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Être en santé, une affaire de riches?

La vérité dérangeante de la MD colorée : le revenu, c'est le plus grand déterminant de la santé.

Par
Florence La Rochelle
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« C’est rare qu’on entende ça d’un médecin. C’est très intéressant », s’exclamait Jean-Philippe Wauthier à Bonsoir bonsoir!, dans un extrait vidéo devenu viral sur Instagram. C’était en mai dernier, alors que la médecin en santé publique Michelle Houde, alias la MD colorée, expliquait qu’il faut de l’argent pour être en santé. Une affirmation d’une évidence désarmante quand on y pense – et d’autant plus préoccupante dans le contexte actuel de crise du logement et d’inflation.

J’ai donc proposé à Michelle de poursuivre la réflexion sur ce qui est, selon elle, « le plus grand défi de la santé actuellement ». J’en ai également profité pour la questionner sur son propre rapport à l’argent, elle qui, au moment de notre entrevue, venait tout juste de terminer sa résidence.

Es-tu plus dépensière ou économe?

Je ressens un certain stress par rapport à l’argent : faire un budget, penser à mes dépenses… À cause de ça, j’ai tendance à ne pas regarder, même si j’ai une idée globale de ce qui se passe avec mon argent.

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Quel est ton dernier achat dont tu ne peux te passer?

Mon appartement! J’ai emménagé plus proche de mon travail parce que je savais que le transport, c’était une grande charge mentale pour moi. D’habiter plus proche me permet de faire moins de télétravail, de connecter avec mes collègues, et ça aide beaucoup ma santé mentale.

Pour toutes ces raisons, j’étais prête à payer un peu plus cher de loyer. Je suis locataire d’un 4 ½, qui me coûte 2040$ par mois.

Quel est le dernier achat que tu as regretté?

Probablement plusieurs livres que j’étais motivée à lire, que finalement j’ai jamais lus. Plusieurs cahiers dans lesquels je voulais écrire, et dans lesquels je n’ai pas écrit. Des crayons cutes avec lesquels je voulais écrire, et avec lesquels je n’ai jamais écrit…

As-tu un plaisir coupable sur lequel tu n’as pas peur de dépenser?

Le café. Je ne calcule pas vraiment, parce que c’est vraiment une grande source de bonheur pour moi.

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Sinon, il y aurait aussi peut-être des concerts, comme ceux de l’Orchestre symphonique de Montréal.

Pour consommer de l’art, je compte moins.

Je suis contente de mettre de l’argent là-dessus.

Quelle est la plus grande leçon que tu as apprise au sujet de l’argent?

Que le temps, c’est de l’argent. Que le plus tôt on peut investir, le mieux – malgré ma situation financière, avec mes dettes d’études, qui fait que je n’ai pas encore commencé à investir.

J’ai décidé, volontairement, de m’endetter pendant mes études en médecine parce que je tenais à m’impliquer en santé mondiale et en santé publique. Je savais que ces expériences allaient changer ma vie, puis ça a été le cas! C’est comme ça que j’ai pu assister à des congrès de l’Organisation mondiale de la Santé et faire des stages au Bénin et en Slovénie.

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Sachant que j’allais avoir un salaire plus élevé dans le futur, j’ai eu un rythme de vie légèrement plus élevé que mes revenus quand j’étais résidente. Puisque je commence à pratiquer dans quelques semaines, je suis en train de planifier, avec ma banque, le remboursement de mes dettes.

Quels sont tes achats « santé » préférés?

Ça coûte tellement cher, bien manger. Pour ma santé, je choisis d’investir dans des aliments de qualité. J’investis aussi dans des repas au restaurant pour pouvoir bien manger, même quand je n’ai pas le temps ni le goût de cuisiner.

Sinon, j’ai investi longtemps dans les services d’une psychologue. C’est coûteux, mais extrêmement rentable pour la santé mentale.

Puisque je fais de l’acné hormonale, je mets de l’argent dans de bons produits pour la peau.

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Je dépense aussi dans des activités, comme aller me faire masser une fois de temps en temps, ou encore aller au spa.

Bref, j’investis dans mon bien-être personnel – et je sais que je suis super privilégiée de pouvoir faire ces choses-là – parce que je sais qu’elles ont une grande influence sur ma santé mentale.

