Quand je suis tombée en « congé » (lol) maternité, j’étais travailleuse autonome. Je suis gênée de l’admettre aujourd’hui, mais j’avais tellement peur de perdre ma clientèle – et donc mon revenu – que j’ai repris des contrats à temps partiel alors que ma fille avait seulement six mois.
Pas besoin de vous dire que cette super idée que j’avais évidemment eue lorsque j’étais enceinte m’est apparue comme un cauchemar une fois la date fatidique arrivée. Ce n’est pas seulement que j’étais fatiguée et que j’avais de la misère à aligner deux idées sur papier : c’est plutôt que mon rapport au travail avait complètement changé.
Moi qui étais du genre à travailler jusqu’à 20h un mardi soir « par passion » (re-lol), j’avais soudainement de nouvelles priorités, genre allaiter, torcher de la purée pour bébés de sur mon plancher et tisser un lien solide avec ma fille.
Depuis, j’ai repris plus de rigueur au travail, mais je n’ai jamais retrouvé ma ferveur d’avant. Récemment, en voyant mes ami.e.s sans enfants s’épanouir dans leurs domaines respectifs, je me suis demandé : est-ce que c’est ça, ma vie, maintenant? Est-ce que je peux encore avoir des aspirations de carrière sans mettre de côté mon lien avec ma fille?
J’en ai parlé avec Marie-Laurence Génier, psychologue organisationnelle et co-auteure du livre Maman est partie travailler.
Des compétences king size
Le retour au travail est souvent assez dur, même pour les mères qui sont complètement à bout de rester seules à la maison avec un bébé qui ne peut pas discuter de l’actualité et de la dernière saison d’Occupation Double.
« Sur le plan cognitif, le cerveau peut prendre jusqu’à deux ans postpartum pour retrouver son équilibre neurologique complet. Le fameux mommy brain est bien réel : le cerveau développe des aptitudes pour répondre aux besoins du bébé, mais la concentration et certaines fonctions cognitives diminuent temporairement », affirme Marie-Laurence.
Toutefois, une étude américaine mentionne que durant le congé parental, les parents développent cinq compétences clés recherchées pour combler des postes de gestionnaire : l’intelligence émotionnelle, le courage, la capacité à établir des priorités, la capacité à collaborer et la faculté d’adaptation. On a peut-être l’impression de revenir de nos mois d’absence un peu off du monde du travail, mais en réalité, on revient plus outillé.e.s qu’avant.
« On reconnaît peu le congé de maternité, mais il permet de développer des compétences très recherchées par les organisations », souligne Marie-Laurence.
Iniquité salariale et insatisfaction
La vérité, c’est que c’est vrai que les femmes accusent un retard dans leur satisfaction, leur avancement ou même leurs possibilités de carrière après un accouchement.
Claudia Goldin, économiste qui a gagné le prix Nobel d’économie en 2023 pour ses travaux sur les résultats des femmes sur le marché du travail, a démontré que l’arrivée du premier enfant constitue un moment déterminant où l’écart salarial entre hommes et femmes s’accentue, même dans un emploi comparable.
En effet, en 2024, les femmes salariées à temps plein au Canada gagnaient en moyenne environ 11 % de moins que les hommes. Chez les travailleuses autonomes, l’écart atteignait 28 %.
Les interruptions de carrière, le choix de ne pas faire d’heures supplémentaires ou de prioriser des emplois plus compatibles avec les responsabilités familiales font partie de l’arsenal de facteurs qui pèsent dans la balance de l’équité – ou plutôt de l’iniquité – salariale.
À la maison, les femmes cumulent aussi encore plus de tâches domestiques. Pas la fameuse charge mentale? Ben oui. « Cette charge-là explique pourquoi plusieurs femmes se sentent essoufflées et pourquoi concilier carrière et parentalité demeure un défi », explique Marie-Laurence.
Pour que les deux partenaires puissent s’épanouir dans leurs carrières respectives, il faut que tout le monde puisse avoir de la place (et de l’énergie!) pour nourrir ses ambitions et ses aspirations.
