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Éternelle étudiante ou comment ne pas vieillir

Parce que quitter l’université, c’est entrer dans le monde des grands. Et ça fait peur.

Par
Emmy Lapointe
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J’ai eu 25 ans en juin dernier, une espèce d’âge pivot, un step de plus dans le monde des adultes, et là, de plus en plus, autour de moi, les gens terminent leurs études ou les poursuivent à temps partiel en s’investissant dans « d’autres projets de vie ». Des voyages, des maisons, des kids, des entreprises, des carrières.

Ça y est, on avance à tâtons chez les grands. Pourtant, malgré le temps qui file comme un dingue, une poignée de personnes, poignée à laquelle j’appartiens, s’accroche (ou s’acharne) à demeurer d’abord et avant tout des étudiant.e.s même si on sait que tôt ou tard, il nous faudra renoncer à ce statut.

Dans le tout premier numéro de l’automne d’Impact Campus, le journal étudiant de l’Université Laval, j’écrivais ceci :

« Ça y est, on recommence déjà. À peine nous remettons-nous de notre dernier festival, de notre dernier coup de chaleur, que nous sommes déjà tiré.e.s sur le campus. On fait comme si on voulait que l’été s’étire, que l’école ne recommence pas, mais la vérité, c’est qu’on attend la rentrée comme on attend le printemps. On s’étonne de trouver les matins froids de septembre plus réconfortants que les soirées chaudes d’été. »

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« Puis, on retrouve le campus, le plus habité qu’on ait connu depuis longtemps. On retrouve ses ami.es ou on se retrouve seul.e.s et on marche sur le campus avec cette sensation des premières fois. Pourtant, plusieurs d’entre vous vivront, cette année, leur dernière rentrée. Vous aurez occupé le campus durant trois, cinq, dix ans, et sans vous en rendre compte peut-être au lendemain d’une prochaine fête du Travail, vous ne retrouverez plus les salles de classe. »

Quand j’ai écrit ces mots-là, je pensais à tou.te.s mes ami.e.s qui, comme moi, vivent dans une sorte d’amour-haine constant pour l’université et qui sont ambivalent.e.s face à sa fin entamée ou imminente.

La décision de rester à l’université est toujours facile à prendre et toutes les raisons sont toujours bonnes pour le faire.

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J’écrivais aussi ça en sachant qu’à la fin du trimestre d’automne, je pourrais, si je voulais, achever mon parcours universitaire. Parce que mine de rien, j’aurai accumulé 192 crédits universitaires (merci aux crédits de recherche qui gonflent ce nombre), j’aurai pratiquement fini ma maîtrise en littérature, j’aurai avancé un peu plus mon bac en droit que je pourrais tout simplement transformer en certificat, et tout ça, ça m’aura fait une belle partie au jeu de l’université.

Sauf que j’ai décidé de faire quelques manches encore en m’inscrivant au doctorat.

Et si les raisons qui me poussent à poursuivre au doctorat sont essentiellement liées à mes ambitions professionnelles, reste que pour moi, la décision de rester à l’université est toujours facile à prendre et toutes les raisons sont toujours bonnes pour le faire.

Fragments

13 juin, 18 h 10, Messenger

Emmy : En même temps, quoi de mieux que de toujours aller à l’uni?

Myriam : Oui. Y’a pas beaucoup de gens qui comprennent ça.

Emmy : Comment je ferais pour me valoriser autrement? Et comment je ferais pour devenir une adulte à 100 % ?

Myriam : Crisse que je relate.

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11 octobre, 14 h 30, Café Nektar

Rosalie : C’est ma plus belle rentrée, mais c’est aussi ma dernière.

Emmy : Comment tu te sens par rapport à ça?

Rosalie : J’ai peur, j’ai peur de pas réussir comme je réussis académiquement.

7 octobre, 17 h 15, Messenger

Emmy : Comment tu t’es sentie l’automne dernier à ta première année pas à l’uni?

