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Et si on chassait pour mieux manger?

Et si on chassait pour mieux manger?

Quand chasser devient un geste de respect et de cohérence.

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Je m’appelle Jean-Philippe Leclerc et je suis un p’tit gars de Saint-Michel-de-Bellechasse. J’ai grandi entre les casseroles de mes parents et le tablier de cuisine de ma grand-mère. La bouffe, pour moi, c’est pas juste un métier : c’est un langage. Un langage pour parler de mémoire, de territoire, de ce qu’on mange pis de pourquoi on le mange.

Je suis chef, auteur, chasseur, pêcheur, cueilleur. Je passe autant de temps en forêt que dans une cuisine. Parce que cuisiner, ça commence bien avant la planche à découper : ça commence dans un champ, sur un lac, au détour d’un sentier.

Pourquoi chasser?

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La question revient souvent. « Pourquoi tu t’infliges ça, Leclerc? ». Me lever à quatre heures du matin, m’installer dans le noir, geler, attendre. Pourquoi ne pas juste aller à l’épicerie comme tout le monde?

Parce que la chasse, c’est pas un trip de « gros gun » ou de virilité mal placée. C’est une école de patience, de silence, d’humilité. C’est se fondre dans le territoire, apprendre à lire le vent, les traces, les signes que la forêt envoie.

Pis oui, à la fin, ça veut dire tirer. Abattre un animal. Et chaque fois, ça brasse. Est-ce que j’ai le droit? Est-ce que j’assume vraiment ce geste-là? On vit dans un monde où la viande arrive sur un styromousse, emballée dans du plastique, comme si elle n’avait jamais eu de regard ni de souffle. La chasse, c’est tout l’inverse : c’est regarder la vie (et la mort) droit dans les yeux.

chasse québec Jean-philippe leclerc

La traçabilité, pas qu’un buzzword

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Je ne chasse pas pour remplir un congélateur à tout prix. Je chasse pour savoir. D’où vient cette viande? Quelle histoire je vais raconter quand je vais la cuisiner?

Quand je mets une poitrine de gélinotte sur la table, je sais dans quel boisé et à quel moment de l’année je l’ai prélevée. J’ai utilisé ses os pour un bouillon, sa peau pour parfumer une sauce, sa chair pour nourrir ma famille. Rien de jeté, rien de caché.

Et quand ce n’est pas du gibier, ce sont des poissons d’ici, ou la viande d’un producteur que je connais par son prénom. Pas parce que c’est tendance, mais parce que la cohérence, ça compte.

Est-ce vraiment plus « vert »?

Bonne question. Est-ce que tuer un orignal dans un habitat que je connais, c’est plus écologique que d’acheter du bœuf d’élevage industriel nourri au soja et importé du Brésil? Est-ce que ça vaut mieux que du poulet factory-made sous cellophane?

Je n’ai pas la vérité absolue. Mais je sais une chose : chasser, pêcher, cueillir m’obligent à voir la rareté, la fragilité, les limites. Un chevreuil, ce n’est pas une barquette. Un panier de champignons, ce n’est pas une ressource infinie. Ça force à respecter les cycles pis à se contenter de ce que le territoire offre.

La relève

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J’ai trois enfants. Je les traîne en forêt, sur les battures, dans les champs de petits fruits. Pas pour leur bourrer le crâne, mais pour leur montrer. Comment reconnaître un bolet comestible. Comment écouter le chant d’un geai bleu. Comment sentir quand la neige s’en vient.

Depuis qu’ils sont petits, ils me suivent aussi à la chasse aux petits gibiers. Cette année, ce sera une grande première : mes filles chasseront elles-mêmes la gélinotte huppée. Une étape importante, autant pour elles que pour moi. Je vous jaserai de cette aventure dans un prochain texte.

Parce que si personne ne reprend le flambeau, on ne perd pas juste un loisir. On perd une mémoire. On perd le lien entre la main qui récolte et la bouche qui mange. Je transmets aussi ailleurs : dans mes formations à l’École hôtelière, ou dans mes ateliers de cuisine sur le feu. Parce que cuisiner dehors, avec ce que la nature offre, c’est une école en soi. Du concret, pas du PowerPoint.

chasse québec Jean-philippe leclerc

Écrire pour raconter

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De la cuisine, j’ai glissé vers l’écriture. Co-auteur de Hooké : Aventures et cuisine sauvage, puis des bouquins Territoires avec mon chum Fabien Cloutier.

Écrire, ce n’est pas juste aligner des recettes. C’est raconter des histoires. Celles des saisons, des cueillettes, des rencontres avec ceux qui travaillent la terre ou la mer. C’est aussi poser des questions qui dérangent un peu.

Chaque ingrédient a une histoire. Est-ce que je mets du citron importé ou des canneberges cueillies ici? Est-ce que je sers du bœuf industriel ou de l’orignal que j’ai prélevé moi-même? Chaque recette est un choix éthique, environnemental, politique. Et chaque lecteur doit se demander : moi, qu’est-ce que je choisis?

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Je ne suis pas un militant ni un donneur de leçons. Juste un cuisinier qui a choisi d’assumer ce qu’il met dans son assiette. Un gars qui aime autant un feu de camp qu’un service bien ficelé.

Je suis père, auteur, formateur, cueilleur. Je n’ai pas toutes les réponses, mais je sais que la quête en vaut la peine.

Pourquoi je chasse? Est-ce que c’est éthique? Est-ce que c’est bon pour l’environnement? Qu’est-ce que je transmets à mes enfants? Les questions restent ouvertes. Mais c’est exactement ça, la beauté du jeu : chercher, essayer, transmettre. De la forêt à l’assiette.

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