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Est-ce qu’on surcharge l’horaire de nos enfants ?

Ballet, soccer, natation... pas le temps de s'ennuyer.

Par
Brigitte Hébert-Carle
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Samedi matin. Le réveil sonne, mes yeux s’ouvrent à peine. Et quand je dis réveil, je veux dire ma fille de trois ans qui grimpe et me pousse hors du lit de toutes ses forces en clamant : « C’est pas une maman, c’est un éléphant! ». La famille se lève, on relaxe un peu, on déjeune, les bonhommes à la télé, et hop!, on enfile les léotards roses, direction le cours de ballet parent-enfant. C’est le début d’une longue journée. Demain, tout sera à recommencer, mais pour la natation avec papa.

À trois ans, ma fille compte déjà de nombreux cours à son actif. Chaque session, on fait une rotation, et parfois, deux cours se chevauchent. Malgré le fait que ça donne des petits breaks bien mérités au parent qui reste à la maison, ça freine un peu la spontanéité, le week-end.

Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir inscrire nos enfants à autant de cours ou d’activités avant même qu’ils ne sachent mettre leur pouce dans le pouce de leur mitaine? Dans mon cas, j’avoue que c’est surtout pour « remplir le vide ». J’ai toujours un petit frisson d’angoisse devant une journée sans planification. Est-ce que, sans le savoir, en voulant « performer mon week-end », je transmets à ma fille une certaine anxiété de performance ?

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Nager ou baigner dans le trop-plein d’activités?

Nos jeunes passent leur semaine à jouer, apprendre, socialiser, emmagasiner de nouvelles informations et à faire face à de nombreux stimuli. Eux aussi, le vendredi, sont crevés de leur semaine. Pourtant, ça ne nous empêche pas de remplir leurs fins de semaine avec le cours de natation qu’on a réussi à booker après avoir passé 20 minutes devant notre écran sans cligner des yeux pour confirmer l’inscription. La fameuse loterie du bébé nageur! Bien sûr, ils s’amusent dans l’eau (nous, un peu moins, surtout en plein hiver), mais il reste qu’ils doivent mettre des efforts dans l’apprentissage d’une nouvelle discipline qui leur a été imposée.

Emmanuelle, maman de Margot, dit qu’elle inscrit sa fille à des cours « pour qu’elle se trouve une passion, qu’elle rencontre des amis et d’autres adultes et développe des habiletés de vie essentielles (genre, savoir nager). C’est donc moitié pour son fun, moitié pour son développement. » Avant chaque inscription, elle s’assure que ça lui tente.

Pareil pour ma fille. Si je ne l’ai jamais forcée à s’inscrire à un cours, j’ai cependant parfois insisté pour qu’elle termine un cours qui la motivait moins.

Ayant moi-même abandonné à mi-parcours à peu près tous mes cours quand j’étais jeune et n’étant pas devenue la Alexandra Stréliski du piano ou la Simone Biles de la gymnastique, je préférerais que ma fille ne suive pas les traces de sa mère et qu’elle s’évite quelques regrets.

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Dans le but de savoir si je suis en train d’aider ma fille à élargir son champ d’intérêt ou si je devrais plutôt mettre plus d’argent dans son REEE pour payer sa thérapie d’hyperperformance après une surdose de collants roses ou de casques de bain, j’ai poussé mes recherches un peu plus loin. C’est là que je suis tombée sur des docteurs américains qui se sont penchés sur la question de la surstimulation chez les jeunes.

C’est un peu de notre faute

Alvin Rosenfeld, PhD, ancien directeur du département de pédopsychiatrie de l’Université de Stanford et auteur du livre The Over-Scheduled Child, pense qu’a priori, les parents sont remplis de bonnes intentions. Ils croient qu’il s’agit de leur devoir de sacrifier temps et argent dans le but de favoriser le développement de leur enfant. Toutefois, selon Rosenfeld, les parents envoient le message à leur progéniture qu’il faut toujours se perfectionner et apprendre de nouvelles compétences, ce qui ébranlerait la confiance en soi des enfants.

