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Est-ce que les compagnies testent les nouvelles modes au Saguenay?

Comment ça marche, le marketing de la mode?

Par
Pier-Luc Ouellet
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« Mais de quoi il parle?! », vous êtes-vous probablement dit en lisant le titre de ce texte.

Je vous comprends, c’est la même réaction que j’ai eue la première fois qu’une connaissance originaire du Saguenay m’a déclaré, plein de confiance, que sa région natale servait de laboratoire aux compagnies qui voulaient tester de nouvelles tendances.

J’ai ri, me disant qu’il s’agissait probablement d’une excentricité de cet ami, certainement pas une idée partagée par plusieurs personnes de la région. Jusqu’à ce qu’un autre Saguenéen me dise la même chose. Puis un autre.

Ça m’a rappelé une rumeur qui courait dans mon Rimouski natal, selon laquelle les boutiques de linge donnaient des vêtements aux jeunes cool de la polyvalente pour propager les tendances et écouler leurs produits (je n’avais aucun moyen de vérifier; en tant qu’ado boutonneux qui faisait partie des cadets et qui jouait du tuba, aucune boutique de ce genre ne m’aurait jamais approché).

J’ai donc décidé de creuser l’affaire. Est-ce que les entreprises se servent vraiment de certaines régions en particulier (dans le cas qui nous concerne, le Saguenay) pour tester de nouvelles tendances?

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J’en ai parlé avec Dre Ling Jiang, professeure au département de marketing de l’UQAM spécialisée en commercialisation de la mode.

Tester la mode au Saguenay

Je vous mentirai pas, quand j’ai commencé mon appel avec la docteur Jiang, elle était aussi surprise que moi la première fois que j’ai entendu cette théorie voulant que le Saguenay serve d’éprouvette pour tester les nouvelles tendances en mode.

Avec la réserve propre à tous les experts, elle ne dément pas hors de tout doute la rumeur (après tout, elle n’a pas étudié cette question spécifiquement), mais elle émet de très grands doutes.

« Ce genre de prétest, ça existe [dans d’autres domaines]. Mais quand on parle de vêtements et de mode, je ne suis pas sûre. D’un côté, la mode, c’est universel. Mais d’un autre côté, la mode est relative à notre style de vie. »

« On ne peut pas être assurés que le style de vie au Saguenay Lac-Saint-Jean correspond à celui à Montréal ou dans une autre région métropolitaine. »

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En tant que nerd, je sais de quoi elle parle. En 1985, Nintendo a mis en vente le NES à New York, puis plus tard à Los Angeles, pour voir s’il y avait de l’appétit pour une nouvelle console après la chute d’Atari et cie. Ils ont lancé la console partout en Amérique du Nord un an plus tard, en 1986, quand le test s’est avéré concluant.

Mais pour la mode, ça marche pas de même, surtout pas en 2024. La mode, c’est rendu une affaire globale. On voit en temps réel des vedettes des quatre coins du globe. Si Louboutin décidait de ramener les chaussures avec roulettes intégrées, ça serait difficile de confiner ça dans une zone limitée sans que ça se sache.

Et comme l’explique Ling Jiang, les besoins changent d’une région à l’autre. Le mode de vie au Saguenay n’est pas le même qu’à Montréal et à New York. Pourquoi tester une mode dans une région qui n’a pas grand-chose à voir avec les plus gros marchés?

Le cycle de vie de la mode

Une autre chose à savoir, c’est qu’en mode, les tendances prennent plutôt le chemin inverse. Ce sont habituellement les métropoles qui amorcent les tendances, pas l’inverse : « La mode, souvent, commence par les grandes villes. Ce sont des innovateurs qui habitent dans les grandes villes métropolitaines comme New York, Paris, Tokyo et qui diffusent leur style de vie et leur mode [au grand public]. La mode est créée par les innovateurs. Et les innovateurs, ce sont souvent des artistes », explique Dre Jiang.

Et les artistes, souvent, se rassemblent dans les grands centres, là où il est possible pour eux de trouver une communauté d’esprit et d’avoir accès à de plus grands moyens pour créer et diffuser leurs créations.

