.jpg)
Est-ce que les shorts devraient coûter la moitié du prix d’un pantalon?
Ne me niaisez pas, vous vous êtes déjà posé la question. Une tante de votre famille a probablement même déjà fait la blague : « moins y’a de tissus, plus ça coûte cher, haha… ha! ».
D’emblée, on se doute bien que le prix d’un vêtement ne se calcule pas uniquement à la quantité de tissu utilisé pour sa confection. Il y a le design, et, euh… le design… right?
Certaines compagnies, comme Everlane, proposent de décortiquer grosso modo le coût des vêtements qu’ils produisent. Pour leur série The Performance Chino, on parle d’environ 7$ de différence entre le short et le pantalon sur un prix coûtant maximal de 28$. À la vente, l’écart se creuse un peu : on atteint 10$ de différence.
Okay, okay. 7$ de tissu et de main-d’œuvre de différence. Quand même fair. Mais chez URBANIA, notre questionnement s’étend au-delà des aveux d’une multinationale américaine. Alors on est allés voir des gens de l’industrie québécoise, histoire d’être sûr de comprendre où va notre cash quand on achète de quoi habiller nos jambes.
Une histoire de couture (latérale)
Premier arrêt : la vente à échelle commerciale. On est donc allé toquer à la porte de l’École supérieure de mode de l’UQAM, et on nous a gentiment ouvert.
C’est que les éléments complexes à coudre, comme les poches et la braguette, se retrouvent en haut du pantalon.
« La bonne réponse, c’est que ça prend le même temps [assembler une paire de jeans et une paire de short]. Quelques centièmes de secondes de plus pour un pantalon, peut-être, pour les coutures latérales », avance Stéphane Bellemare, professeur au Département de management et technologie.
C’est que les éléments complexes à coudre, comme les poches et la braguette, se retrouvent en haut du pantalon. Après, il peut y avoir quelques dollars de plus en tissu, mais ça ne représente pas grand-chose.
La twist, c’est qu’il n’y a pas que la production qui entre en compte
Entre la machine à coudre et les foufounes du consommateur, il y a la mise en marché.
Achetez-vous des shorts l’hiver? Probablement pas. Les magasins le savent, et n’ont donc pas envie d’en avoir à longueur d’année sur leurs tablettes. « Les détaillants ne veulent pas prendre trop de risques avec ça. Ils ne veulent pas trop prendre de volume », explique le professeur. Avec le (très peu estival) mois de mai de cette année, par exemple, les ventes ont probablement souffert.
Ainsi, les compagnies sont pognées pour produire leurs shorts en moins grande quantité, ce qui revient plus cher la pièce. Et dès que la fin de la saison approche, les détaillants devront mettre leurs produits d’été en solde. Tout ça diminue les marges de profits, et augmente donc les prix.
« Parfois, les shorts vont sortir, et on se dit “ben voyons, c’est la même coupe que mon pantalon, et pourtant je l’ai payé vraiment moins cher” », illustre Stéphane Bellemare. Eh bien… à quelques exceptions près, ceci explique cela!
Et si on veut acheter des produits de designers québécois?
Sortir du paradigme que le tissu est l’élément principal à considérer résonne particulièrement chez les artisans locaux.
« Je peux développer ça pendant 2 à 3 jours avant d’arriver au résultat que je veux »
Markantoine, étoile montante du « streetwear haut de gamme » et propriétaire d’une écharpe à 500$, se heurte bien malgré lui à la préconception qu’un short devrait coûter moins cher qu’un jeans. C’est qu’outre sa nouvelle collection avec Simons, le designer crée généralement à petit volume – on parle d’une vingtaine d’exemplaires tous personnalisés et faits à la main.
« Souvent, ce que je vais faire, c’est que je vais ajouter des choses sur mes jeans pour les complexer. Comme ça, j’ajoute des détails, j’ajoute de la valeur, ça monte le prix et en comparaison, je peux vendre mes shorts à un prix qui a de l’allure », raconte-t-il. Parce que sinon, pour lui, il y a quelque chose comme 4$ de différence en tissu entre un short et un jeans. C’est pas grand-chose.
Et c’est vite noyé dans les coûts associés au design, au choix des matières, au patronage et aux tests. « Je peux développer ça pendant 2 à 3 jours avant d’arriver au résultat que je veux, puis arriver au premier échantillon, c’est pratiquement une semaine de travail », explique-t-il.
Plus que le coût du tissu : le coût du travail invisible
Le constat est similaire pour Fanny Capuano, designer dans la jeune vingtaine et propriétaire de F. Capuano, sa marque éponyme. Le tissu est l’un des éléments considérés, mais il y a une foule d’autres facteurs souvent invisibles aux yeux du consommateur à prendre en compte. « Peut-être que le tissu n’est pas cher, mais que ta robe est rayée, et il faudra aligner les lignes, ce qui prend du temps », illustre-t-elle.
Même que, lorsqu’on parle de marques émergentes, les heures et les salaires eux-mêmes ne sont pas toujours comptabilisés. « Vu que je fais tout moi-même, il y a plein d’étapes que je ne calcule pas encore dans le prix de mes vêtements », précise Fanny.
Ça n’empêche pas la jeune créatrice de se lancer à temps plein dans F. Capuano, entouré de sa sœur et de son meilleur ami. « Ça fait peur, parce que c’est tellement crié par tous les designers à quel point c’est difficile… mais on y croit tellement », dit-elle.
Mode locale, mode durable
À ce point-ci, on l’a compris : s’attendre à payer la moitié du prix des pantalons pour une paire de shorts, c’est un peu niaiseux. « Sinon, plus personne ne va faire de shorts, ou plus personne ne va faire de jeans. C’est l’un ou l’autre », illustre Markantoine.
Profitons-en donc pour mettre le spotlight ailleurs : lui et Fanny visent à offrir des produits avec des textiles recherchés et ecofriendly.
« L’idée, c’est de prendre l’engagement de faire le saut vers quelque chose de meilleur »
« Ça fait des dizaines d’années qu’on crée des choses. On changera pas le corps humain! Dans un t-shirt, il te faut quatre trous : pour passer ta tête, tes deux bras pis ton corps. Il n’y a rien qui va changer dans la fonction d’un vêtement. Maintenant, notre mandat, c’est de créer des choses qui vont être durables », dit le designer de 29 ans.
La sixième collection de Fanny, « Le Saut » fait d’ailleurs office de promesse de la part de la jeune compagnie. « On dit pas qu’on est parfait, on n’a pas encore les ressources afin d’être super écoresponsable, mais l’idée, c’est de prendre l’engagement de faire le saut vers quelque chose de meilleur », raconte-t-elle. Une envolée qui aura lieu le 14 septembre prochain.
Bref, pour avoir un avenir en opposition au fast fashion, il faut également que les gens soient prêts à y mettre le prix. Et ça, ça passe par la compréhension de la complexité des productions locales et – dare I say it again – par l’acceptation d’un prix similaire pour des shorts et des pantalons.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!