En entrevue à Bonsoir bonsoir!, tu as dit que le plus grand déterminant de la santé, c’est le revenu. Pourquoi?

Nos conditions de vie ont un grand impact sur notre santé. Et le revenu, c’est le déterminant qui est le plus lié à tous les aspects de notre vie. Il y a plein de choix qu’on peut faire quand on a de l’argent.

On dit souvent que le temps, c’est de l’argent – et c’est quand même vrai!

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Quand on est dans une situation de précarité économique, on a besoin de travailler de plus longues heures, avec des conditions de travail plus difficiles, et peut-être même d’avoir plus qu’un emploi. À cause de ça, on a moins de temps et d’espace mental pour faire autre chose pour notre santé mentale ou physique, comme faire du sport ou cuisiner des repas plus élaborés.

Le revenu et le statut socio-économique sont aussi liés au niveau d’éducation qui est lié très intimement à la santé parce qu’il permet de faire de bons choix pour sa santé. Être éduqué permet aussi d’avoir un emploi qui amène plus de revenus et d’avoir des conditions de vie plus favorables. Tout ça est lié.

… et le logement, dans tout ça?

L’argent, ça permet de vivre dans un logement qui correspond à nos besoins, dans une construction plus neuve, mieux entretenue, et plus proche de notre lieu de travail – mais il y a aussi toute une réflexion à avoir sur l’urbanisme.

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Tu remarqueras que les quartiers très riches sont généralement dans l’ouest des villes.

C’est parce qu’au Canada, les vents soufflent de l’ouest vers l’est. Donc, si tu vis à l’ouest de la ville, tu ne reçois pas toute la pollution.

Il y a aussi les logements qui sont collés sur l’autoroute et qui sont souvent moins chers. À cause de la pollution de l’air, on y retrouve plus de gens avec des problèmes d’asthme, de problèmes respiratoires, cardiovasculaires. Mais ces gens-là, ils ne choisissent pas nécessairement de vivre là.

Dans les quartiers où les logements coûtent moins cher, il y a beaucoup d’îlots de chaleur. Les personnes qui ont plus d’argent ont donc tendance à habiter des quartiers qui sont naturellement plus frais.

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Les quartiers plus favorisés ont aussi plus de pistes cyclables, d’installations sportives, ce qui permet de faire plus d’activités physiques.

Bref, le statut socio-économique est très intimement lié aux habitudes de vie et aux conditions de vie des individus.

Quel rôle les médecins doivent-ils jouer dans la lutte contre les inégalités économiques?

En tant que médecin, on voit très clairement les répercussions des inégalités sociales sur le réseau de la santé. Par contre, l’impact que le médecin peut avoir est assez limité – outre le traitement des conditions, et l’encadrement et l’enseignement qu’il peut prodiguer à ses patients.

Ceci dit, si plus de médecins joignaient leur voix à la lutte visant à ce que chaque humain ait un revenu de base suffisant, ça pourrait bénéficier à tout le réseau de la santé.

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Parce que si le revenu minimal ou les prestations d’aide sociale ne permettent pas de subvenir à ses besoins – c’est-à-dire de manger, de faire un minimum d’activité physique, de dormir, et de ne pas être trop stressé – ça veut dire que ce revenu n’est pas suffisant.

C’est important d’améliorer les soins, mais l’investissement en amont permettra d’économiser énormément d’argent, de limiter la pression sur le réseau de la santé et de prévenir des souffrances inutiles en bout de ligne.

Quelles mesures financières le gouvernement pourrait-il mettre en place pour améliorer la santé des Québécois et des Québécoises?

Il y en a plein! Par exemple, on pourrait rendre la contraception gratuite. La pilule du lendemain, l’avortement, et les soins obstétricaux : tout ça, c’est déjà gratuit. Mais des condoms, ça coûte quand même cher, même chose pour la pilule.

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On pourrait aussi rendre disponibles certains produits gratuitement, dont des médicaments pouvant éviter des maladies ou des grossesses non désirées.

Une autre avenue serait de faciliter l’accès à un logement minimalement salubre et un revenu minimal pour tous et toutes. Parce qu’un adulte en santé, c’est très rentable pour la société.