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Est-ce qu’on se marie encore pour les prêts et bourses?
À 24 ans, je cochais « divorcée » sur mes formulaires à la question « statut matrimonial ». Il faut dire que je ne m’imaginais pas le faire, quatre ans plus tôt, alors que je disais « oui je le veux » à mon premier amour après avoir appris que « pour le meilleur et pour le pire » n’était pas qu’une façon de dépenser beaucoup d’argent pour faire le party dans une vieille grange, mais aussi une façon d’en faire. Près de 10 000$ par année, pour être précise. Pour chaque partenaire.
Non, quatre ans plus tôt, j’en étais à ma seconde année de baccalauréat, je n’avais aucun argent de côté pour mes études, j’assumais, en plus, tous les coûts liés à la vie en appartement, les heures travaillées commençaient à sérieusement affecter mes travaux d’équipe (qui constituaient la totalité de mes évaluations) et l’Aide financière aux études m’accordait uniquement un prêt qui couvrait de justesse les coûts d’inscription à mes sessions, malgré le salaire modeste de ma mère et une soeur cadette à sa charge qui fréquentait également l’université.
L’Aide financière aux études
« La contribution parentale est considérée comme suffisante lorsque celle-ci est supérieure aux dépenses admises de l’étudiant. »
« La contribution parentale est considérée comme suffisante lorsque celle-ci est supérieure aux dépenses admises de l’étudiant », explique Bryan St-Louis de l’AFE. Sauf que les dépenses admises sont variables. Par exemple, puisque le trajet entre l’appartement de ma mère et l’université que je fréquentais était desservi par le transport en commun, on ne m’accordait pas de frais de subsistances importants, parce qu’habiter en appartement n’était pas considéré comme une nécessité.
Je n’émeus sans doute personne avec ma banale petite histoire. Après tout, près d’un bénéficiaire sur trois voit sa demande résultée qu’en un prêt, selon le plus récent rapport de l’AFE.
Mais à l’âge de 20 ans, il se trouve que je capotais tellement sur l’humain qui dormait à ma gauche toutes les nuits que mesurer le temps sur toute la vie m’apportait davantage une tranquillité d’esprit qu’un vertige stressant. Alors si notre engagement pouvait se calculer en signe de piasses, pourquoi pas?
Un peu plus de 20% des bénéficiaires d’aide financière se prévalent du statut de conjoint, une augmentation de près de 5% depuis 2011: « Cependant, 80% d’entre eux ont la garde d’un enfant, » précise Bryan St-Louis, ce qui exclue la situation de mariage.
Une tendance à la baisse
Se marier pour financer ses études est donc une tendance à la baisse. En contrepartie, le coût de la vie est beaucoup plus élevé qu’il y a 20 ans, on frôle la crise du logement dans plusieurs villes de la province et selon des spécialistes, les gens sont aujourd’hui forcés d’étudier plus longtemps pour répondre aux besoins d’un marché du travail en constante transformation. Considérant cela, on fait moins le saut d’apprendre que près d’un Canadien âgé entre 20 et 29 ans sur deux habite encore avec un ou ses parents.
Pourtant, en moins de trois jours, une dizaine d’étudiants mariés se sont manifestés dans mes messages privés. Les profils sont assez homogènes: des couples qui profitent de leur certitude de ne plus jamais swiper à droite pour desserrer leur ceinture financière.
Amélie (nom fictif), étudiante au doctorat en psychologie, a choisi de s’unir civilement à son amoureux, qui complète une maitrise, pour obtenir des prêts et bourses. « Je ne l’aurais pas fait si je n’étais pas amoureuse de lui sincèrement. Mais puisqu’on était quand même ensemble depuis moins d’un an, on a opté pour l’union civile. C’était moins engageant qu’un mariage. »
L’union civile a été créée pour que les conjoints de même sexe puissent se marier. Les différences entre ces états matrimoniaux sont minimes et les deux offrent les mêmes droits et obligations, me confirme Me Laurence Beauchamp, avocate en droit de la famille chez Trivium Avocats.
« Ça nous a permis de recevoir environ 73 000$ en bourses depuis 2013*! Mon copain n’avait pas droit du tout à l’aide financière et de mon côté, je ne recevais qu’un prêt. »
Pour l’AFE, dans un cas ou l’autre, la personne tierce devient le ou la conjoint.e. Et cela a fait toute la différence pour Amélie qui estime à 5 000$ par année le coût de ses études, en incluant ses cours, ses livres et ses stages (non rémunérés.) « Ça nous a permis de recevoir environ 73 000$ en bourses depuis 2013*! Mon copain n’avait pas droit du tout à l’aide financière et de mon côté, je ne recevais qu’un prêt. Ça m’a permis de ne presque pas travailler en parallèle de mes cours et de mes stages, tout en m’endettant moins.»
Mes recherches ne m’ont pas menée à un étudiant « game » de s’agenouiller devant son coloc. Peut-être parce que le mariage feint est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans (un léger détail.) Même si Me Beauchamp n’a trouvé que 17 jurisprudences s’y référant et qu’aucun de ces cas ne concerne des étudiants, cela peut dissuader quelques prétendants de se passer la bague au doigt.
De plus, même si votre patrimoine commun se résume à un ensemble de vaisselle Ikea, on ne divorce pas en criant « koala ». Il y a des délais: une année à ne pas habiter à la même adresse que son époux.se + les délais administratifs pour faire homologuer l’entente par un juge. Aussi, les frais pour un seul avocat pour un divorce dit simple varient entre 1 000$ et 2 000$, en plus du timbre judiciaire de 320$. (Néanmoins, si les partenaires s’entendent sur absolument tout, un guide disponible en ligne permet de remplir les formulaires par soi-même.)
Je le sais, car je suis passée par là: je me suis séparée de mon mari un peu plus d’an après notre mariage. Je ne regrette quand même pas de l’avoir épousé, parce que ces prêts et bourses représentaient beaucoup plus que de l’argent, surtout lors de ma dernière année au baccalauréat où j’ai fait une dépression. Ça représentait du temps: le temps de concentrer toutes mes énergies à véritablement apprendre des choses, le temps nécessaire pour être fière de ne pas avoir fait juste le minimum pour obtenir la note de passage et le temps de prendre soin de ma santé mentale.
* Note: Poursuivre des études universitaires au deuxième ou troisième cycle est l’un des facteurs affectant l’autonomie des étudiants. Ainsi, le salaire des parents d’Amélie et de son conjoint n’aurait pas été pris en considération dans leur calcul respectif lorsqu’ils ont poursuivi leurs études au-delà de leur baccalauréat.