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Là, on s’entend. J’ai des amis artistes en région. Je sais que ça existe et que plusieurs d’entre eux produisent des œuvres super intéressantes. Je ne dénigre pas le travail des artistes en milieu rural. Je dis simplement que la masse critique d’artistes se retrouve généralement dans les grands centres.

Mme Jiang précise aussi que le cycle de vie de la mode est un processus bien connu : « La mode vestimentaire, ça commence toujours par le [défilé de mode]. On a des grandes marques comme Chanel, Louis Vuitton, des marques de prestige, qui sortent un monogramme, une couleur tendance, etc. Puis, ça descend dans les marques moyennes, et ensuite, ça se rend aux marques de fast fashion. Ça descend ensuite dans la rue, puis ça disparaît pour être remplacé par une autre mode », décrit Ling Jiang.

Le cycle de vie d’un vêtement ou d’une tendance varie aussi selon plusieurs facteurs. Certaines tendances, plus audacieuses, ont des cycles de vie très courts (quelqu’un se rappelle du 6 mois après le clip Stronger de Kanye West où tout le monde portait des lunettes à rideaux en plastique, qui avaient le double bénéfice de nous empêcher de voir tout en ne protégeant pas du tout nos yeux?).

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D’autres modes, plus largement acceptées, auront une espérance de vie beaucoup plus longue.

Bref, le processus de diffusion des tendances est bien connu et comporte plusieurs éléments. Mais aucun de ces éléments est « vendre nos chapeaux uniquement à la Place du Royaume ».

Pis les influenceurs, là-dedans?

Et ma rumeur locale, selon laquelle les marques donnaient du linge à des gens populaires pour se faire de la pub?

C’est presque vrai (mais c’est quand même faux).

Les marques utilisent énormément les influenceurs pour se faire valoir. En fait, « tout le monde utilise les influenceurs pour diffuser leurs produits, peu importe la taille de l’entreprise ».

Par contre, ce choix d’influenceurs ne se fait pas n’importe comment, et on ne choisit certainement pas William, le gars cool avec un polo Lacoste qui vend du pot sur le side à la poly.

Il y a toute une réflexion derrière le choix d’un influenceur avec qui on fait équipe : « On donne des vêtements, accessoires ou autres produits à des influenceurs, mais ce sont des influenceurs qui sont connus, qui ont une expertise dans le domaine. […] D’abord, il faut être assuré que les influenceurs avec qui l’entreprise collabore sont des influenceurs qui ont le bon profil. »

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On veut donc une personnalité (un influenceur au sens strict du terme, ou encore une personne influente comme un chanteur ou une actrice) qui correspond à l’image qu’on veut dégager, et qui ne nous mettra pas de l’embarras (allô, Jared de Subway).

Mais oui, donner des vêtements à des gens connus pour profiter de leur statut, c’est très commun. Pourquoi ça marche autant? « Les populations, en gros, les individus comme toi et moi, on est des animaux sociaux. On veut être connectés, on veut être acceptés par les règles sociales. »

« La plupart des consommateurs, on pourrait dire que ce sont des suiveurs. »

« On observe, on regarde. Même ceux qui se disent “moi, je suis très à l’affût de la mode”, qu’est-ce qu’ils vont faire? Ils vont suivre les influenceurs, ils vont voir ce qu’ils portent », explique la professeure.

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On est des suiveux, c’est aussi simple que ça. « C’est la conformité qui fait fonctionner la mode. Pourquoi les influenceurs ont ce pouvoir magique? Parce qu’ils sont perçus comme des experts dans le domaine. On voit que leurs goûts sont acceptés par les suiveurs. On veut les imiter, même si on n’a pas conscience de vouloir les imiter et on les imite parce qu’on les trouve beaux ou belles. Pourquoi? Parce qu’on est des animaux sociaux. On veut être acceptés par la société, on ne veut pas faire d’erreurs. »

Alors oui, le Saguenay va peut-être devenir une plaque tournante de la mode… si les jumelles Villeneuve step up leur game Instagram.