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Pourquoi se sent-on coupable d’avoir du temps libre?

Maudite société!

Par
Pier-Luc Ouellet
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C’est samedi. Vous avez eu une dure semaine, mais aujourd’hui, c’est jour de congé. Vous êtes assis confortablement, verre de lait à la main, enroulé dans votre doudou préférée, prêt(e) à binge watcher votre série préférée.

Mais à peine le premier épisode est-il commencé que le doute se met à vous tarauder: devriez-vous vraiment être en train de relaxer? Ce temps pourrait être tellement mieux investi. Vous pourriez commencer à écrire ce roman auquel vous songez depuis des années, lire sur l’investissement pour pas avoir l’air d’un maudit niaiseux la prochaine fois que vous allez voir votre comptable, vous inscrire à des cours du soir, faire du bénévolat, apprendre une nouvelle langue.

Finalement, tout ce que vous faites, c’est une crise de panique sur le divan.

Comment ça vous n’êtes pas capables de relaxer, donc?

Des loisirs performants

Et même nos loisirs ne sont plus vraiment des loisirs. Des fois, ça fait du bien de ne rien accomplir du tout. Mais nous donnons-nous ce droit?

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Je me suis surpris, ces derniers temps, à être obsédé par l’idée de tenir des listes des produits de divertissement que je consomme. Je termine un livre? Vite, je l’inscris sur Goodreads. Il faut bien que les gens voient que je suis un bon lecteur, et surtout, il faut que j’atteigne mon objectif de lecture de l’année.

Je termine un film. Super, ça va me faire quelque chose à rayer de ma liste Netflix qui commence à s’allonger un peu trop. Et bien sûr, je me dépêche de lui laisser une note, question de bien faire comprendre à Netflix que c’est fait, je l’ai écouté ce film-là, tâche accomplie.

Et je suis également un gros fan de jeux vidéo… mais il n’existe pas vraiment d’application pour comptabiliser les jeux auxquels je joue. Alors je me suis monté un fichier Excel dans lequel je recense les jeux auxquels je joue, les dates auxquelles ils ont été complétés, et mes commentaires.

Je termine un livre? Vite, je l’inscris sur Goodreads. Il faut bien que les gens voient que je suis un bon lecteur, et surtout, il faut que j’atteigne mon objectif de lecture de l’année.

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Je ne montre cette liste à personne. C’est pas une histoire de me vanter sur les réseaux sociaux (pas comme si quelqu’un allait être impressionné du fait que j’ai sauvé la princesse Peach, anyway), mais c’est une façon pour moi de donner du sens à mes loisirs. Je ne fais pas juste perdre mon temps; j’accomplis quelque chose.

On se demande il est passé où l’aspect relaxation dans tout ça.

Être la meilleure version de soi-même, tout le temps

Et ça, c’est quand on se permet de relaxer. La société nous demande de performer, constamment. Personne ne va dire qu’il est un employé correct. On est le meilleur ou on n’est rien pantoute.

C’est pourquoi le travail ne s’arrête plus à la sortie du bureau à 16h. Il faut se perfectionner, toujours, que ce soit par des cours du soir, des livres, des séminaires en ligne et autres TED talks, ou bien aller participer à ce 5 à 7 de réseautage, au cas où une personne importante daigne nous accorder son attention.

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Même quand on n’est plus au boulot, on travaille encore, mais sur soi-même.

Gratuitement, évidemment.

J’en entends déjà certains d’entre vous me dire qu’on a juste à décrocher, dans le fond, c’est pas ben compliqué; tire la plogue, ferme ton cellulaire et va jouer dehors.

Ça serait bien si on était seul sur Terre. Mais notre système actuel nous dresse en compétition les uns contre les autres. Si je n’utilise pas mon temps libre pour l’écrire ce roman, pour lire ce manuel de scénarisation, bref, pour me perfectionner, quelqu’un d’autre le fera à ma place, et c’est lui qui décrochera les gros contrats.

Résister au travail

Sans compter qu’on ne se bat pas vraiment pour nos temps libres. Les gens ont beau répéter que les millenials sont paresseux, ce n’est pas ce que je constate dans mon entourage.

Tout le monde essaie d’avoir le petit contrat de plus en dehors de la job, la petite gig sur le side qui va nous donner un peu plus d’argent, qui va nous faire rencontrer le bon monde pour passer au prochain niveau.

On ne se bat pas vraiment pour nos temps libres. Les gens ont beau répéter que les millenials sont paresseux, ce n’est pas ce que je constate dans mon entourage.

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Peut-être vous dites-vous que je ne parle que de ma réalité de jeune Montréalais travailleur autonome, mais je constate également la même chose chez les amis et membres de ma famille restés en région, qui occupent des emplois «normaux».

Je ne pourrais pas compter le nombre de fois que ma soeur, infirmière, a accepté de prendre un quart supplémentaire, parce que ça allait lui donner plus d’argent, et que ça dépannait l’équipe. Après tout, ses patients ont besoin d’elle.

La société des loisirs?

J’aime beaucoup mon travail, je ne me plains pas.

Mais il reste que quelque part, on s’était tous promis que la technologie nous permettrait de travailler moins et de passer plus de temps à faire ce qui compte vraiment: passer du temps avec nos proches.

Pourtant, on dirait qu’on observe le phénomène inverse. Plus que jamais, peut-être terrifiés à l’idée qu’un robot prenne notre job dans un avenir rapproché, on sacrifie nos loisirs sur l’autel de la performance en espérant encore valoir quelque chose.

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Ça serait peut-être le temps qu’en tant que société, on se regarde tous dans le miroir, qu’on prenne une grande respiration, et qu’on se parte un film qui ne nous apprendra rien du tout.