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Et si votre patron était le collègue de trop?
Suis-je le seul qui a déjà travaillé dans une entreprise qui comptait autant de cadres que d’employé.e.s? Sans farce, il a déjà fallu qu’on me fasse un dessin pour que je comprenne la structure organisationnelle. J’ai finalement compris que mon patron avait une patronne, qui elle avait une patronne, qui elle était l’adjointe du « grand patron ». Une poupée russe de patron.ne.s, quoi!
D’autres organisations décident plutôt d’aplatir les structures et de miser sur la collaboration entre les individus, qui se retrouvent alors presque tous sur un même pied d’égalité.
Et ça, ça s’appelle la gestion horizontale.
Comment ça fonctionne, exactement ? Avis à tous.tes ceux et celles qui sont allergiques à la phrase « faut que j’en parle à mon boss » : ce qui suit est pour vous.
Un peu de théorie
Tout d’abord, le concept de la gestion horizontale ne date pas d’hier. Non, les agences créatives qui possèdent des tables de baby-foot ne sont pas derrière ce bouleversement des hiérarchies!
Malgré son essor marquant au cours des dernières années, des spécialistes en gestion l’abordaient déjà pendant les années 1990. De manière générale, la notion d’horizontalité fait référence à des structures comportant beaucoup moins d’échelons ou, dans certains cas, pas du tout!
L’autrice et experte en autogestion Samantha Slade explique, dans Le leadership horizontal, que le principe d’une mentalité horizontale est le suivant :
« les gens peuvent comprendre les choses par eux-mêmes, entre eux ».
Ainsi, chaque employé.e est invité.e à « assumer son propre leadership, peu importe son poste dans l’organisation, et peu importe la nature de son travail ». Les responsabilités traditionnelles des gestionnaires sont réparties et partagées plus équitablement, que ce soit les objectifs ou la liste des tâches à accomplir.
Vous devinerez que les notions de démocratie et de concertation sont primordiales. C’est justement le cas au sein de la compagnie de production télévisuelle et cinématographique Art et essai, qui pratique la gestion horizontale. La décision d’aller de l’avant (ou pas) avec un projet repose sur une décision de groupe.
Ensuite, « au moment où il y a des étapes particulières dans le développement du projet, on va de nouveau se rassembler pour […] voir comment on avance ensemble », m’explique Jeanne-Marie Poulain, qui a repris les rênes de l’entreprise il y a 5 ans.
Cultiver la bienveillance
Quels sont les bienfaits d’une structure horizontale?
Selon Samantha Slade : « cette pratique novatrice permet d’augmenter l’engagement de tous.te.s les employé.e.s, de réduire la microgestion et de favoriser la réussite organisationnelle et individuelle ».
Elle peut aussi permettre aux équipes d’être plus efficaces, puisque les étapes d’approbation qui suivent les échelons hiérarchiques sont éliminées, et remplacées par la concertation en groupe.
Par exemple, Mme Slade explique que certain.e.s propriétaires de moyennes entreprises qui ont mis la gestion horizontale à l’épreuve ont été surpris.e.s de constater que, durant une absence prolongée de leurs patron.ne.s, « les employé.e.s sont en mesure de s’acquitter de leurs tâches sans devoir être contrôlé.e.s. »
Eh oui, un groupe d’employé.e.s peut être plus efficace qu’un.e cadre!
Ça a été le cas pour l’entreprise canadienne de textile Regitex. Après deux ans et demi de recherches infructueuses pour trouver un.e directeur.rice de production, la compagnie a tout simplement décidé de créer un « groupe de production » composé d’employé.e.s existant.e.s qui assumeraient les tâches de gestion. Résultat : une efficacité accrue et des décisions mieux avisées. Ils et elles connaissaient bien la réalité des tâches quotidiennes et avaient directement accès à l’information dont ils et elles avaient besoin pour faire des choix optimaux.
Résultat : le poste de directeur.rice de production? Plus besoin!
Pour la productrice Jeanne-Marie Poulain, cette manière de travailler favorise aussi la solidarité au sein des équipes et crée naturellement une envie de « rester ensemble et de grandir ensemble ». La confiance y règne et chacun.e croit fermement aux compétences et capacités des autres, explique-t-elle. « Donc, je crois que ça nous permet d’avoir un milieu de travail où on est serein.e », où tout le monde se concentre sur ses responsabilités, conclut la productrice.
À chacun.e son expertise
Chez Art et essai, chaque employé.e possède le titre de producteur.rice. L’équipe se réunit de manière hebdomadaire pour discuter des projets en cours et des nouveaux besoins. Habituellement, le.la producteur.rice spécialisé.e dans le médium du projet retenu prendra naturellement le lead, mais tous les employé.e.s sont appelé.e.s à travailler sur la création. Ce n’est donc pas la personne possédant le plus d’expérience ou un titre de cadre (comme c’est le cas dans une entreprise traditionnelle plus verticale), qui dirigera nécessairement le projet.
Certaines décisions financières relèveront toutefois davantage des actionnaires. « C’est sûr qu’à la toute fin, s’il faut qu’on aille signer un gros prêt, qu’on prenne un gros risque financier, c’est les actionnaires qui vont signer pour ça », précise-t-elle.
Loin d’être une solution universelle
Avec près d’une dizaine d’employé.e.s, l’entreprise de Jeanne-Marie est tout indiquée pour qu’une structure horizontale fonctionne et perdure dans le temps. En effet, plusieurs affirment qu’un tel fonctionnement peut être plus complexe à instaurer dans de grandes organisations, qui ont des cultures d’entreprise bien ancrées et axées sur la verticalité. Un changement de structure pourrait alors déstabiliser des membres de l’organisation plus habitué.e.s à faire cavalier seul dans leur prise de décision.
D’autres critiquent le processus de décision propre aux hiérarchies horizontales. Comme on y mise beaucoup sur la concertation de tous.te.s, cela risque d’allonger le processus, le rendant même, dans certains cas, inefficace. Comme chez Art et essai, il faut qu’un.e leader soit clairement identifié.e pour assurer qu’un projet ait une direction claire.
Bref, l’absence de hiérarchie n’implique pas nécessairement la disparition d’une équipe de direction au sein d’une entreprise. Comme l’autrice Samantha Slade l’indique, il s’agit de rendre une organisation « plus démocratique, plus participative et plus co-créative » !