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« C’est une opportunité qui s’est présentée dans ma vie et je l’ai prise. Mais j’ai jamais vraiment cherché à faire ça », m’explique Anaïs*, une étudiante de 20 ans. « Je le fais juste quand j’ai besoin d’un petit coup d’argent. Je fais environ 200 $ aux 2 semaines. »
Anaïs est visiblement décomplexée et assumée dans son side job. Elle ne voit pas de mal à payer son épicerie en vendant des photos de ses excréments à un coprophile – parce que, oui, elle correspond régulièrement avec un homme qui prend du plaisir sexuel à la matière fécale.
Maintenant, cœurs sensibles, rebroussez chemin, et braves bataillons, finissez votre bouchée, parce que je m’apprête à vous parler longuement d’un autre de ces actes in-nom-ma-bles qu’on fait tou.te.s, mais dont on ne parle ô grand jamais… aller à la selle!
Et avant d’aller plus loin, je vous rassure, les deux jeunes femmes que j’ai rencontrées sont consentantes, se sentent « en sécurité », trouvent leur correspondant tout à fait « inoffensif » et ne dépendent pas de ce revenu.
Quand la gig fait peek-a-poo
« J’étais au cégep, j’avais 8 cours, donc aucun temps pour avoir une job. Mon amie m’a parlé de ce qu’elle faisait : vendre des photos de son caca à ce monsieur-là. Je lui ai dit que ça m’intéressait et il m’a contactée sur Facebook Messenger directement. Ça fait environ 2 ans. »
Cette « amie », c’est Chloé*, une autre jeune femme de 20 ans. « Quand j’ai embarqué [Anaïs], j’ai eu une prime de 200 $ », explique-t-elle. Et vous ne serez peut-être pas surpris.e.s d’apprendre que Chloé suspecte que l’amie qui lui a référé la gig ait elle aussi eu une petite compensation financière. « Je pense qu’il y a au moins 10 autres filles qui font ça aussi », estime-t-elle. C’est moi ou ça sent le système pyramidal de photos de fèces?
Mais Anaïs et Chloé ne documentent pas systématiquement leurs passages aux toilettes. Elles s’y tournent simplement quand elles ont envie de se faire un peu d’argent de poche. J’ai d’ailleurs découvert l’histoire d’Anaïs via un ami qui l’a croisée en backpacking en Colombie – mine de rien, sa jobine pour le moins inusitée a financé un voyage de six mois en Amérique Latine.
« C’est tellement de l’argent facile. Tu fais caca tous les jours, dans tous les cas », lance Anaïs en pouffant de rire.
Même si le récit de son expérience me semble initialement teinté d’un peu d’insouciance, Anaïs m’explique ne pas s’être lancée dans cette aventure sans prendre de précautions. « Avant de commencer, je lui avais écrit une lettre qui expliquait pourquoi je faisais ça, que ma famille était au courant et donc qu’il y aurait pas de blackmail possible. Mais c’est faux, ma famille n’est pas au courant. C’était vraiment pour me protéger, moi. »
Dans cette lettre, Anaïs adopte un discours très sex positive en expliquant qu’elle est confortable avec le poop fetish et qu’elle juge que l’envoi de ses photos est un service professionnel. « [C’était] pour rendre ça officiel et legit, et pour que je me sente à l’aise, moi, de faire ça. »
Entre le malaise et l’empathie
Même si cette réponse semble trahir un certain inconfort, le propos d’Anaïs est à des milles d’un discours de victime – au contraire, elle s’inquiète plutôt de l’état de son destinataire.
« Je connais pas trop sa situation financière et je veux pas trop savoir, parce que je veux pas avoir l’impression que je profite de cette personne et peut-être d’un problème de santé mentale. »
Pour la petite note scientifique, plusieurs facteurs complexes peuvent mener au développement de la coprophilie. Certains experts suggèrent que des éléments psychologiques et sociaux, comme des expériences précoces, des facteurs environnementaux, des dynamiques de pouvoir ou des associations sensorielles, peuvent être en cause.
De toute façon, on n’est pas ici pour juger cet homme – à qui je n’ai pas parlé, d’ailleurs, à la demande d’Anaïs et Chloé.