« Ça peut sembler banal, mais ça rejoint la pyramide de Maslow et l’actualisation de soi. Si, dans le couple, on fait de la place à chaque personne, ça crée une dynamique d’actualisation. C’est essentiel pour que les deux puissent s’épanouir », poursuit la psychologue.
Pour y arriver, la professionnelle recommande d’avoir des discussions avant et après la venue de bébé sur notre vision en ce qui a trait à la carrière et à l’organisation familiale, mais aussi de prendre des moments pour faire le point ensemble sur notre satisfaction mutuelle… et faire des ajustements au besoin.
C’est quoi, une carrière réussie ?
OK, mais comment savoir ce qu’on veut réellement, côté carrière? C’est la question qui me traversait l’esprit pendant que Marie-Laurence me parlait de tout ça. Je sais que je ne veux pas rester à la maison avec ma fille, mais je ne sais pas c’est quoi, pour moi, la balance idéale pour concilier carrière (et pas juste travail) et famille.
Pour Marie-Laurence, il y a deux clés essentielles à l’épanouissement professionnel : la connaissance de soi, soit savoir ce qui nous nourrit et ce qui nous tire du jus, mais aussi la conscience de soi, c’est-à-dire de prendre le temps, même quand ça va vite, de vérifier qu’on se sent bien aligné. Bien sûr, nos besoins et nos aspirations peuvent varier au fil des mois et des années.
Marie-Laurence recommande de se questionner d’abord sur nos besoins en matière de frontières. Par exemple, certaines personnes préféreront avoir des frontières professionnelles et personnelles bien définies alors que d’autres préfèrent répondre à des courriels quand les enfants sont couchés, histoire de pouvoir aller les chercher plus tôt à l’école ou à la garderie.
Ensuite, on peut mettre en place des stratégies pour maintenir nos choix, comme solliciter de l’aide de notre entourage (et essayer de ne pas se sentir coupable quand on le fait).
L’importance du gestionnaire
Faut quand même le dire : tout ne repose pas sur notre bonne volonté et notre autodétermination. Un des facteurs les plus importants pour la satisfaction professionnelle des mères au travail, c’est aussi un gestionnaire flexible et à l’écoute. « Si chaque employé pouvait avoir une personne gestionnaire à l’écoute — pas un psy, mais quelqu’un d’empathique, qui comprend que son employé peut avoir un enfant malade —, ça ferait une grande différence au quotidien », relate Marie-Laurence.
La première année de garderie, qui vient souvent avec environ 170 rhumes et virus qui nous étaient jusqu’alors inconnus, peut être assez intense en matière de gymnastique logistique pour les parents. Plusieurs milieux de travail n’ont pas de congés bonifiés pour pallier ces « surprises »-là, m’indique Marie-Laurence.
Des congés parentaux bonifiés ou des congés rémunérés pour des obligations familiales, des aménagements du temps et du lieu de travail (je m’adresse à toi, télétravail), et des assurances collectives familiales sont toutes des mesures qui, selon la psychologue, devraient être accessibles aux parents qui retournent travailler afin de favoriser leur bien-être au travail, diminuer leur culpabilité et leur stress en cas d’imprévu.
En gros : il n’y en a pas, de réponse, quant à ce que constitue une carrière réussie pour une mère. « On a parfois l’idée qu’une carrière réussie, c’est une grosse carrière, mais ce n’est pas nécessairement la réalité de tout le monde », me rassure Marie-Laurence.
« La maternité, ça touche vraiment notre identité. Ça peut aussi affecter, au niveau professionnel, notre perception de soi », poursuit-elle.
C’est quelque chose que, comme nouvelle maman – ou comme vieille mère, même –, on a parfois de la difficulté à faire : penser à nos propres besoins. En dehors de notre amour pour notre enfant, de quoi a-t-on besoin pour se sentir alignée, accomplie, et heureuse? Au lieu de tout absorber comme une éponge sans demander de l’aide, il faut savoir affirmer ses envies pour, qui sait, devenir une meilleure version de soi pour nos enfants.
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