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David Elkind, psychologue, professeur spécialisé en développement de l’enfant à l’Université Tufts et auteur du livre The Hurried Child, explique que « les enfants ont tellement été habitués à évoluer d’une activité structurée à une autre, qu’ils s’attendent à être divertis constamment. Ils n’ont jamais appris à s’occuper par eux-mêmes. Les parents les inscrivent à ces activités pour qu’ils fassent des rencontres et s’amusent, mais c’est bénéfique pour un enfant en pleine croissance de passer du temps seul. Ça lui permet de prendre une pause de son horaire chargé, ainsi qu’une pause de ses parents » (traduction libre).

Elkind admet tout de même que les activités ont leurs avantages, dont celles de donner des leçons de vie à nos enfants en plus de leur permettre de dépenser de l’énergie en s’amusant, mais il s’inquiète que les enfants goûtent trop et trop tôt à ces bonnes choses : « Souvent, cette surcharge d’activités structurées est davantage le résultat de l’anxiété parentale que le besoin même de l’enfant. Les parents sentent que, parce qu’ils sont très occupés avec leurs horaires chargés, ils doivent garder leur enfant tout aussi occupé. Mais les enfants n’ont pas besoin d’être inscrits à une activité organisée avant l’âge de 6 ou 7 ans » (traduction libre).

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Ici, je ne suis pas tout à fait d’accord. Un cours pour enfants dure quand même juste de 30 à 45 minutes. Ça laisse encore beaucoup de temps à passer en famille à l’intérieur d’un week-end. C’est long en titi, une journée de fin de semaine, avec un toddler qui a l’énergie de Patsy Gallant dans Big Brother.

Le samedi, en plus du cours de ballet, j’ai le temps de patenter un sandwich jambon-tomate-salade-beurre-pas de moutarde, de glisser en traîneau, de faire du bricolage, de colorier une poule mauve, de limiter les dégâts d’une confection de pâte à pizza maison, de superviser le lavage et l’essuyage de la vaisselle sans rien casser, de danser en regardant En direct de l’univers, et j’en passe. En veux-tu, du temps de qualité? En v’là.

Lucie, parent de Raphaël, dit : « Moi, j’adore inscrire mon fils de 5 ans à des activités que l’on peut faire ensemble, car ça nous offre du temps de qualité, loin des écrans, notamment. »

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On touche un point important, ici. La télé a pris tellement de place dans la vie de certaines familles que la perspective d’aller faire des révérences de ballet devant un prof aux collants thématiques vraiment motivé chaque samedi m’apaise beaucoup. Pendant ce temps-là, je n’ai pas D-I-N-O-D-I-N-O DINO DINO RANCH dans la tête.

Trouver son équilibre

Je pense que la leçon à tirer de toutes ces recherches, c’est qu’il faut prioriser un équilibre entre le quotidien, les obligations et les loisirs, et aussi (note à moi-même), de ne pas avoir peur du silence. Chaque parent à l’écoute de son enfant peut reconnaître quand une limite a été franchie, quand le plaisir fait place au stress ou à l’anxiété.

Nos jeunes ont encore beaucoup de temps devant eux pour découvrir leur passion, pour devenir le futur Félix Auger-Aliassime, ou juste devenir ce qu’ils veulent, sans aucune pression. Il faut peut-être se rappeler que ce n’est pas parce qu’on a gagné une médaille en patinage artistique aux Jeux du Québec en ‘89 que notre enfant va nécessairement tripper sur le patin.

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Et peut-être qu’en voyant nos enfants se créer des mondes imaginaires seuls, avec un élastique, une plume et un plat tupperware, on pourrait en profiter pour s’en inspirer, savourer le vide, et juste, les regarder jouer?