Bien qu’elles soient à l’aise avec leur petite gig, une part de dissociation demeure nécessaire. Anaïs efface systématiquement tout ce qu’elle envoie, chaque soir. « Honnêtement, je sais pas trop. J’envoie ça dans le néant. C’est sûr que c’est un peu drôle. Ça m’a pris un moment d’adaptation. Il faut que je me détache de la photo et que je me dise : “cette chose ne m’appartient plus”. »
Quand la ligne est mince
« On nous a déjà demandé de nous filmer, nous, sur le bol, ou en train de le faire par terre. Mais on ne l’a jamais fait. C’est un peu dégradant, je trouve, concède Chloé. Il y a des moments où ça me rend inconfortable, parce qu’il pose des questions, il est curieux, il veut plus de contenu. Et je dis que moi, je m’arrête là. »
Sachant à quoi servent leurs contenus, Anaïs et Chloé tracent une ligne bien ferme quant à ce qu’elles sont prêtes à partager.
« Pour moi, c’est pas du tout du contenu sexuel, mais pour lui, c’est interprété comme du contenu sexuel. »
C’est pour cette raison qu’elles n’apparaissent pas dans les contenus, à l’exception de quelques vidéos où elles s’assurent d’être méconnaissables.
« On voit pas grand-chose. Je dépose le téléphone [sur le bord de la toilette] et je fais caca. » Anaïs affirme d’ailleurs faire un peu plus d’argent avec ce genre de vidéos plus en demande. « Il y a du monde qui est prêt à payer beaucoup pour avoir ce contenu-là. Là, c’était une fille de 20 ans, en voyage en Amérique latine pendant 6 mois. Ce sont des toilettes différentes tout le temps, dans des endroits différents, donc c’était beaucoup de nouveauté… et d’excitation. »
L’univers du caca-pital
Je vous épargne les détails, mais en parlant avec les deux jeunes femmes, je découvre l’éventail de possibilités quant aux déclinaisons de contenu fécal. Anaïs partage avoir, à plusieurs occasions, envoyé des récits. « J’écrivais des histoires et ça aussi, ça rapportait pas mal. Je racontais “une fois où je n’ai pas pu me retenir”. […] C’est un imaginaire qui l’excite beaucoup. »
Chloé et Anaïs soutiennent que le concept peut être poussé jusqu’à – tenez-vous bien – se voir offrir de la nourriture. La première a d’ailleurs déjà rencontré son destinataire en personne, accompagnée d’ami.e.s. « Il nous donnait de la bouffe pour qu’on mange, pour qu’après ça il ait du contenu…? », raconte Chloé, en riant.
Et ça ne s’arrête pas là, poursuit Anaïs. « Je sais que des fois, on demande des échantillons. […] On paie des 1000 $-2000 $ pour ça. »
Je vous laisse deviner les services qu’offre le site shitexpress.com.
À produire tous ces contenus, je me dis qu’on doit pouvoir différencier le « beau » caca du « laid ». Et ma question n’est pas étrange pour Anaïs, qui me répond du tac au tac. « Il y a une charte. Ça existe sur Internet pour regarder si les selles sont en santé, pour des contextes plus professionnels. » J’ai fait mes petites recherches (je ne le conseille pas) et, si je ne m’abuse, Anaïs fait référence à l’échelle de Bristol.
Assumées, malgré l’incompréhension
« J’en ai parlé à beaucoup de mes ami.e.s. Les réactions sont controversées. Il y a des gens qui sont dégoûtés, qui ne comprennent pas que j’accepte de faire ça. […] Et il y a tout l’autre côté, du monde qui dit que c’est super que j’ai un peu de cash et qui veulent mon contact », explique Anaïs, évoquant à juste titre la complexité des attitudes et des jugements autour des fétiches et des pratiques sexuelles.
Dans toute sa lucidité, la jeune femme sait qu’il pourrait être difficile d’arrêter cette pratique, considérant la facilité avec laquelle elle génère ce revenu. Mais pour l’instant, elle prévoit continuer d’en profiter et ne pas s’en cacher.
« Je suis assumée là-dedans. J’en parle et ça me dérange pas beaucoup. J’ai mon opinion sur les kinks. J’ai suivi des cours de sexualité là-dessus. J’ai des outils pour comprendre et défendre ma position. »
Après tout, une étude de 2014 menée par des chercheur.euse.s canadien.ne.s révélait que près de la moitié des Québécois.es ont pris part ou souhaitent prendre part à des activités sexuelles « anormales ». Ça fait beaucoup de personnes potentiellement intéressées par votre prochaine flush.