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Et si vous pouviez recevoir votre paie sur demande?
En 2024, 62% des américain.e.s déclarent vivre paycheck to paycheck, dont 48% des travailleur.euse.s américain.e.s gagnant plus de 100 000 $ par année, selon un sondage PYMNTS Intelligence. Non, pas besoin de faire partie du 63 % de la masse salariale américaine « à faibles revenus » pour avoir des enjeux de liquidités – les « riches » ne sont pas à l’abri d’une mauvaise gestion financière, ou encore des dettes excessives.
Pas étonnant que, dans ce contexte, l’accès au salaire gagné (earned wage access, ou « EWA », en anglais) soit un service de technologies financières de plus en plus en demande aux États-Unis, depuis quelques années.
Lancée il y a neuf ans par les hommes d’affaires Jason Lee et Rob Law, DailyPay est une compagnie privée américaine qui offre un service d’EWA permettant aux employés d’être rémunérés avant leur période de paie selon le travail effectué pour leur employeur.
Basée dans l’une des tours new-yorkaises du Financial District, l’entreprise américaine compte aujourd’hui plus de 800 salarié.e.s, 500 000 usager.ère.s et de nombreux partenariats avec des firmes comptant de grands noms tels que Duracell, Adecco ou encore Lidl dans leur portfolio.
Comment ça marche ?
DailyPay prend la forme d’une application qui permet à celui ou celle qui l’utilise de voir la somme d’argent qu’il a gagné à l’instant « T », tout en lui laissant la possibilité d’utiliser ce salaire quand bon lui semble.
L’application permet alors de verser le salaire actualisé depuis DailyPay sur le compte bancaire voulu du ou de la salarié.e. La compagnie offre aussi une carte bancaire reliée au compte DailyPay qui fonctionne comme une carte de crédit. En échange de ce service, l’entreprise charge un frais de 3,49 $ par transaction.
Pour ce faire, DailyPay récupère des rapports de temps de travail des salarié.e.s par leurs employeurs. La fintech déduit ensuite toutes les taxes imputables au salaire brut pour établir une « balance DailyPay », soit la somme d’argent (ou le salaire net) accessible pour le travailleur.
Un service qui ne date pas d’hier
Dans une entrevue avec le média New York Stock Exchange en janvier dernier, Kevin Coop, l’ex-PDG de la compagnie, expliquait que « DailyPay est né d’un concept très simple : pourquoi attendre 2 semaines avant de recevoir son salaire? »
En réalité, c’est dans les années 2010 que le concept d’EWA voit le jour.
Ce principe se positionne comme une alternative plus sécuritaire que les prêts sur salaires (payday loan), qui présentent souvent des taux d’intérêts élevés et de courtes échéances de remboursement. La pandémie liée au virus de la COVID-19 a aussi accentué l’utilisation de ces services.
Aujourd’hui, plusieurs employeurs, comme Walmart et Uber, proposent désormais ce service.
Des employés moins endettés et plus loyaux?
Mark Dennis, membre du Financial Wellness Think Tank ayant fait une recension des écrits sur le sujet en 2023, informe que l’EWA ne comporte aucun risque d’entacher la cote de crédit ou la viabilité financière des individus, puisqu’il ne crée pas de dette.
Les données provenant de DailyPay montrent qu’en 2018, le montant moyen des transactions s’élevait à 66 $. Aussi, plus de 90 % des usager.ère.s de DailyPay rapportent s’en servir pour payer leurs factures à temps.
Avant d’avoir accès aux services d’EWA, les usager.ère.s de DailyPay payaient des frais de découverts (ce que demande une institution financière par transaction quand les fonds d’un.e usager.ère sont insuffisants) d’environ 34 $ par transaction, selon une étude réalisée en 2022 par le Financial Technology Association. À titre comparatif, le prix des services d’EWA varie entre 2,59 et 6,27 $ par transaction.
Selon un sondage de Harizent Survey, les salarié.e.s bénéficiant d’un service d’EWA estiment être moins stressé.e.s financièrement. Jim Hawkins, professeur de droit à la University of Texas School of Law ayant travaillé sur le sujet en 2020, affirme d’ailleurs que les usager.ère.s de ce service auraient de meilleures finances personnelles que ceux qui ne l’utiliseraient pas.
… à discuter
DailyPay estime ainsi que les employé.e.s ont plus de loyauté envers les entreprises qui proposent des services d’EWA.
Pourtant une enquête sur Walmart menée par Bloomberg a montré que l’EWA peut en réalité inciter les employé.e.s à démissionner plus rapidement, comme le service incite à une consommation « au fur et à mesure », plutôt qu’à un enrichissement.
C’est un cercle vicieux qui pourrait nuire à des paiements essentiels, comme les dépenses récurrentes comme le loyer, ou plus spontanées comme les soins de santé imprévus.
Il faut aussi noter que les usager.ère.s de la plateforme se voient payer des frais additionnels, simplement pour… être payé.e.s. Même si, dans bien des cas, les frais sont payés par l’employeur (lorsque l’EWA est offert comme avantage social), ce dernier pourrait choisir d’investir dans des bénéfices plus durables (augmentation des salaires, avantages sociaux, etc).
Enfin, ce service financier, relativement récent, n’est pas aussi bien encadré juridiquement que des prêts sur salaire, par exemple, ou encore des découverts bancaires ou des microcrédits.
Plusieurs critiquent ce flou juridique, qui ne permet toujours pas, à ce jour, d’établir des réglementations spécifiques en vue de la protection des usagers.
C’est donc un bilan mitigé pour ce type de service financier qui, certes, propose des solutions à court terme aux enjeux de liquidités de plusieurs personnes vulnérables, mais n’apporte pas d’améliorations durables quant au bien-être financier des travailleur.euse.s.