Romy : Libérée. 😅 Je suis pas une personne studieuse, though. C’est certain qu’il y a une certaine nostalgie qui embarque, mais elle a pas duré longtemps.

4 septembre, 22 h 40, Fou bar

Simone : J’ai l’impression de drop out.

Emmy : Tu finis pas ta maîtrise, tu drop out pas!

Simone : Mais pareil, vous êtes encore toutes à l’uni.

Emmy : Mais c’est qu’on sait pas ce qu’on va faire après, nous, alors que toi, t’as déjà des REER.

14 octobre, 18 h 45, dans un Uber en revenant du campus

Achref : Oui, j’ai fini de travailler et là, je vais faire quelques heures de Uber.

Emmy : Ah, vous travaillez à quel autre endroit?

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Achref : À Revenu Québec, mais l’an dernier, j’étais encore ici, à l’université. Je viens juste de finir mon MBA.

Emmy : Est-ce que ça vous manque?

Achref : Je fais souvent des détours par le campus, l’automne plus encore.

Au moment d’écrire ces lignes, on est à la mi-octobre et la mi-session kick in. La semaine prochaine, la bibliothèque sera ouverte 24 heures, et des étudiant.e.s, des centaines, y passeront une ou des nuits. Il y aura des ambassadeur.rice.s de Redbull et de Guru sur le campus. On sera à cran. On se donnera corps et âmes pour des travaux pour lesquels on recevra des notes correctes, et on recevra des notes anormalement élevées pour des travaux bâclés.

Et comme à tous les mois d’octobre, de décembre, de février et d’avril, reviendra immanquablement cette question : pourquoi je fais tout ça?

Les raisons qui viendront seront celles qu’on qualifie de bonnes : emploi souhaité, bon salaire, etc. Mais si jamais on laissait la place aux raisons intimes, je pense que c’est surtout de la peur qu’on retrouverait. De la peur, parce que quand on sort du bac, ça fait au moins 16 ans qu’on est à l’école.

À l’université, les règles du jeu sont un peu violentes, oui, mais elles sont établies et ça, c’est rassurant.

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Seize ans que notre vie s’articule autour de ça (c’est connu, quand tu es à l’école, l’année ne commence pas en janvier, elle commence en septembre). Seize ans qu’on te donne des indications (pas toujours) claires sur ce que tu dois faire et dans quel ordre, qu’on organise tes choix, tes possibles. Seize ans que tu sais que pour réussir, tu dois répondre à tel critère, telle compétence.

À l’université, les règles du jeu sont un peu violentes, oui, mais elles sont établies et ça, c’est rassurant.

Après, certain.e.s trouveront, avec raison sans doute, qu’un jeu clair n’en vaut pas la chandelle et qu’il faut s’accrocher aux « bonnes raisons » d’être à l’université pour passer au travers et surtout, pour en sortir. Mais pour plusieurs, l’université demeure un lieu-refuge à l’abri du « monde des adultes ». Alors réconfortant, parce qu’habituel, mais aussi réconfortant, parce que les décisions qu’on y prend s’ancrent moins, se révoquent toujours et que tout reste encore à faire.

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Alors à l’automne 2023 et pour les trois autres qui suivront, je vivrai encore des rentrées universitaires. Et quand on me demande « pourquoi le doc? », la réponse est facile et la réponse est vraie, « parce qu’éventuellement, j’aimerais ça être prof à l’uni ». Mais si quelqu’un d’un peu trop perspicace me demandait « pourquoi prof à l’uni ? », là, je ne saurais pas quoi répondre. Je balbutierais sans doute un « c’est le fun, t’sais, le partage de connaissances, la recherche, tout ça ». Mais ça, c’est la bonne raison, pas la raison intime.

La raison intime, c’est que c’est la façon que j’ai trouvée de ne jamais complètement m’extirper du statut d’étudiante.

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