennifer : « La sécurité financière, c’est bien. BTS, c’est mieux ».
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Une machine bien huilée
« Je connais une fille qui paie une application pour pouvoir parler avec les membres du groupe Stray Kids en mémos vocaux », rapporte Clarisse. « Et d’autres encore qui achètent des albums en masse pour participer aux fan meetings », dit-elle. Car à l’image de Charlie et la chocolaterie, les invitations se trouvent à l’intérieur.
« T’as clairement accès à plus si t’es prêt à dégainer la carte gold. » Plus la somme déboursée augmente, plus la proximité symbolique entre fan et artiste rétrécit ; tel est donc le contrat. Et en période de comebacks sont battus tous les records.
Chaque album est systématiquement décliné en plusieurs versions — suivant si le fan a le goût d’un coffret à la pochette verte, rose ou encore bleue. Mais ça va plus loin.
«Une fois rendue fan, on a vraiment envie d’avoir des objets d’eux avec nous.»
Prenons le cas de BTS, un groupe composé de sept membres. Sept membres = sept potentielles versions d’albums différentes. Et s’il y en a sept, leur label sait pertinemment que plusieurs les collectionneront. Il sait tout aussi bien que ces mêmes fans feront l’acquisition d’autres albums pour réunir cette fois-ci les sept photocards des membres de BTS. N’ayant aucun moyen de connaître l’identité d’une photocard avant l’ouverture du coffret, l’achat d’albums en masse est souvent nécessaire pour qu’à terme, une collection soit complétée. De salée, l’addition devient alors amère.
La logique derrière cela dépasse la simple affection : il s’agit ici d’appartenance. « Je pense qu’une fois rendue fan, on a vraiment envie d’avoir des objets d’eux avec nous », explique Jennifer. L’argent transformant cette appartenance en donnée quantifiable, il arrive que se comparer à d’autres fans soit une expérience douloureuse. « Chaque fois que je regarde les collections des autres, j’ai ce petit sentiment d’infériorité », avoue Coralie. « Et c’est bête, mais quelques fois, on doit se prouver qu’on est fan. Il y a ce désir de tout collectionner pour le montrer. »
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L’argent : distraction ou condition ?
Différents moyens d’apprécier du contenu k-pop sans vendre un organe existent, toutefois — et heureusement. « Il y a beaucoup de choses gratuites et accessibles », rappelle Lauryn. « Ce n’est pas nécessaire de posséder les choses en physique pour être fan. » Écouter la musique sur YouTube ou même Spotify plutôt que sur un CD acheté trente dollars n’est donc pas un péché. Il est quelques fois bon de se le remémorer.
«Je pense que la musique en elle-même est amplement suffisante.»
De plus, la solidarité unissant les communautés virtuelles de fans permet souvent de dépasser ce gatekeeping financier et mettre en commun des images exclusives, entrevues publiées, concerts en streaming et autre matériel précédemment accessible à une portion plus fortunée du fandom. Quant à la légalité de la chose… c’est un autre débat.
Tout ceci nous enseigne donc qu’en k-pop, comme pour tout autre genre, l’essence première n’est pas à perdre de vue, qu’importe la brillance distrayante de l’emballage. « Je pense que la musique en elle-même est amplement suffisante », conclut en ce sens Clarisse. Parce qu’après tout, c’est bien par elle que l’on devient fan.